L’horreur qui vient ou comment s’en débarrasser

par LilianeBaie
vendredi 22 juin 2018

L'horreur s'annonce, elle est à nos portes, elle est là. Dans nos entreprises, nos foyers. Dans nos cœurs. L'ultralibéralisme triomphant s'infiltre dans nos vies mais, aussi, dans nos pensées. Par nos votes, par notre passivité et, parfois, avec notre assentiment, nous laissons gagner l'oligarchie obscène qui a juré la mort de la démocratie sociale. La fin de notre démocratie.

La guerre actuelle est une guerre médiatique. Les armées en sont les médias de masse, les outils, tous ceux de la propagande et de la manipulation des foules, des journaux en ligne aux réseaux sociaux, de la télé au cinéma, du calendrier des événements politiques à celui des grands-messes destinées à distraire le peuple...

L'abrutissement généralisé qui nous conduit à l'impuissance se sert, paradoxalement, de ce qui devrait nous en libérer, c'est-à-dire de l'information. Un événement susceptible de nous émouvoir est monté en épingle au moment précis où un sujet controversé est traité à l'Assemblée nationale. Parfois même, notre attention est déportée sur un nouveau sujet d'indignation au moment où l'agrégation des indignations était en train de prendre. Ainsi, les 24h du Mans de l'information nous font tourner la tête sans que l'on ne puisse jamais relier les faits entre eux ni construire une réflexion, et encore moins une stratégie. Le maître des horloges, comme il s'est décrit lui-même, étant le chef d'orchestre incontesté de cette mise sous hypnose collective. Cela lui a bien réussi lors de son ascension fulgurante, pourquoi s'arrêterait-il en si bon chemin ?

Et ce chemin, c'est quoi ?

J'ai mis du temps à écrire ce billet parce que je baissais les bras à l'avance à l'idée de recenser toutes les atteintes à notre État social, aux droits de l'homme, toutes les attaques aux mécanismes redistributifs et protecteurs : tout y passe, des droits à la retraite, aux lois protégeant les salariés, du dépeçage des services publics à la vente au privé des biens publics, des aides aux pauvres et aux malades et handicapés, au droit d'asile et à la simple humanité qui nous fait obligation de protéger autrui de la mort.

Nous pleurons quand nous voyons un enfant s'enfoncer dans l'eau pour y mourir parce que les pays riches qu'ils ont choisi pour survivre ont décidé de ne pas organiser le sauvetage de nos frères humains qui se noient. Mais nous avons pleuré aussi lors du premier « démantèlement » d'un camp de Rroms, lorsque un enfant au regard triste regardait l'objectif après avoir assisté à la destruction de son habitation au bulldozer. On pleure une fois, et puis on s'habitue... C'est comme ça que ça marche. La montée de tous les totalitarismes, comme l'installation de tous les systèmes pervers, individuels et collectifs, se fait en général peu à peu. On se rend compte qu'on est dans la nasse, et complice, quand on a accepté sa reddition depuis longtemps, mais sans le savoir. Ainsi dans le cas des violences conjugales, certains spécialistes recommandent d'intervenir dès les premières claques car, souvent, celles-ci trahissent une emprise qui s'est déjà mise en place et, parfois, depuis longtemps.

Or, des claques, nous en avons déjà reçues. Beaucoup.

Je ne vais donc pas faire l'inventaire. Je vais juste rappeler que ce Président, et donc ses députés avec lui, avançait sous le couvert d'un manteau de lumière « en même temps » de droite et de gauche. Or il n'est ni l'un, ni l'autre. Pas de gauche, bien sûr, il est même à l'opposé de tout ce que représentent les valeurs de la gauche. Ne vient-il pas de dire qu'il faut « responsabiliser » les pauvres pour que les aides qu'on leur donne les conduisent à l'emploi ? Sinon quoi ? La mendicité ? Et les vrais responsables, les actionnaires qui licencient dans des entreprises bénéficiaires pour gagner encore plus d'argent, on ne les responsabilise pas ?

Mais il n'est pas vraiment de droite non plus : en tout cas, pas de celle qui a une tradition d'équilibre des pouvoirs, où on favorise les riches, certes, mais en restant un minimum humain et en respectant la démocratie.

Non, plus de ces freins passéistes, la start-up Nation va de l'avant, en écrasant les faibles, et en pressurant au maximum les classes moyennes.

