L’histoire d’Adrienne, d’Arcueil à Santiago
par hommelibre
vendredi 2 avril 2021
L’exploit est extraordinaire et mérite que l’on s’y arrête. On célèbre ces jours la première traversée médiane des Andes en avion. C’était il y a 100 ans, le 1er avril 1921, au point le plus haut de la chaîne montagneuse. « La Cordillère des Andes, une barrière rocheuse de 8 000 km de long, culmine à cet endroit à près de 7 000 m. Seule planche de salut : le col de Las Cuevas, à 4 200 m « seulement ». »
L’avion : un Caudron G3 de 1913. Un avion d’entraînement, et de repérages pendant la première guerre mondiale. Son plafond de vol se situe à 4’300 mètres. Ce coucou de bois, de ficelles et de toile a été piloté par, entre autres, Adrienne Bolland.
Née en 1895 à Arcueil, Adrienne est un personnage hors du commun. Un caractère trempé, un goût pour les entreprises audacieuses, un esprit d’indépendance et de liberté, l’ont poussée à devenir pilote.
À l’époque c’était mal vu pour les femmes. Non qu’elles en soient incapables mais parce que la philosophie du patriarcat était de protéger les femmes de ce qui pouvait les mettre en péril, elles et donc la natalité. C’était une autre époque.
Arienne Bolland passe son brevet de pilote en 1920. Elle est la treizième femme pilote en France, et la première à être engagée comme pilote d’essai par l’usine Caudron. Cela correspond à son caractère aventureux et à son goût pour transgresser les limites.
Elle réalise la première traversée féminine de la Manche depuis la France. Mais alors qu’on la croit disparue en vol, elle fait la fête à Bruxelles avec d’autres pilotes. Comme elle le dit avec humour : « Si je m’étais noyée cette nuit-là, ce n’était sûrement pas dans l’eau… »
Elle ajoute :
« On improvisait tout, et sans doute ce qui a été fait à l’époque “héroïque” n’aurait jamais été tenté par des gens trop sages. Nous étions des casse-cou. Il fallait nous prendre tels que nous étions, et Caudron m’avait prise parce que, tout compte fait, il y trouvait son compte, j’imagine. »
En 1921 elle part pour une tournée de promotion de l’avion en Argentine. Elle arrive à Buenos-Aires. Là, selon Wikipedia :
« … dès son installation à l’hôtel Le Majestic, la presse argentine met au défi l’aviatrice de passer la cordillère des Andes. Piquée au vif dans son orgueil, elle décide, à la mi-mars, de rejoindre Mendoza, malgré le refus de Caudron de lui envoyer un avion plus puissant. »
Là commence un des exploits les plus incroyables du XXe siècle sur un avion incroyable, et probablement avec un zeste de chance.
« Déjà dépassé en 1918, ce n’est qu’un rustique avion-école, dont la faible puissance ne lui permettra assurément pas de grimper à plus de 3 000 m. « C’est la mort assurée !, martèlent les Français d’Argentine qui l’accompagnent. Surtout avec un avion qui ne résistera pas à la violence des vents et se désagrégera dans les tourbillons. »
L’entreprise semble suicidaire.
« Alors pourquoi insiste-t-elle ? Parce qu’Adrienne Bolland est un personnage hors du commun, joueuse pathologique et croqueuse de vie. »
La veille de son vol une étrange jeune femme française lui rend visite et lui dit :
« À un moment, vous serez dans le fond d’une vallée qui tourne à droite. Il y aura un lac. Vous le reconnaîtrez : il a la forme et la couleur d’une huître, vous ne pouvez pas vous tromper. Vous aurez envie de tourner à droite. Il ne faut pas. Les montagnes sont plus hautes que vous ne pouvez monter. Il ne faut surtout pas tourner à droite. C’est à gauche. N’oubliez pas. Vous verrez une montagne qui a la forme d’un dossier de chaise renversée… »
Le 1er avril 1921 elle décolle à 07h30. Elle n’a ni carte de vol, ni données météo. Personne n’a jamais cartographié ces montagnes. Il n’y a pas de communication radio. Elle est totalement seule. Très vite elle est confrontée à des vents glacés et contraires, qui l’obligent d’abord à 45 minutes de sur-place. Dans sa nacelle ouverte le froid la saisit. Elle se perd, lutte, cherche sa route. Devant elle, une muraille infranchissable.
« Un passage se profile enfin. Elle s’engouffre, ballottée par de puissants courants d’air et voit apparaître sous ses ailes... un lac en forme d’huître. (…) Il fallait choisir, je ne sais pas ce qui m’a poussée à faire confiance à la petite Française de Buenos Aires. J’ai tourné à gauche en pensant : et dire que pour une ânerie pareille je vais sans doute me casser la figure !
C’est le contraire qui se produit. À cet endroit, les vents qui frappent les parois rocheuses grimpent vers les sommets, et le Caudron avec. Ils propulsent l’appareil dans un long couloir de roches. Puis la vitesse se réduit. »
Et enfin, après 3 heures d’un vol dantesque, enfin… le Graal :
« Au loin, quoique voilé par la brume, un paysage admirable s’étalait devant moi. La mer m’apparut comme dans un rêve. » Après trois heures de vol Adrienne Bolland arrive à Santiago du Chili, où elle se pose, paralysée par le froid, le visage gonflé, barbouillé du sang qu’elle a perdu à cause de l’altitude. Les Chiliens l’accueillent en héroïne. »
Le consul de France, croyant à un poisson d’avril, ne sera pas présent pour l’événement. Plus tard lors d’une parade, dans les rues, près d’un million d’hommes l’applaudiront, et autant de femmes aux balcons.
J’ai lu qu’elle avait emporté un pistolet, pour abréger ses souffrance si elle tombait en panne hors d’atteinte par d’éventuels secours. Elle n’en a pas eu besoin.
C’est une explosion d’enthousiasme qui l’accueille.
L’Argentine machiste honorait mieux cette femme que la France ne l’a fait par la suite.
Elle a continué à travailler dans l’aviation. Elle a également milité pour le suffrage féminin, s’est mariée avec un aviateur, et s’est engagée avec son mari dans la Résistance.
En cherchant sur le net on trouve une série de films sur sa vie, ainsi que différents articles et ouvrages.
Et sur ce lien, une description plus technique se son vol.
Adrienne Bolland, une belle histoire.