L’Europe, l’Europe, l’Europe… du médicament

par Michel J. Cuny
mardi 29 septembre 2015

La Commission d’AMM (Autorisation de mise sur le marché) à la française est désormais en fin de vie. Pour l’essentiel de ce qu’elle avait à faire, il faut maintenant se tourner vers l’Europe. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Comme toujours, tout dépend du point de vue que l’on adopte.

Pour sa part, Pierre Chirac, dont il faut rappeler qu’il est vice-président de l’Association « Mieux prescrire  », ne prévoit pas que le passage de l’ancien système au nouveau aille nécessairement dans le sens de l’intérêt des patients :
« Ça se ressemble fort. C’est-à-dire qu’on a délégué à une institution, une Agence qui était censée être indépendante, on a délégué beaucoup de responsabilités publiques, or ces Agences sont indépendantes du politique certainement, mais des firmes, non.  »

Un peu plus tard, Pierre Chirac montre bien où le bât blesse dans ce système de délégation à des Agences censément indépendantes :
« Après, tout dépend du rôle des régulateurs. On a un cadre général qui permet un certain nombre de choses. Ensuite, on a des Agences qui sont supposées être des régulations, mais supposées utiliser au mieux les possibilités, dans l’intérêt de qui ? Toute la question est là. C’est là où il est important que la collectivité, en particulier par ses représentants, s’assure que les Agences de régulation utilisent au mieux de l’intérêt collectif et des patients le cadre juridique. »

Ce qui est une façon de plaider pour le retour du politique.

Or, même un responsable politique comme l’ancien ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, dont on sait qu’il n’est pas particulièrement hostile aux firmes pharmaceutiques, montre une réticence certaine quant à la hiérarchie des priorités que manifeste la politique communautaire :


« Vous savez qu’à l’Europe – cela a été une de mes difficultés pendant les deux ans –, il y a un clivage : tout ce qui est économique est européen ; tout ce qui est sanitaire est national ; les politiques de santé sont nationales ; les politiques économiques sont européennes.  »

De sorte qu’une hiérarchie peut s’établir dont on devine qu’elle jouera au profit de l’économie.

Jean-François Mattéi en fournit l’illustration suivante :
« Il est vrai que les prix des médicaments, on essaie de les coordonner au niveau européen ; je regrette que cela n’ait pas été fait dans le domaine de la sécurité sanitaire.  »

Pour sa part, Jean-François Bergmann souligne un autre danger :
« Il est vrai qu’aujourd’hui les AMM [Autorisations de mise sur le marché] européennes sont paradoxalement plus faciles à obtenir au niveau européen qu’elles n’étaient au niveau national il y a quelques années. Pour une raison assez simple, c’est que c’est un vote à la majorité qui se fait par les 27 pays de la Communauté Européenne, et si 14 pays disent oui, c’est oui pour les 27, même si la France dit non.  » 

Or, de façon générale, les conditions d’autorisation sont moins sévères chez les nouveaux adhérents qui, par ailleurs, n’ont souvent pas la technicité suffisante pour opérer les contrôles nécessaires, tandis qu’ils ne veulent pas non plus passer pour rétrogrades en s’opposant aux produits récents.

Si nous prenons maintenant une question très précise comme celle du lien entre nouveau médicament et progrès thérapeutique, nous pouvons trouver très logique la proposition faite par Étienne Caniard au nom de la Fédération nationale de la mutualité française :
« Nous pensons très simplement que, pour qu’un médicament puisse être mis sur le marché, il faut qu’il fasse la preuve d’un progrès thérapeutique. Cela a une traduction extrêmement concrète en matière de procédure : c’est tout simplement d’interdire les essais contre placebo quand il existe un traitement sur le marché, et de procéder à des études vis-à-vis de comparateurs qui seront des comparateurs existants.  »

Mais il semble bien que l’Europe ne l’entende pas de cette oreille. C’est du moins ce qui ressort des propos tenus par Irène Sacristan-Sanchez, chef d'unité adjoint à la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne :
« Dans la législation européenne sur l’autorisation, et d’ailleurs en général dans toutes les juridictions qui réglementent le médicament, quand on autorise un médicament, on évalue le bénéfice-risque, la qualité, la sécurité et l’efficacité de ce médicament, mais on n’a pas une exigence de comparaison avec d’autres médicaments. Ça n’existe pas dans notre législation. Mais, cela dit, la Commission n’encourage pas un type d’essai contre un autre, n’encourage pas le placebo pour la comparaison. La Commission ne prend pas position là-dedans.  »

Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer tout juste avant :
« En ce qui concerne la procédure d’autorisation du médicament, je voulais dire d’abord que le fait d’avoir introduit dans la législation des possibilités nouvelles pour assortir les autorisations des conditions post-autorisation, ne veut pas dire du tout qu’on a réduit les standards bénéfice-risque pour l’autorisation.  »

Or, nous voyons bien – à partir de ce qu’en a dit Jean-François Bergmann (cf. le vote à la majorité) et du laisser-faire européen sur la comparaison avec placebo – que les conditions d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché sont largement moins rigoureuses auprès de l’Agence européenne que nous n’aurions pu l’espérer : le bénéfice du produit a toutes les chances d’être surévalué a priori, et la question du risque se trouve renvoyée au lendemain de l’obtention de l’AMM (Autorisation de mise sur le marché), c’est-à-dire au temps du recueil des effets secondaires indésirables… Manifestement, l’exemple du Médiator et de ses semblables n’a pas été perdu pour tout le monde…

(Extrait de Michel J. Cuny, Une santé aux mains du grand capital ? ‒ L’alerte du Médiator, 2011, Éditions Paroles Vives, pages 223‒224)


Lire l'article complet, et les commentaires