L’habitat dégradé

par Desmaretz Gérard
lundi 19 novembre 2018

L'effondrement tragique des immeubles survenu rue d'Aubagne à Marseille qui a causé la mort de huit occupants et en a chassé 834 autres de leur logement, est venu nous rappeler que si quelques anomalies peuvent nous alerter sur l'état d'une partie d'un bâtiment, beaucoup ne sont pas visibles à un œil non familiarisé avec les notions de construction. Les trois immeubles de la rue d'Aubagne dataient du XIX° siècle et présentaient une particularité de construction, ils n'avaient pas de mur porteur ! Si chaque immeuble a une charge différente (hauteur, matériaux utilisés, pente), les charges résultantes interagissent différemment avec le sol et les immeubles voisins, il faut alors ménager un joint de rupture ou de dilatation entre les fondations et les murs extérieurs mitoyens. Les dits immeubles ne présentaient pas de joint entre-eux, et les poutres rondes qui soutenaient les planchers étaient vermoulues et prenaient appui sur le même mur !

Ces immeubles furent édifiés avec un mélange de pierres et de mortier qui a fini par se désagréger et fragiliser les murs. Des travaux, voire des vibrations, suffisent pour rompre cet état d'équilibre instable. L'immeuble 65 rue d'Aubagne, une copropriété d'une dizaine d'appartements traversants, avait déjà fait l'objet d'un arrêté de péril imminent en janvier 2017 (levé en juin), suivi d'un arrêté de péril en octobre 2018 après l'effondrement d'une partie de la cage d'escalier... Les fortes pluies des jours précédents ont pu jouer un rôle important. «  Il semblerait que la toiture n'était pas complètement étanche. Il suffit qu'une fissure ait été ravinée par les pluies diluviennes pour qu’une pierre-clé saute et que l'immeuble s'effondre ».

L'homme a ressenti très tôt le besoin de se protéger des éléments et des risques environnants. L'évolution l'a ensuite conduit à préserver son intimité et à l'adoption d'un cadre de vie plus confortable (sanitaires, décoration) auxquels se sont surajoutés des critères et normes de sécurité : stabilité, lutte contre l'incendie, etc., de confort : hygrométrie, isolation thermique et phonique, éclairage, gaz, tout à l'égout, puis des qualités esthétiques : expression architecturale, balcons, revêtements de façade. Nous sommes passés de constructions propres à une région et à une époque, à une construction standardisée, puis au préfabriqué d'après guerre, nécessité de reconstruction d'une quantité de logements dans des délais brefs, programme irréalisable par les méthodes artisanales et une main d'œuvre réduite.

Toute construction comporte des éléments verticaux porteurs et des éléments horizontaux de franchissement (poutres, linteaux, planchers), l'ensemble reposant sur les fondations. Sur une habitation à plusieurs niveaux, le plancher reste indépendant des murs, leur pression serait trop importance pour être répartie sur la dalle. L'immeuble peut reposer sur une cave semi-enterrée (soupiraux au niveau du seuil), comprendre une cave, un sous-sol, un vide sanitaire ou être de terre plein (plus économique). Pour apprécier le mode de répartition des charges, il nous faut faire une distinction entre les constructions à colombage ou à ossature (squelette), et les constructions en dur (brique pleine ou creuse, béton, tuffeau, meulière, etc.), où façades et murs porteurs répartissent la charge du bâtiment sur les fondations. La construction à ossature (bois, pierre, béton, métallique) supporte la charge de la construction. Les matériaux (torchis, plâtre, briques, etc.) qui remplissent les vides de l'ossature ne sont pas des matériaux de soutien, ils ne servent qu'à combler les compartiments vides. L'ossature en béton armé est le genre de colombage le plus résistant. Les poutres peuvent être apparentes ou recouvertes par un parement extérieur et/ou intérieur : plaque de fibrociment, crépi, lambris, etc.