La question est, dans la mesure où nos lois sont, encore un peu, démocratiques, pourquoi ça marche ? Pourquoi acceptons-nous cette action destructrice de ce que notre pays a mis des siècles a élaborer ? Et tout ça en quelques mois, même si le prédécesseur faussement de gauche avait bien avancé le processus, suivant celui de droite qui avait largement commencé cette politique d'alignement sur les USA et leur système politique.

Ma réponse à cette question dépend de ce que j'ai évoqué au début de ce texte. Le fait que la propagande ait pris le dessus dans pratiquement toutes les informations qui nous parviennent n'a pas qu'un effet d'influence : cela a un effet d'aliénation.

Et là, je vais avouer que je suis complotiste. Parce que tout va dans le même sens, celui de l'acceptabilité des mesures anti-peuple par le peuple. Et les moyens utilisés commencent par l'abêtissement global de la population par un enseignement où la part de l'histoire, de la géographie, de l'analyse, la capacité à comprendre et élaborer des textes complexes, l'enseignement des alternatives économiques au libéralisme sont réduits à la portion congrue. Cet abêtissement est favorisé par les programmes télévisuels abrutissants, où, souvent, la ridiculisation du plus faible est mise en avant, mais aussi par une surabondance de programmes visant à instituer la peur (séries policières, « enquêtes » sur la criminalité, etc.).

Et, pour les personnes qui ont, théoriquement, des capacités de réflexion, un autre mécanisme est utilisé : la connivence. Les pauvres et leur supposé manque d'ambition, les syndicats, et leurs stratégies d'un autre âge, les groupements politiques qui continuent à défendre un vrai projet de gauche, et leur « idéalisme dépassé », voire leur « radicalité » dangereuse et irresponsable : tout est fait pour amener les « bacs+3, 4, 5... » à se désolidariser des politiques alternatives au libéralisme triomphant, grâce à l'image volontairement dévalorisée de ceux qui défendent ces alternatives. On les convie à « ne pas être dupes » et « rester pragmatiques », du genre « on ne peut refuser la mondialisation ». Pensons au terme « islamo-gauchiste », ou à la systématisation des critiques du leader de la France insoumise, ou à la réduction volontaire de ce mouvement à l'image d'un rassemblement de groupies sans cervelle.

Depuis la première théorisation de la manipulation des foules par le neveu de Freud, Edward Bernays, dans son livre « Propaganda » (en accès libre sur le site de l’éditeur Zones, c'est ici) en 1928, les stratégies de « fabrique de l'opinion publique » ont fait d'énormes progrès. Aidés par les apports de la psychologie sociale et les recherches en marketing, les experts de la « comm' » en politique ont un véritable pouvoir et nous ne pouvons pas ignorer leurs stratégies sans courir le risque de se laisser mener à l'échafaud sans lever le petit doigt. C'est d'ailleurs ce qui se passe...

C'est difficile d'admettre que l'on s'est fait rouler. Combien des électeurs de Macron et des députés « en marche » reconnaissent qu'ils se sont faits avoir ? Peu. Soit ils disent « Il applique son programme », soit « Mélenchon est un rigolo et le PS on a déjà donné », soit « On n'allait quand même pas prendre le risque d'avoir Le Pen au pouvoir ». Sur ce dernier point, il faut savoir qu'une bienheureuse règle a empêché de publier les sondages avant premier tour sur une possible victoire de Marine Le Pen au second. En effet, dans le cas d'un duel avec chacun des principaux candidats, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, et Emmanuel Macron, Marine Le Pen perdait au second tour avec des taux voisins (c'est ici sur Wikipedia). Or, seul le duel Macron-Le Pen était officiellement sondé, ce qui a laissé croire qu'il était le seul à pouvoir la battre. Et voilà comment on modèle l'opinion publique.

Pour aider à comprendre

Souvent, si l'on entend parler d'une femme qui vit une violence conjugale on a cette réflexion « C'est qu'elle est d'accord, sinon, elle partirait ». Et bien non, ce n'est pas si simple. A cause de l'emprise. L'emprise, c'est un mécanisme qui se met en place par une succession de petites attaques avec, en alternance (ou... en même temps) des valorisations ou de la séduction. Très vite, la personne qui vit ce chaud-et-froid se met à guetter chez l'autre les signes de son mécontentement et à tenter de complaire à son futur bourreau dans l'espoir de retrouver le nirvana du début de la relation. Pour que ça marche, il faut que la victime ait peur, consciemment ou inconsciemment, et que le « maître » joue de la culpabilisation de ses victimes.

