L’hommage appuyé de Charles de Gaulle à Pierre Laval

par Michel J. Cuny
mercredi 24 juin 2015

Pour autant que, pendant les quelques jours de 1940 où il a été en charge du sous-secrétariat d’État à la Guerre, Charles de Gaulle n’a pas hésité à jouer le jeu entamé par la Cagoule militaire autour du haut état-major français et de son principal instrument, le général Huntziger (Cf. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/1940-une-defaite-tres-bien-167846), il n’y a pas à s’étonner de son peu d’enthousiasme pour la Résistance telle que Jean Moulin est venu la lui présenter à l’automne de 1941. Quoi qu’il en soit de tout ce que la légende a pu fabriquer par la suite, De Gaulle n’a rien cédé que de très mauvaise grâce au futur créateur et premier président du Conseil de la Résistance.

Mieux… Entre l’armée de la défaite et la Troisième République bafouée jusqu’à mettre en cause les intérêts fondamentaux du pays, De Gaulle a choisi d’accabler surtout la seconde. Il ne cessera, à Londres, d’agonir d’injures ce qu’il appelle le "régime", c’est-à-dire ce qui ne fait sans doute que donner un trop beau rôle à l’impact du suffrage universel.

Sachant que le front de Sedan, placé sous la responsabilité du général Huntziger, n’était, en fait, qu’un château de cartes, De Gaulle, à Londres - et seulement moins d’un mois après l’assaut mené par le général Guderian -, entamait son œuvre de redresseur de torts :
« Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l’impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j’ai conscience de parler au nom de la France. » (Discours et messages, page 4)

Mais c’est encore parce que - pour avoir voulu faire du même Huntziger le généralissime des armées françaises - il connaît très bien la volonté de défaite qui animait les autorités militaires du plus haut niveau, qu’il n’hésite pas à lancer sur les ondes de la BBC dès le 26 juin1940 ce qui n’est qu’un malheureux bobard :
« La France a été foudroyée […] par la force mécanique offensive et manœuvrière de l’ennemi. Cela tous les combattants le savent. » (page 9)

Évidemment, après que l’armature militaire eut été brisée par la trahison des principaux responsables civils et militaires, il devenait difficile, pour quelque personnel politique que ce soit, de faire face. Or, De Gaulle, qui, dans la dimension militaire comme dans la dimension politique, avait vu de près depuis 1936 l’ensemble des manœuvres tendant à anéantir la dynamique de Front populaire, n’hésite pas à jouer les vierges effarouchées (BBC, 3 août 1940) :
« Et cet abandon, cette ruine, ces révoltes, au nom de qui sont-ils ordonnés ? Au nom du soi-disant Gouvernement formé dans la panique de Bordeaux, - je puis le dire, car j’ai vu, moi, comme cette horreur s’est passée - Gouvernement sans cesse défait et refait et qui n’est et ne peut être que l’instrument des volontés de l’ennemi. » (page 22)

Le Gouvernement, certes, et il en était… Mais l’armée, dont il était également ?... Dès le 8 août 1940, l’ancien compagnon des Huntziger et autres Groussard crache sur ses petits camarades - et lève par là même un coin du voile sous lequel lui-même ne cesse de dissimuler son passé très récent (BBC) :
« Enfin, ceux qui, chez nous, sont coupables d’avoir perdu la bataille, sont, me semble-t-il, les chefs qui la commandaient ou qui ont abusé de leur autorité pour nous amener à jeter nos armes quand nous les tenions encore. » (page 24)

Mieux : le 12 août 1940, De Gaulle va plus loin dans un aveu qui le concerne lui-même en tout premier lieu puisqu’il en a été le témoin direct (BBC) :
« L’ennemi et ses complices avaient su créer une atmosphère tellement délétère qu’ils avaient chloroformé la France. Ils avaient su faire croire à beaucoup que la capitulation était nécessaire parce que tout était perdu. » (page 25)

Et cependant, c’est la République qu’il met directement en cause, à travers ce parlementarisme issu du suffrage universel, direct ou indirect (Kingsway Hall, Londres, 1er mars 1941) :
« Certes, les abus du régime parlementaire, devenus intolérables, avaient eu pour conséquence un grave fléchissement de l’autorité dans l’État et dans les administrations. Certes, d’affreux scandales, politiques, judiciaires, policiers, avaient troublé l’opinion. Certes, on avait vu des agitations fâcheuses. » (pages 71-72)

Voilà pour ceux qui sauront comprendre… Mais, au-delà, il ne faut pas non plus fâcher tout le monde, et il ajoute :
« Mais de telles moisissures étaient superficielles. » (page 72)

Il est bien vrai que, pour finir, tout se perd dans tout… et qu’on finirait par ne plus savoir qui aura été complice de qui… Puisque…

Quant au personnage qui aura le mieux incarné l’abaissement moral de la France durant toutes ces années-là, De Gaulle saura, après guerre, lui rendre l’hommage le plus appuyé :
« Laval avait joué. Il avait perdu. Il eut le courage d’admettre qu’il répondait des conséquences. Sans doute, dans son gouvernement, déployant pour soutenir l’insoutenable toutes les ressources de la ruse, tous les ressorts de l’obstination, chercha-t-il à servir son pays. Que cela lui soit laissé ! C’est un fait, qu’au fond du malheur, ceux des Français qui, en petit nombre, choisirent le chemin de la boue n’y renièrent pas la patrie. Témoignage rendu à la France par ceux de ses fils "qui se sont tant perdus". Porte entrouverte sur le pardon. » (Mémoires de guerre, II, page 299)


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