Les différents niveaux du bâtiment sont délimités par la construction des planchers et plafonds (poutre en bois, béton, à voute). Le plancher repose sur les solives (ou bastaings, madriers selon la charge à supporter) entre lesquelles des tasseaux supportent les lambourdes. La sous face d'un plancher (côté plafond) peut être libre (plafond à caissons, poutres apparentes) ou revêtue d'une natte de roseaux ou bacula recouvert de plâtre ou de panneaux (plâtre ou bois). Le vide entre les poutres en bois des immeubles anciens peut avoir été comblé avec : de la paille, du papier, de la tourbe, des gravas, du mâchefer, et le plancher recouvert d'un dallage (tomettes), de linoléum. L'ossature du plancher doit reposer directement sur la structure verticale et être solidaire du chaînage horizontal du bâtiment afin de pouvoir supporter son poids propre et la charge d'exploitation : cloisons, occupants, mobilier (environ 500 kg/m2). Une déformation importante ou la présence de vermine en nombre suffit à en compromettre la stabilité. D'autres anomalies doivent alerter : boursouflures, humidité, rupture d'alignement d'éléments, fissures, matériau qui se désagrège, parement qui se décroche, affaissement du sol à l'aplomb du mur (présence de carrières, d'un ancien cour d'eau, sècheresse du sol).

Les ouvertures de communication entre les parties communes, les appartements et les pièces sont réservées ou pratiquées dans des murs épais, soit dans de simples cloisons. Portes et fenêtres comportent un bâti fixe scellé comprenant une feuillure sur lequel est fixé le ferrage (charnières, paumelles) de la partie ouvrante (vantail), et sur la face du mur d'un cadre ou contre-bâti ornemental. La menuiserie est encadrée par le chambranle qui masque l'interstice bâti et maçonnerie. Les alignements verticaux des fenêtres contribuent à l'allègement d'une partie de la façade, le poids des étages repose sur les parties en dur se comportant comme des éléments porteurs d'ordonnancement. Certains immeubles anciens présentent des façades aux fenêtres murées dont la raison de leur présence remonte au Directoire. Ce dernier voulant instaurer une nouvelle taxe, avait des difficultés à calculer la superficie des biens immobiliers (l'introduction du système métrique ne facilitait pas les mesures). On allait calculer la taxe sur le nombre de fenêtres ! Les propriétaires condamnèrent ou réduire les ouvertures, contribuant ainsi à des logements mal aérés et sombres. Une porte ou une fenêtre qui ferme mal doit éveiller l'attention, le bois a-t-il travaillé, a-t-il été rongé par des termites (présence de sciure), fragilisé par une fuite passée inaperçue, la déformation est-elle en rapport avec une augmentation de l'hygrométrie, le châssis a-t-il basculé suite à un affaissement du sol ou à une secousse sismique ?

Les types d'escaliers sont variés, depuis l'escalier monumental en marbre, de pierre (entrée centrale), en bois, en béton dans les immeubles contemporains (entrée latérale), en passant par l'échelle de meunier, ainsi que dans leur forme. La partie horizontale comprise entre deux volées de marches consécutives forme le palier. Lorsque la hauteur sous plafond est conséquente (immeuble bourgeois), la volée peut être coupée par un palier dit de « repos », afin de limiter à la fois « la fatigue et la gravité des blessures en cas de chute ».

La toiture, cinquième façade, est composée d'une charpente et d'une couverture dont la forme est caractéristique d'une époque, d'un style (pyramidal, coupole, en croupe, en dos d'âne, en appentis), ou d'une région (tuile mécanique, romaine, ardoise, lauze, bardage, zinc, etc.). La charpente en bois supportant la panne faîtière qui soutient les chevrons et liteaux, forme un vide pouvant accueillir, ou non, des ouvertures (œils-de-bœuf, vasistas, lucarnes) pour éclairer le grenier, les galetas, les combles aménagés en chambres de bonnes. On appelle ferme les pièces verticales (entrait, arbalétrier, poinçon, échantignole, contrefiche) pré-assemblées pour couvrir de grands espaces privés d'appuis, la charge reposant sur les murs extérieurs. La pente du toit n'est pas quelconque, elle est définie par l'urbanisme qui prend en compte les conditions climatiques et les traditions régionales. L'inclinaison des toits permet et facilite l'écoulement des eaux pluviales vers les chenaux ou gouttières. Les tuyaux de chute doivent être verticaux afin d'éviter les engorgements. L'eau des toits plats et des balcons est évacuée par les gargouilles ou des barbacanes.

