L’homéopathie et la santé publique

par Oliver Trets
jeudi 18 janvier 2007

L’homéopathie, pourquoi ça ne marche pas ? Existe-t-il une preuve de son efficacité ? Pourquoi tant d’acharnement à taper sur l’homéopathie ? Cette médecine fait-elle le trou de la Sécurité sociale ? Participe-t-elle à la surconsommation médicamenteuse du pays ?

La mémoire aquatique

Ne revenons pas sur les très grandes dilutions des médicaments homéopathiques, vous trouverez toutes ces explications sur le site des laboratoires Boiron ou sur Wikipédia . Même les partisans de l’homéopathie reconnaissent que la très grande majorité des granules ne contiennent pas de molécules de produit actif.

Attardons-nous plutôt sur ce qu’on appelle la "mémoire de l’eau". Selon ce principe, dont les études récentes ont toujours infirmé l’existence, une molécule d’eau garderait des traces de toutes les molécules avec lesquelles elle a été en contact à travers une modification de sa structure. Prenons une molécule d’eau n’importe où dans la nature (par exemple, dans une rivière) et suivons son parcours. Cette molécule va rencontrer une très grande quantité d’autres molécules : elle est mise en bouteille, elle est bue par un être humain, celui-ci l’évacue en urinant dans une cuvette de WC, ensuite, elle rencontre ses congénères dans les égouts de la ville, puis elle passe par une station d’épuration, elle parcourt de multiples kilomètres sur un fleuve et finit par se retrouver dans l’océan. Ensuite, le cycle se répète par évaporation, pluie, etc.
Cinquante ans plus tard, une entreprise qui fabrique de l’eau purifiée pour l’industrie pharmaceutique retrouve cette molécule dans de l’eau qu’elle doit purifier. Par on ne sait quel miracle, cet industriel ne se contente pas de fournir une eau vierge de tout résidu sec, mais il finit par se débarrasser de toute la mémoire de cette eau et de tout son passé acquis à travers les modifications successives de sa structure. A l’arrivée de cette eau dans un laboratoire de fabrication de médicaments homéopathiques, on peut donc réaliser des granules à partir d’eau "vierge" de tout contact moléculaire. Il réalise donc les dilutions successives et imprègne les granules qui seront ensuite prescrites par un médecin homéopathe.

Admettons que tout cela soit vrai, malgré toutes les concessions scientifiques qu’il aura fallu faire pour en arriver là. Admettons que le patient qui va ingérer ce produit ait la chance de tomber sur une granule qui contient en son cœur une molécule de ce principe actif. Le patient laisse fondre la granule sous la langue et la molécule est maintenant dans son corps. C’est là que se pose la question qui fait mal : comment le corps humain de ce patient parvient-il à réagir face à cette molécule, seule, au milieu des milliards de molécules que son organisme ingère, respire et secrète chaque jour ? La mémoire de l’eau est également valable pour le litre d’eau qu’il ingère quotidiennement, cette eau, même en bouteille, n’est pas purifiée, chaque gorgée d’eau représente donc l’équivalent d’un volume astronomique de granules composés de molécules qui se sont frottées durant des siècles à d’autres molécules et en ont donc mémorisé toutes les caractéristiques. Le corps humain de notre patient est donc confronté à une quantité phénoménale de "molécules à mémoire", il ingère sans le savoir d’immenses quantités de médicaments homéopathiques et on essaie de nous faire croire que le corps humain sait faire le tri dans tout ce magma de molécules et de traces de molécules.

Si ce principe médical n’est pas du charlatanisme, cela y ressemble de très près.

L’expérimentation comme dernier recours

Cependant, il faut continuer à faire les hypothèses qui s’imposent dans l’état de nos connaissances actuelles pour trouver une autre voie scientifique de validation de l’homéopathie. Admettons donc que le corps humain sache distinguer une molécule prise volontairement parmi les milliards de molécules qu’il ingère chaque jour. Il reste à en prouver l’efficacité contre la maladie. C’est à cela que s’acharnent les scientifiques homéopathes depuis plusieurs décennies. Les rares expérimentations scientifiques sérieuses (en double aveugle) n’ont jamais pu être reproduites (il en existe une centaine).

A ce jour, il n’existe absolument aucune preuve scientifique (théorique ou expérimentale) de l’efficacité de l’homéopathie, que ce soit sur l’homme ou sur l’animal, qui soit reproductible. Tous ceux qui l’utilisent (patients comme médecins) n’ont pour seule preuve que la popularité de cette médecine. On ne compte plus les exemples de nourrissons, de caniches ou de cochons d’élevage prétendument guéris par ces gélules homéopathiques. Toutes ces croyances individuelles sont inquantifiables, invérifiables et non reproductibles.

L’effet placebo s’exprime là dans toute son ampleur, et notamment dans la proximité de la relation qu’entretient une mère avec son bébé, ou un maître avec son caniche.
Le propriétaire d’élevage, lui, n’a pas de relation spécifique avec ses animaux, mais là, la réponse des antihoméopathes est toujours sans appel : Etes-vous certain que l’absence de médicament homéopathique n’aurait pas eu les mêmes effets ? Ce protocole de guérison est-il reproductible dans une expérimentation sérieuse ?

Autre argument des pro-homéopathes : "La preuve par l’expérimentation ne peut pas fonctionner comme pour les médicaments allopathiques car les mécanismes du fonctionnement de l’homéopathie sont trop complexes pour une basique expérimentation." Si ces mécanismes sont si compliqués, comment un médecin (qui n’est qu’un être humain) parvient-il à faire une ordonnance efficace contre la maladie ? Son savoir est-il fondé sur une métaphysique incompréhensible du commun des mortels ?

