L’inceste d’Emmanuelle Béart : un silence si bruyant
par Jean-Luc ROBERT
vendredi 8 septembre 2023
« Un silence si bruyant », qui sera diffusé sur M6 le 24 septembre, Emmanuelle Béart pulvérise quarante-cinq ans de silence. L’actrice de 60 ans révèle avoir été victime d’inceste pendant quatre ans, jusqu’à l’âge de 15 ans.
Un silence qui aura duré 50 ans et qui nous interroge encore sur le délai de prescription après l'inceste. Il est de 30 ans après la majorité. Sera-t-il possible qu'un jour il n'y ait pas de prescription ? Une chose est pourtant sûre... il n'y a pas de prescription pour la victime.
Élisabeth Badinter, femme de lettres, philosophe et féministe de longue date, a estimé en septembre 22, comme d'autres, qu’il n'était pas souhaitable de revenir sur les délais de prescription en matière de viols ou d'inceste, et a fait une comparaison qui a longuement été commentée : « Si on en finissait avec la prescription, cela voudrait dire qu’on assimile les violences sexistes à la loi contre les nazis, qui est le crime contre l’Humanité [imprescriptible], ce n’est pas possible. Il faut être logique : les violences faites aux femmes sont punies, mais enfin, est-ce que ce sont des crimes de l’Humanité, il ne faut pas exagérer, c’est même indécent ... Pourquoi ne pas porter plainte avant la prescription (...) Il faut prendre ses responsabilités. Je comprends très bien que ce soit difficile à évoquer pendant un certain temps, mais quand même 10 ans [depuis la loi de 2017 la prescription pour viol est de 20 ans, NDLR], ce n’est pas si mal ».
Que penser de ces propos qui ont déclenché un tollé notamment parmi les féministes et les femmes qui accusent PPDA d’agression sexuelle ou de viol ? Cécile Delarue, a qualifié de « naufrage » sur Twitter l’intervention d’Élisabeth Badinter.
Avec ces nouvelles révélations d'Emmanuelle Béart 50 ans après sa première agression, l'on peut à nouveau se poser cette question. Un discours commun aux victimes est de dire qu'elles se sentent coupables des années durant. Elles se mureraient dans le silence comme pour se protéger d'un trauma qu'elles voudraient nier, enfouir. Il nous semble alors qu'Élisabeth Badinter sous-estime ce phénomène psychologique qui amène les victimes à se taire, et parfois même à faire preuve d'amnésie.
L'amnésie, ou le refoulement, sont des phénomènes psychologiques auxquels le sujet a recours pour se défendre contre les évènements douloureux qu'il supporte. Il s'agit de survie ! Les psychanalystes vous expliqueront qu'il faut souvent plusieurs décennies pour se montrer capable d'affronter des démons qui ne nous ont jamais quitté. Alors 20 ans en cas de viol, 30 ans en cas d'inceste, c'est pas mal Mme Élisabeth Badinter, mais il faut comprendre que le temps s'est arrêté pour les victimes qui ont vécu de tels traumas.
Il faut enfin se demander pourquoi tant de femmes mettent 30, 40, ou 50 ans parler. Pensez-vous qu'elles sont toutes des gourdes qui auraient dû se réveiller avant ? Pensez-vous qu'elles puissent se dire : "Attention, il reste 3 ans avant la prescription, il va falloir que je me mette à parler ? " Le fonctionnement psychologique de l'être humain n'est pas celui d'un ordinateur (binaire) Mme Élisabeth Badinter.
Signons donc cette pétition pour que le gouvernement vote une loi pour une imprescribilité des agressions sexuelles de toutes sortes : https://chng.it/NqPf4Q9SzK