L'effondrement d'un immeuble peut entraîner l'apparition d'autres dégâts : rupture conduite de gaz, d'eau, courts-circuits, et être à l'origine d'un incendie, d'une explosion, voire d'une réaction en chaîne ou effet château de cartes ! Les infrastructures techniques anciennes sont obsolètes. Les eaux usées des toilettes (sur le palier..., ou non), de l'évier et de pluie sont envoyées directement à l'égout. Les différentes chutes sont collectées sous le sol ou en cave dans une canalisation en fonte, voire en grès..., raccordée à l'égout public. Les immeubles anciens disposent d'une cheminée à foyer ouvert dont l'entretien n'est plus guère assuré par les occupants, que certains réutilisent pour y connecter un poêle à combustible... Le réseau électrique n'est pas relié à la terre, et les fils de faible section sont isolés par de la gutta-percha recouvert de toile. La puissance électrique délivrée est souvent insuffisante pour des radiateurs ou appareils électriques modernes. Les poubelles entreposées au pied de la cage d'escalier attirent les rongeurs, en cas de feu de poubelles, la trémie se comporte comme une cheminée, l'air attisant les flammes.

L'histoire du quartier est importante. Les immeubles collectifs apparaissent au XVIII° siècle ainsi que les couloirs (avant, la distribution des pièces était en enfilade), l'électricité, le gaz et l'ascenseur au XIX°. La période de construction peut apporter des indices : épaisseur des murs - qualité des matériaux - distribution - surface des pièces - balcon (épaisseur de la semelle) - cour intérieur - exposition - salle de bain - véritable cuisine ou coin cuisine - WC - chauffage central - concierge - appartement à la découpe, canalisation en fibrociment, plaques d'amiante (surtout pour la période après la guerre de 39-45), etc.

Les immeubles des quartiers ouvriers ont été construits à la va-vite et leur confort était spartiate, WC sur le palier, escalier en bois, peinture au plomb, canalisations vétustes. Dans les quartiers populaires, les immeubles mal entretenus subissent une lente dégradation (manque de revenus ou désintérêts pour le bien et les locataires). Si leur prix de vente reste attractif, les appartements nécessitent des rénovations et génèrent des dépenses d'entretien, d'où leur mauvais rendement locatif (un logement vétuste rapporte deux fois moins qu'un parking 6,88 %). Ce type d'habitation non rénovée attire les plus démunis, les marchands de sommeil avec parfois la bienveillance d'un syndics (#balancetonsyndic).

Les villes concernées par ces poches d'habitats délabrés, insalubres devront-elles revenir à une nouvelle loi calquée sur celle de 1948 qui encadrait le montant du loyer en fonction des équipements et de leur confort ? La question du logement indécent reste en lien avec la démographie (la population a connu 30 % d'augmentation entre 1968 et 2013, INSEE) - l'âge des époux qui convolent (de plus en plus tard) - le nombre d'enfants - les séparations et divorces (augmentation des familles mono-parentales) - l'allongement de la durée de vie, auxquels il convient d'ajouter les différentes situations socio-économiques.

Si le quartier présente un attrait historique, commercial ou social, la ville ou un « baron » local peut être tenté d'en chasser les habitants en rachetant les immeubles vétustes à vil prix pour les laisser inoccupés jusqu'à la réhabilitation du quartier suivie de l'envolée des prix de l'immobilier. Les spéculateurs, les plus amoraux, accomplissent leur méfait social par personnes ou associations interposées. Contre-mesure retardatrice pour le propriétaire ? déposer un dossier pour classement historique de l'immeuble ou de sa façade.

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