L’hiver en taille douce

par morice
mercredi 5 décembre 2007

Notre président vient de faire sa « messe » télévisuelle, nous dit un agoravoxien. Il en ressort une étrange impression de gesticulation inutile, et de manque de prestance surtout. Notre président bouge trop, ça devient un cauchemar de cadreur télé. Son tempérament profond, sans doute. Intrigués, nous avons cherché ce qui pourrait bien le calmer. Et nous avons trouvé. Nicolas Sarkozy n’a qu’une seule méthode pour s’apaiser. C’est de se replonger dans une partie de son enfance, comme beaucoup d’autres adultes qui ont grandi trop vite. La scène se passe le fameux vendredi 19 octobre 2007, qui va rester dans toutes les mémoires, c’est sûr. Ce soir là, la France rencontre l’Argentine pour la deuxième fois, on connaît la suite. Notre président est présent sur place, et assiste un peu dépité au carnage. Deux policiers se font tamponner par deux voleurs en car-jacking et se retrouvent à l’hôpital. A l’Assemblée nationale, on étudie la loi de finances 2008, devant un auditoire clairsemé. Bref, rien de folichon ce jour-là (désolé pour les deux policiers, je parle de politique générale, pas de faits divers). A la télévision y a bien ce soir-là Cauet qui invite J-P Pierre Pernault, en pleine veine graveleuse, et dehors les RER et le métro parisien qui sont déjà en grève (la première). Mais c’est au 20 heures de Poivre D’Arvor que la France se fige : avec l’annonce officielle du divorce de Nicolas Sarkozy... qui emballe aussitôt toute la presse dans les jours qui suivent. Et pourtant, ce jour-là, je peux vous le dire, ne restera pas dans les mémoires à cause de cela. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy fait quelque chose de bien plus important à ses yeux : il rédige et envoie son appel du 18 juin à lui. Rien de moins. L’instant est solennel, le moment émouvant, l’homme est d’un calme olympien. Nicolas a en fait retrouvé la quiétude de l’enfance et de ses tout premiers amours...

Ce jour-là, notre président avait bien plus à faire, en effet. Envoyer un courrier important, sinon vital, ce qui explique sans peine les atermoiements qui ont précédé l’annonce du divorce. Notre président, il est vrai, sans l’aide de M. Guaino, n’a pas la plume facile. Alors il s’y reprend à plusieurs fois, pour écrire cette missive qui a ses yeux représente énormément d’importance. C’est un peu de son enfance aussi, et quand on sait les traumatismes qu’à occasionné cette enfance difficile, avec ce père inexistant et volage, on comprend que l’homme tient à peaufiner l’ouvrage. On se demande souvent ce que fait un président, qui doit penser aux grèves à venir, préparer son voyage aux Etats-Unis, s’entretenir avec Rachida Dati sur l’avenir de Bernard Blais, qui grippe tout un système à lui tout seul, entrevoir son premier ministre pour lui signifier que les pêcheurs il s’en occupe lui-même, sans oublier les impondérables comme des organisations pseudo-humanitaires qui enlèveraient des enfants (mais le 19 octobre c’est bien inimaginable, ce genre de choses). Et faire chauffer l’Airbus présidentiel pour se rendre fissa à Lisbonne pour ratifier le nouveau traité. Reste peu de temps dans le timing présidentiel pour s’occuper des choses bien plus importantes encore. Mais au fait, elle dit quoi, cette lettre du 19 octobre ?

Tout simplement ceci : "Cher(e)s Ami(e)s philatélistes, Je partage avec vous la passion du timbre et de la philatélie. Depuis mes plus jeunes années, j’ai pratiqué ce loisir qui est une ouverture au monde, à l’histoire et aux grands événements". Notre président, entre deux avions et deux sauvetages d’otages, prend donc la peine ce jour-là d’écrire à huit rédactions de journaux philatélistes, pas moins, sur un sujet hyper-important à ses yeux. Suit alors un propos assez sidérant :

"J’ai compris que beaucoup d’entre vous nourrissent des inquiétudes face à l’évolution de la philatélie en France. Je les comprends : 85 % du courrier est émis par les entreprises qui n’utilisent quasiment plus le timbre et de plus en plus de Français se servent aujourd’hui de courriels, de textos ou du téléphone portable. Je crois que le timbre peut et doit apporter, au milieu de ces mutations, la note artistique, humaniste et créative qui illumine ce geste simple d’affranchir une lettre. Je reste persuadé que la philatélie préservera toute sa place si le timbre retient son utilité sociale et économique, liée à l’acheminement de la lettre, à sa beauté et à sa rareté. A condition aussi qu’il sache s’adapter à la culture du XXIe siècle".

