L’extrême droite ou l’odyssée de M. Sarkozy

par Paul Villach
jeudi 21 juin 2007

On entend nombre de gens se réjouir sur les ondes ou dans les journaux de la quasi-disparition du Front national. Le 22 avril, M. Le Pen n’a pas dépassé les 11 % des voix et le 10 juin, au premier tour des législatives, son parti n’a même pas atteint les 5 %. Le voilà, entend-on, renvoyé à la case départ du début des années 1980. La situation est-elle aussi simple ?

On aimerait pouvoir y croire. Mais il n’y a que dans « L’Odyssée » que la baguette magique de Circé transforme les compagnons d’Ulysse en cochons et inversement. Les mentalités ne se changent pas du jour au lendemain.

Le dégel imprévu de la banquise d’extrême droite

Les résultats tant de la présidentielle que des législatives le montrent. Si l’électorat d’extrême droite n’est plus là où on l’attend, c’est qu’il est passé ailleurs. Et nul ne peut le contester : il s’est porté massivement sur le candidat de l’UMP. C’est lui qui lui a valu de dépasser les 31 % du premier tour de la présidentielle tandis que M. Le Pen descendait à moins de 11 %. À cela rien d’étonnant, M. Sarkozy a repris des thèmes rabâchés par M. Le Pen depuis 20 ans, dont « Le mouton dans la baignoire » et le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale sont les plus représentatifs.


Toutefois, cette extrême-droitisation de M. Sarkozy aurait-elle suffi pour attirer à lui cet électorat aussi méfiant, si la situation n’avait pas présenté en 2007 des caractères spécifiques que M. Sakozy et son équipe ont su analyser et qui ont échappé à tout le monde ? Le démographe Emmanuel Todd, lui-même, ne cesse sur les ondes d’avouer son erreur : il s’en veut, lui aussi, de n’avoir pas anticipé cette sorte de réchauffement climatique qui a fait fondre la banquise d’extrême droite qu’on croyait indécongelable, persuadé, comme M. Le Pen le ressassait, que les électeurs préféreraient toujours l’original à la copie. Du coup, les terres de gauche ont été submergées non par la vague bleue mais par la brune. La confirmation en a été donnée aux législatives : quand l’extrême droite se déplace et vote UMP, celle-ci l’emporte, quand elle ne se déplace pas, comme le 17 juin dernier au 2d tour, la gauche redevient de peu majoritaire.

Une analyse audacieuse contraire aux idées reçues

Le coup de génie de M. Sarkozy et de son équipe a donc été d’analyser, contre les idées généralement admises, l’état d’esprit de l’électorat d’extrême droite au soir du second tour de la présidentielle de 2002 et de concevoir la stratégie appropriée pour le capter. Ils savaient que la clé de l’élection était là. Et ses conclusions étaient rigoureusement opposées à celles que les autres familles politiques tiraient.
- Ces dernières ont vu, en effet, dans la qualification de M. Le Pen au 2d tour de la présidentielle 2002, la dernière marche dans une « résistible ascension » vers le pouvoir ; la prochaine allait être fatale, souvenez-vous de l’accession d’Hitler au pouvoir en toute légalité ! Il fallait empêcher ça prioritairement et donc « voter utile ».
- Les électeurs d’extrême droite paraissent avoir tiré la leçon rigoureusement inverse : Le Pen, 18 %, Chirac 82 % en 2002 ? Jamais Le Pen ne pourra être élu. Du coup, cette déception les rendait réceptifs à d’autres sirènes, pourvu qu’on leur chantât les mélodies connues qu’ils aimaient. Au surplus, l’âge du capitaine - sauf à se référer à Pétain dans des circonstances tragiques qu’on ne pouvait tout de même pas souhaiter - leur enlevait tout espoir.

Le lumpenprolétariat manipulé

C’est justement ce qu’a très bien compris M. Sarkozy. Pendant les cinq années qui ont précédé 2007, il a méthodiquement emprunté les thèmes frontistes, voire le vocabulaire frappant, et utilisé l’appareil d’État à envoyer des signaux non équivoques en direction de cet électorat, qualifié de « souffrant », à juste titre pour sa plus large part. L’avantage avec le « lumpenprolétariat » , c’est qu’on peut l’allumer quand et comme on veut, un peu comme le taureau devant lequel on agite le chiffon rouge. L’Histoire des années 20 l’a montré. Les émeutes de novembre 2005 sont donc venues à point nommé traumatiser une part de la population française. Or ces moments de crise sont propres à tous les amalgames et au déclenchement du réflexe inné prioritaire qu’est celui de la sécurité. Trois semaines avant le premier tour de la présidentielle, le candidat Sarkozy a en plus été servi par la chance qui ne sourit qu’aux audacieux : l’émeute de la gare du Nord a été une bonne piqûre de rappel pour les mémoires oublieuses. Le 22 avril, M. Sarkozy moissonnait au-delà de toute espérance, ce qu’il avait semé.

Comment ne pas être l’otage de l’extrême droite ?

Toutefois, le problème qui se pose à lui n’est pas mince : comment, quand, pour une part décisive, on est l’élu de l’extrême droite, ne pas en être l’otage ? Ses ouvertures à gauche sont-elles la parade pour éviter d’être entraîné corps et biens par un tel poids ? Les nominations de ministres issus de l’immigration - pardon ! de « la diversité » et des « minorités visibles » - ont-elles le même rôle que celui dévolu aux personnels de sécurité de même origine aux portes des grands surfaces ou des grandes parfumeries ? Est-ce pour mieux se prémunir contre toute accusation ethniste et pouvoir affonter le moment venu les conflits des banlieues en toute liberté ?

Certes le général de Gaulle réunissait en 1945 autour de sa personne, en raison de sa stature historique, des sensibilités de droite comme de gauche, mais non de l’extrême droite d’alors, et pour cause. Certes, le coup de force qui le ramène au pouvoir en mai 1958 est-il fomenté principalement par les extrémistes de « l’Algérie française », qui s’apercevront vite de leur bévue quand le Général finira par opter pour « l’Algérie algérienne ». Ce n’est, cependant, pas offenser M. Sarkozy que d’éviter toute comparaison possible avec son illustre prédécesseur à la présidence de la République, pas plus qu’avec la magicienne Circé après avoir joué les Sirènes. Est-ce à dire que son odyssée commence et qu’elle sera aussi, qu’on le veuille ou non, la nôtre ? Paul Villach


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