L’honneur perdu de la presse

par Bruno Hubacher
mardi 4 décembre 2018

Heinrich Böll se retourne dans sa tombe.

Le vénérable quotidien britannique « The Guardian » a récidivé. Son prolifique reporter Luke Harding vient de publier un nouvel article tapageur depuis Quito, la capitale équatorienne, sur son thème fétiche, connu dans les milieux du renseignement sous le nom de « Russiagate ».

Selon le plumitif du quotidien britannique, des sources (?) indiqueraient que l’avocat américain Paul Manafort, directeur de campagne du candidat à la présidentielle, Donald Trump, remplacé en cours de route par Steve Bannon, aurait rencontré, en secret, le fondateur de l’ONG « Wikileaks », Julian Assange, dans l’ambassade équatorienne à Londres, à trois reprises, entre 2013 et 2016, une « information » relayée allègrement par de nombreux médias sans contre-vérification aucune.

Toujours selon le quotidien britannique, une liste, établie par les services secrets équatoriens (Senain) révèlerait que Paul Manafort aurait été un visiteur régulier de l’ambassade, ainsi que « des russes » (?). Bien que tout visiteur soit censé s’enregistrer à son arrivée, aucune inscription au nom de Manafort ne figure pourtant dans le registre en question.

On pourrait ajouter que celle-ci est surveillée 24 heures sur 24 par des douzaines de caméras, ainsi que par de nombreux agents de la Police métropolitaine. Mais, « une autre source » indiquerait que la dernière visite aurait duré 40 minutes (?) et que Paul Manafort fut « vêtu de chinos de couleur sable, d’un gilet et d’une chemise de couleur claire (?). » 

On sait qu’après le retrait de l’ancien président équatorien Rafael Correa à la fin de son troisième mandat et l’élection de son successeur Lenin Moreno, pourtant issu du même parti politique, de gauche, l’attitude de bienveillance à l’égard de Julian Assange avait brusquement changé, sous la pression du gouvernement américain, qui cherche par tous les moyens d’obtenir son extradition.

Par ailleurs, le Département de justice américain vient de révéler, par inadvertance, en mélangeant des contenus de documents judiciaires sans lien, la préparation d’une inculpation pénale contre le journaliste australien. Les principaux griefs des autorités américaines, surtout de la CIA, sont bien sûr la publication des journaux de guerre, afghans et irakiens, de l’armée américaine, publiés par Wikileaks, pourtant une activité journalistique typique, révélant, entre autres, l’assassinat d’une douzaine de civils irakiens et de deux journalistes de l’agence Reuters dans une attaque, opérée par un hélicoptère Apache de l’armée américaine, à Bagdad.

L'élément déclencheur de l'acharnement biparti, démocrate et républicain, si on peut dire, fut la publication des e-mails embarrassants au sujet des agissemts peu respectueux de la démocratie de la part de la candidate Hillary Clinton en 2016.

Ainsi le Guardian poursuit : « Ces révélations pourraient jeter une autre lumière sur les événements de l’été 2016 quand « Wikileaks » avait publié des dizaines de milliers d’e-mails en provenance et à destination du DNC, le Comité national démocrate, piratés par le la direction générale des services de renseignements russes GRU, successeur du KGB, ce qui, selon la candidate Hillary Clinton, aurait contribué à sa défaite face à son adversaire Donald Trump. » Julian Assange a pourtant affirmé à plusieurs reprises n’avoir jamais reçu d’informations d’une source gouvernementale (ndlr).

Accusé de blanchissement d’argent et d’évasion fiscale, Paul Manafort est actuellement détenu dans une prison de la ville d’Alexandria dans l’état de Virginie, état dans lequel se trouve également le quartier général de la CIA, à la disposition du procureur Robert Mueller, en charge de l’investigation sur les supposés liens illicites entre le candidat Donald Trump et le gouvernement russe.

Il faut dire que le scribe du « Guardian » n’est pas à son coup d’essai. Auteur d’un livre au titre évocateur « Collusion », et son sous-titre, non moins évocateur, « rencontres secrètes, argent sale et comment les russes ont aidé Donald Trump à accéder à la présidence », publié en novembre 2017, Luke Harding avait sans doute voulu partager, avec ses lecteurs, ses connaissances intimes des secrets inavoués des cercles du pouvoir russe, acquises en tant que reporter pour son journal entre 2007 et 2011 à Moscou. 

Dans une interview de l’émission d’actualité sur internet « The real news » diffusée depuis la ville de Baltimore le 19 janvier 2018, Luke Harding répond aux questions du journaliste Aaron Maté au sujet de son livre. Quelques extraits illustrent le sérieux et la rigueur journalistique des médias mainstream actuellement. Le lien se trouve en bas de page.

Luke Harding : « Cela commence par le premier voyage de Donald Trump à Moscou en 1987. Il faut comprendre qu’à l’époque les russes étaient très intéressés par le recrutement de personnes vulnérables, notamment d’américains, de personnes vaniteux et narcissiques, intéressés par l’argent. J’ai de nombreuses sources à Moscou, Londres et Washington. En outre, la fille de l’ambassadeur russe à Washington s’était rendue dans la tour « Trump » à New York pour flatter Donald Trump (?). Et vous avez le fameux voyage à Moscou pour l’élection de « Miss Universe » en 2013.

Aaron Maté : « Avez-vous des preuves d’une relation transactionnelle entre Donald Trump et le gouvernement russe ? »

Luke Hardin : « Le fils de Donald Trump a rencontré un avocat russe (?). Vous devez comprendre une chose sur l’espionnage russe. Le président Poutine n’est pas assis dans une cave (?) activant des boutons de commande (?) qui déclencheraient des événements aux Etats-Unis (?). George Papadopoulos, le conseiller en politique étranger du candidat Trump, avait rencontré un mystérieux professeur avec des contacts à Moscou. »

Aaron Maté : « Il n’y a pas de preuve pour cela. »

Luke Harding : « Soit vous vivez dans un monde empirique ou pas. Il y avait beaucoup d’activités de la part des renseignements russes ces dernières années, comparables à la période de la guerre froide, tel que l’assassinat de l’ancien espion russe Alexander Litvinenko en 2006 à Londres. J’ai lu un livre sur le cas (?) qui présente un volume important de preuves scientifiques. Le fait que les russes aient joué un rôle dans les élections présidentielles de 2016 est établi par les services secrets américains et tout le monde le reconnaît (?). Je suis un journaliste, un conteur. Je ne suis pas un responsable des services secrets.

Aaron Maté : « Pouvons-nous nous mettre d’accord qu’il n’y a pas de preuves de complot ni de piratage des élections américaines, mais plutôt des liens d’ordre financier entre Donald Trump et des oligarques russes ? »

Luke Harding : « C’est votre appréciation. Nous n’avons encore pas évoqué la personnalité de Vladimir Poutine qui était un agent du KGB, qui détestait Hillary et qui favorisait le candidat Donald Trump. Allez à Moscou et parlez avec les gens (?).

Lien sur l’intégralité de l’interview

http://www.youtube.com/watch?v=zvwcPOn5Iws&t=2s


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