L’inceste et l’orientation sexuelle dans la société libérale

par hommelibre
lundi 9 mai 2011

Jusqu’où une administration d’Etat peut-elle s’immiscer dans la vie privée des gens ? Question récurrente. Dans le domaine de la sexualité la tendance générale en occident est de déclarer que l’orientation sexuelle est du ressort de l’individu et non de l’Etat. Ainsi en est-il par exemple de l’homosexualité.

Cette évolution ne s’est pas faite sans mal. La morale collective a toujours côtoyé la loi ou l’exclusion sociale. C’est dans la société libérale qu’une distinction claire est établie. Le fait que des personnes soient opposées à l’homosexualité, par exemple, ne concerne qu’elles. Un homosexuel n’est pas une personne commettant un délit pénal. Il peut vivre son orientation sexuelle en principe librement, sauf bien sûr en ce qui concerne les préjugés sociaux qui évoluent moins vite que la loi.

Alors que dans les régimes dictatoriaux et d’obédience fasciste l’homosexualité est un crime, passible parfois de la peine de mort, en société libérale elle n’a pas à être mesurée à la loi. Le libéralisme soutient la liberté de l’individu et de son orientation sexuelle (comme religieuse d’ailleurs). Cette liberté est prioritaire sur la morale sociale ou religieuse.

Dans le domaine des moeurs (mot en lui-même déjà connoté négativement, hélas), un tabou reste dans de nombreuses société : l’inceste. En France il ne tombe pas sous une loi pénale s’il est pratiqué entre adultes consentants. En Suisse il est considéré comme un crime même entre adultes consentants. Et la Suisse réfléchit justement, actuellement, à le dépénaliser. C’est un débat type sur le mélange entre la morale et le droit.

Considérons les principales positions quant à l’inceste.


L’anthropologie

La première position est anthropologique, telle que théorisée par Claude Levi-Strauss en 1947. Selon lui les premiers représentants de ce qui allait devenir l’humanité étaient peu nombreux. La lutte pour la survie dominait toute autre considération. Les clans, petits et fragiles à cause du faible nombre, et pouvant subir une fragilisation encore plus grande du fait des conséquences négatives de la consanguinité sur les enfants, étaient appelés à s’agrandir.

Une manière de s’agrandir était de former des alliances. La mixité inter-clans a été selon l’anthropologue la base des alliances qui ont rapproché les clans et ont assuré la survie de l’espèce. Il ajoute que par ces alliances l’humanité passait du stade de la nature - soit de la seule pulsion sexuelle, jusque là nécessaire à la reproduction et donc à la survie - à la culture : la réflexion sur le meilleur moyen de survivre et se développer, dût-on pour cela freiner ou encadrer les pulsions et les instincts.


Cette vision anthropologique est également soutenue en France par le pédiatre Aldo Naouri. Selon lui la sanction pénale agit comme un garde-fou et une dissuasion. La notion d’adultes consentant est ici subordonnée à la construction même des sociétés humaines. Toucher au tabou de l’inceste entre adultes consentants serait de nature à saborder le mur de soutènement de notre culture.


La liberté et la loi

Soutenue entre autres par Ruwen Ogien, la position juridique libérale issue des Lumières part d’un point de vue très différent. Pour lui la loi pénale doit sanctionner des crimes où il y a une victime clairement identifiable. Or dans un inceste entre adultes consentants il n’y a pas de victime, puisqu’il y a consentement.

La loi protégerait-elle les individus contre eux-même ? C’est la porte ouverte à tous les abus. On pourrait ainsi condamner une personne pour une tentative ratée de suicide puisqu’elle a attenté à une vie humaine, ou pour mettre sa santé en danger en fumant. On pourrait même aller plus loin en pénalisant l’homosexualité qui, dans l’absolu (donc indépendamment de l’insémination ou de l’adoption) mettrait l’espèce en danger en n’assurant plus sa reproduction. Le libéralisme ne reconnaît pas ces actes ou orientations comme des crimes, pas plus par exemple qu’il ne devrait reconnaître d’offense au drapeau d’un pays puisqu’il n’y a pas de victime clairement identifiée.

Le libéralisme, soit le fondement de la liberté telle que nous la connaissons, prône l’option de l’éthique minimale, celle où l’Etat ne va pas s’immiscer dans la conscience des gens ni diriger leur vie tant qu’il n’y a pas de victime réelle. Cette position est un garde-fou contre tout intégrisme ou contre tout mélange entre l’aversion émotionnelle et la rationalité.


Deux autres points de vue

Le premier est le point de vue médical. C’est le risque d’engendrer des enfants génétiquement amoindris à cause de la consanguinité. Mais ce risque n’exige pas une sanction pénale : une information claire devrait suffire.

Le second est le réflexe moral-émotionnel. La morale sociale et religieuse réprouve l’inceste. Peut-être est-ce l’expression d’un instinct sur le danger de la consanguinité. Mais la morale n’est rien d’autre que la pensée dominante d’une époque et d’une région, qui va entrer dans la tête des gens et décider pour eux ce qui est juste. C’est la peur d’être jugé négativement et d’être exclu qui fait obéir à cette morale. Pourquoi pas : la peur est un moyen désagréable mais efficace d’éducation. Cette morale se double d’un rejet émotionnel totalement irrationnel. On le voit dans les débats qui ont déjà eu lieu sur les blogs.

Mais la réaction émotionnelle n’a aucune légitimité particulière. Elle ne fait qu’exprimer l’aversion d’un individu ou d’un groupe pour une pratique donnée. On doit bien trouver quelque part des individus éprouvant de l’aversion pour la fellation, pour la différence d’âge ou de culture dans un couple, ou pour le fait de manger des escargots. Cela n’en fait pas des crimes.


Conclusion

Soyons un minimum rationnels et faisons la part des choses entre loi, morale et émotion. Ni l’aspect médical ni l’aversion émotionnelle ne justifient la pénalisation d’une relation sexuelle et/ou affective entre adultes consentants, quelles que soient les circonstances. Sans contrainte pas de victime. Trouver l’inceste dégoûtant ou immoral n’a aucune valeur juridique.

Restent les deux premières raisons. L’argument anthropologique est puissant et j’y adhère volontiers. Je pense que les enfants doivent aller chercher femme ou mari ailleurs que dans leur famille, car c’est ainsi qu’ils grandissent et peuvent apprendre à affronter le monde. Le repli sur la famille n’a aucun avenir. Je pense donc que l'inceste n'est pas chose souhaitable. Mais la loi ne doit pas l'interdire entre adultes consentant, le consentement d'une personne étant déterminante dans ses orientations de vie.

Mais l’argument libéral de la non-intervention de l’Etat dans la conscience des gens est un argument très fort aussi.

Il faut savoir si la loi doit être fondée sur la morale religieuse ou sociale, sur l’aversion émotionnelle, ou sur la rationalité.

La loi religieuse a pu inspirer nombre de fondements éthiques aux lois civiles et pénales. Pour autant elle ne décide pas directement des lois, sans quoi on passerait en théocratie. La réaction émotionnelle ne saurait non plus fonder une loi. Les règles d’une société, règles susceptibles de pénaliser la vie des individus, doivent être posées rationnellement.

Donc, dans la mesure où la notion d’adultes consentants est fondamentale dans la place donnée à la sexualité dans notre société, il faudrait logiquement dépénaliser l’inceste comme dans d'autres pays - que l’on soit pour ou contre n’étant pas le problème. Mais je pense que l’aversion émotionnelle irrationnelle aura le dessus et qu’il n’y aura pas de dépénalisation.


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