L’homme "qui a compris" a été élu par une majorité de Français pour s’occuper en priorité de la lutte contre l’inflation et la réduction du déficit de l’Etat, du pouvoir d’achat, et voilà qu’il nous parle... timbres-poste. Notre président-réformateur, qui préconise la "rupture" et souhaite "engager la France dans les réformes"... s’en prend aux textos, à l’envoi de mails et aux enveloppes prépayées : voilà donc son combat du siècle ! Le Grenelle, à côté... Quand au côté artiste de l’individu, que personne désormais nie, à le voir envahir le petit écran au moindre prétexte... il apparaît aussi dans l’hommage rendu aux sculpteurs de timbres-postes, des "humanistes", des "artistes" et des "créateurs". On comprend enfin pourquoi il est allé voir l’exposition Courbet, une visite recommandée par sa nouvelle attachée de communication : d’aller voir sur place les tableaux du maître, ça fait un peu plus sérieux que de collectionner les timbres-poste de Gustave Courbet.

Et c’est là qu’on découvre l’enfant Sarkozy, cette fragilité qu’on soupçonne depuis son accession au pouvoir. L’enfant qui a découvert le monde par la philatélie demande aujourd’hui à la philatélie de l’aider à s’y retrouver dans ce monde qui le dépasse. "La philatélie, c’est notre loisir, c’est aussi un monde d’artistes, de graveurs, de metteurs en pages." Le président qui présente l’image même de l’homme pressé vante les mérites d’un savoir qui ne peut s’acquérir qu’avec beaucoup de patience et infinité de respect. L’enfant Sarkozy devenu président voudrait que le monde se fige au stade de son enfance, sans téléphone portable dont il est pourtant un adepte inconstestable, avec ostentation même, même pendant les sommets de dirigeants du monde entier. Parlant de La Poste, notre président l’appelle en effet à "poursuive résolument l’augmentation du nombre de timbres en taille-douce, pour aboutir dès 2009 à 30 % des émissions imprimées dans cette technologie". L’enfant Sarkozy qui a découvert l’art par un procédé de reproduction ne comprendra jamais l’essence même de la création "Je souhaite leur rendre hommage, car illustrer des sujets parfois abstraits, créer pour chaque timbre une œuvre originale sur une surface aussi petite, relève d’un véritable talent". Pour lui, reproduire est un talent, et le meilleur. N’a-t-il pas reproduit les trahisons de son prédécesseur à l’Elysée ? Encore un peu, et il vanterait les mérites des faux-monnayeurs, ces champions incontestés de la copie (et à Bojarski d’origine polonaise et ses fameux Bonaparte). Nicolas Sarkozy, enfant, a pris connaissance du monde qui l’entourait par des miniatures, ce qui pourrait expliquer sa vision réduite du monde actuelle. Ou sa difficulté à envisager le monde dans son ensemble. Il procède page par page, disons. Il colle et il range. Quitte à prendre la page au lieu du chapitre complet. Comme chez Yvert et Tellier. Pour ce qui est des copies, il faut savoir que la Poste émet déjà deux sortes de timbres comme le note un blogger connaisseur "elle émet des timbres dentelés-gommés pour les philatélistes, et très majoritairement des timbres autocollants pour le grand public". Des timbres pour les riches, et des timbres pour les pauvres ? La taille douce pour quelques-uns, la photo pour les autres ? Ce serait donc ça, la rupture annoncée ?

Et c’est là que nous vient la conclusion naturelle à la découverte de ce courrier ahurissant : notre président actuel a agi durant toutes ses années en faussaire de la République, en bernant les gaullistes, par exemple, en faisant croire aux électeurs du Front national qu’ils pouvaient voter pour lui, logique qu’il se présente comme le défenseur, aujourd’hui, des copieurs en représentation artistique. Il y a chez ce monsieur une fêlure que son poste suprême ne résoudra jamais, et l’exemple du timbre-poste en est l’exemple parfait. L’appel du 19 octobre de Nicolas Sarkozy, dédié au timbre gravé en taille douce, celui destiné aux seuls collectionneurs désormais, nous rappelle également à nous, ses administrés, que le président, fondamentalement, est un conservateur, voire un rétrograde. La gravure assistée par ordinateur, ou la simple copie photographique, ne remplacera selon lui jamais l’art du graveur manuel. Au moment où débutent des grèves historiques, on pourrait peut-être rappeler à notre président philatéliste que c’est son régime qui préconise l’extension de techniques dans le seul but de faire des économies. Le métier admirable de graveur de timbres, comme celui de Claude Jumelet, disparaîtra dans un monde où on se préoccupe fort peu de l’artisanat. Le monde qu’a choisi en politique Nicolas Sarkozy, qui, le soir, seul chez lui, feuillette une histoire passée et révolue. De lui ne restera peut-être, dans quelques années, qu’un billet de banque ou un timbre. Peut-être aussi, que pour lui, ce serait ça la consécration suprême, et non son élection à la tête de l’Etat. Tout le monde s’est trompé sur l’homme. Tout ce qu’il souhaitait, c’était de finir enfin son album commencé très jeune... par son portrait, gravé en taille douce, s’entend. Un geste qui "illuminerait" enfin sa vie ?

PS : l’album de timbres ne le quitte jamais, même à l’Elysée. C’est un gros classeur allemand de type Leuchtturm, photographié il n’y a pas si longtemps encore dans son bureau.


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