L’exemple, c’est nous
par Monolecte
vendredi 16 octobre 2009
Son petit minois tourné vers le ciel, ma fille ne perd pas une miette de ma patiente reptation verticale. Elle aime l’escalade parce que je la pratique tout comme elle réclame régulièrement des épinards à table, parce que je lui ai dit que j’adorais ça.

Parfois, le soir, à la fin de l’histoire, au moment du coucher, ses petits bras vifs enserrent mon cou penché sur elle et elle murmure au creux de mon oreille un totalement sincère et bouleversant
Tu es belle, maman, je t’aime !. De tous les mots doux que j’ai pu recevoir dans ma vie, ceux-là seuls sont purement vrais et désintéressés. C’est plus que de la candeur, c’est l’expression spontanée et sans détour de ce que garde de moi son regard d’enfant. Son regard qui grandira et changera. Mais aussi cette part de moi-même, au-delà des mots, des conventions, des stratégies, des politesses, des grands élans et des petites lâchetés, cette part de moi-même dont je ne soupçonnais même pas l’existence et qui est vouée à me survivre au plus profond de la mémoire de ma fille.
C’est là un pouvoir énorme, monstrueux, démesuré, donné par la simple parentalité au quotidien, exercice d’improvisation permanente, numéro d’équilibriste invraisemblable que je joue parfois avec bonheur, mais qu’il m’arrive aussi de bâcler lamentablement, selon les jours, les humeurs, les moments, la fatigue accumulée ou les sursauts de bonne volonté. Il m’arrive d’être littéralement transportée par toute cette foi vibrante de charbonnier dont me couve le regard aquatique de ma fille, mais le plus souvent, je me sens juste dépassée, anéantie, par l’ampleur de la tâche et de ma propre médiocrité. Alors, je bricole des petits moments complices, je ravaude les liens distendus, je me console en me racontant que les autres ne doivent pas être nettement plus balaises que moi à ce jeu-là et je croise les doigts pour que de toutes ces années passées avec nous, le Minilecte ne garde que le meilleur. Celui qui fait grandir. Celui qui rassure. Celui qui ouvre le regard sur le monde. Celui qui donne envie de vivre debout. Parce que c’est là tout ce que je ne pourrais jamais lui léguer. Mes mots, mes cris, mes rires, mes colères. Toute ma vie, en somme. Ce que je fais. Ce que j’évite. Mes petites espérances et mes grands renoncements.
Comme dans un carton à chaussures rempli de vieilles photos de famille jaunies et délavées, c’est dans le fatras de ce que je laisserai derrière moi et qui aura été ma vie qu’elle pourra piocher de ces petites bribes d’humanité dont on se sert pour comprendre le monde et s’étayer une vie d’adulte. Je me dis que dans sa trame, il y a aura bien quelques trous, quelques failles, mais qu’avec un peu de chance, elle croisera d’autres routes, d’autres destins, qui l’aideront à combles les manques.
Je me dis aussi qu’elle comprendra un jour que j’ai fait comme tous les autres parents du monde avant moi, avec mon histoire, mes lacunes et mes insuffisances : j’ai fait de mon mieux et que c’est tout ce qui compte.
Ce billet a été écrit dans le cadre de la campagne participative "L’exemple, c’est nous", une initiative de Yapaka, programme de prévention de la maltraitance (Ministère de la Communauté française de Belgique)