Ainsi, c'est la maltraitance qui crée l'emprise. C'est ce que j'appelle le syndrome de l'esclave : pour mettre quelqu'un en esclavage il faut mal le traiter. On induit ainsi une peur qui va le conduire à se culpabiliser et s'auto-dénigrer. La culpabilisation et l'infériorisation étant les deux leviers intimes actionnés par l'abuseur.

Cela ne vous rappelle rien ? Oui, c'est ce qui se passe souvent dans le management contemporain, où, sous prétexte d'autonomie, on prétend rendre les salariés responsables de leur projet, alors qu'ils ne sont souvent en aucune façon responsables des manques de moyens alloués pour réaliser le-dit projet. Il n'empêche, le but est atteint, non pas celui de la réalisation du projet, mais celui de la soumission du salarié, soumission qui passe par un sentiment d'infériorité et d'incapacité. En plus de la peur d'être mal noté, majorée par le spectre du chômage. C'est pour cela que les salariés actuels, comme les femmes maltraitées, tombent malades ou se suicident plutôt que de se révolter.

Selon moi, ces stratégies d'emprise sont utilisées au niveau des États, et pas seulement en France : c'est dans le monde entier que l'exploitation de l'homme par l'homme ne passe plus par des coups de triques, mais par une emprise qui fait penser aux victimes qu'elles ont plus à perde qu'à gagner à s'opposer à ce qu'elles subissent.

Ajoutant que, comme dans toutes les stratégies perverses, la pratique « diviser pour régner » est essentielle.

Et précisons aussi que, malheureusement, ces systèmes ne fonctionneraient pas sans les « jaunes » ceux qui appliquent les règles aliénantes en prenant garde de ne pas se poser de questions : le killer d'emploi qui ne réfléchit jamais à la souffrance que ses pratiques créent. Les actionnaires petits porteurs des fonds de pension qui ne pensent pas non plus à la question du coût humain de leurs petits bénéfices. Les cadres qui se laissent amener à mépriser leurs salariés comme s'ils étaient des fraudeurs et des fainéants alors qu'ils savent que les services fonctionnent avec des réductions grandissantes d'effectif...

Et, à un niveau plus global, ceux qui, bien que authentiquement de gauche, ne votent pas pour « ne pas se salir les mains » et qui, du coup, portent la responsabilité de l'élection d'un type plus à droite que ce que notre pays a connu depuis bien longtemps. Ceux qui votent contre leurs idées pour « voter utile », ce qui est utile à l'autre camp. Ceux qui propagent les opinions qu'on veut qu'ils aient sans réfléchir, mais en se croyant très malins. Ceux qui condamnent ceux qu'on leur désignent, à tort, comme les responsables de leurs maux : les salariés de base, les chômeurs, les fonctionnaires, les migrants, les étrangers, les musulmans, les bénéficiaires des aides sociales, etc.

Ceux qui disent qu'il y en a marre des cheminots parce que ça commence à bien faire, cette grève : oui mais, depuis quand une grève de deux mois est-elle ignorée aussi superbement par le pouvoir ? Et si le gouvernement était revenu sur son projet de privatisation, elle serait finie depuis longtemps, la grève... Et les mêmes, quand le service ferroviaire fonctionnera aussi mal que le fret ou le service du rail anglais privatisé, reviendront-ils sur leur point de vue ? Pas sûr. Parce que c'est difficile d'admettre que l'on a été manipulé. Et une fois qu'on a accepté la désignation d'un bouc émissaire, il est difficile de revenir en arrière...

Et ce monde va si vite que le lavage de cerveau est facile.

La seule façon de sortir de ce système, passe, selon moi, par le fait d'en dénouer les mécanismes, d'en mettre en évidence les stratégies cachées. Après, bien sûr, il va y avoir du travail, qui va nécessiter de s'engager et d'agir collectivement. Sans cela, on va tout droit vers l'horreur.

Et donc, en attendant cette mobilisation à venir, continuons à aller de l'avant, bons petits soldats obéissants que nous sommes, en marche vers l’abîme :

Une, deux, une, deux, une, deux...


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