Et pour finir, la meilleure de toute : "L’homéopathie, c’est la proximité d’un médecin plus attentionné, c’est dans cette individualisation de la prescription que se trouve tout le secret de cette médecine." L’Oscillococcinum est prescrit par la publicité télévisuelle, je doute que nous ayons affaire, en l’occurrence, à une relation médecin-patient individualisée.
Le discours pro-homéopathique pédale en permanence dans la semoule de ses contradictions.
On peut donc rester sceptique sur l’efficacité de cette médecine.

Pourquoi tant de haine contre l’homéopathie ?

Soyons réaliste, les médecins homéopathes, les laboratoires homéopathiques et leurs patients sont certainement de bonne foi : ils croient à l’efficacité de cette médecine. L’homéopathie ne doit certainement pas son existence et sa persistance au fil des siècles à un quelconque complot mondial. C’est une médecine douce qui, si elle ne fait pas de bien, ne fait pas de mal non plus. Pourquoi alors ne pas laisser les gens croire ce qu’ils veulent et se soigner comme ils l’entendent ?

La raison est unique et les conséquences sont doubles. La raison, c’est le remboursement par la Sécurité sociale de cette médecine, et les conséquences, c’est le trou de la Sécu et la dérive de surconsommation de médicaments en France.

L’homéopathie et la Sécurité sociale

En France donc, les médicaments homéopathiques sont remboursés à 35% . L’homéopathie bénéficie d’une accréditation d’autorisation de mise sur le marché qui ne suit pas le protocole standard des autres formes médicamenteuses : l’homéopathie n’a absolument pas besoin de prouver son efficacité pour pouvoir être mise sur le marché (c’est également le cas avec la FDA américaine). M.Gilles Chauffrein (directeur général-adjoint du Laboratoire Boiron) explique que cette autorisation est justifiée par la loi grâce à une tradition historique d’utilisation. Le législateur considère donc que la tradition suffit comme démonstration scientifique de l’efficacité de l’homéopathie : ce traitement particulier est extrêmement étrange. Le législateur a d’autres comportements très étranges vis-à-vis de l’homéopathie. En effet, les très fortes dilutions (au-delà de 12CH) sont interdites à la vente en France, alors qu’elles sont en vente libre dans d’autres pays (en Suisse ou en Allemagne, par exemple). Pourquoi se retenir quand on franchit à si vive allure les limites du ridicule ?

Enfin, les médicaments homéopathiques aussi peu efficaces (voire moins) que certains médicaments allopathiques ne subissent pas de déremboursement pour cause de service médical rendu insuffisant : on attend toujours des explications claires de la part des ministères successifs de la Santé.

L’homéopathie coûte à la Sécurité sociale entre 100 et 150 millions d’euros par an. On est très en deçà du trou de la Secu (de plusieurs milliards d’euros), mais il faut savoir que la constitution de ce "trou" n’est que la répétition de multiples petits trous comme celui-ci. C’est à partir de beaucoup de ces petites économies que peut se réduire ce déficit.

Par ailleurs, si on rembourse l’homéopathie, pourquoi ne pas rembourser l’acupuncture, une séance de magnétisme ou une séance de n’importe quelle médecine parallèle et/ou obscure ?
Il semblerait que le législateur fasse du protectionnisme indirect pour l’industrie homéopathique du pays. Le Laboratoire Boiron (français) est leader mondial de la production de médicaments homéopathiques. Certes, comme se plaît à le minimiser son directeur, le poids financier de l’homéopathie sur le marché du médicament pharmaceutique est négligeable, mais manifestement, on n’a que faire de l’éthique médicale au sujet de l’homéopathie quand un leadership mondial est en jeu.

La surconsommation de médicaments en France

Il faut savoir que 20% de la production mondiale de médicaments homéopathiques est consommée par 1% de la population mondiale : cette population, c’est celle de la France. Nous sommes face à un problème de surconsommation médicamenteuse, même en ce qui concerne l’homéopathie. Mais convenons-en, il est préférable de surconsommer des médicaments homéopathiques que des allopathiques, c’est une question de santé publique et d’économie. Dans cet esprit, étant donné que 40% des Français sont consommateurs de médicaments homéopathiques, on pourrait presque considérer que c’est une bonne chose. Cependant, plutôt que de remplacer des médicaments allopathiques inutiles par de l’homéopathie tout aussi inutile, si on s’abstenait de consommer des médicaments pour rien ? En France, 95% des consultations chez un généraliste se soldent par une ordonnance. Dans certain pays européens, ce taux descend jusqu’à 43% (Pays-Bas).

La situation est ubuesque : considérant que les Français ne sont pas capables de comprendre qu’ils peuvent se passer de médicaments quand ce n’est pas nécessaire, on se contente de leur laisser ingurgiter le moins coûteux en s’abstenant de toute politique de santé publique intelligente. Il faut aller plus loin que "les antibiotiques c’est pas automatique", et lancer une campagne du genre "un médicament, est-ce bien le bon moment ?".

Actuellement, le ministre de la santé se plaint du manque d’automédication, il lui faudrait commencer par s’attaquer à la surconsommation médicamenteuse. Nos systèmes immunitaires se défendent très bien tout seuls pour la majeure partie des infections bénignes que nous subissons, il est grand temps de tomber du top 10 des pays les plus gros consommateurs de médicaments par habitant au monde. Pas besoin d’être bac +12 pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire : l’Etat n’a rien à perdre en éduquant la population sur ce sujet, on y gagnera autant financièrement qu’en qualité de la santé publique.

Si l’homéopathie est si fantastique, elle survivra à son déremboursement total et les articles comme celui-ci n’auront plus aucune raison d’être : qu’attendons-nous ?

Sources et références :


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