L’islamisme est-il une alternative ou un complément du terrorisme ?

par Gérard Dahan
samedi 7 novembre 2015

 
A. L'islamisme des Frères musulmans alternative au terrorisme de Daech ? [1]
 
La peur a très souvent été utilisée dans l'histoire en matière de manipulation.
Des partis extrémistes peuvent tenter de susciter un mouvement de repli en direction de "partis forts" qui peuvent sembler garantir la stabilité par une politique autoritaire.

Les Frères musulmans et leurs partis filialisés ont souvent utilisé ces procédés. Ennahda, filiale tunisienne des Frères musulmans et l'AKP filiale turque des mêmes Frères, pourraient développer une stratégie proche utilisant la violence à leur profit.

Ainsi, Rached Ghannouchi le leader d’Ennahda, après avoir encouragé les mouvements salafistes djihadistes et fait preuve vis-à-vis d’eux d’une réelle complaisance, semble avoir été dépassé par ces mouvements et pourrait bien avec les attentats meurtriers du musée du Bardo et de Sousse de mars et juin 2015, tenter de susciter un mouvement de peur et de "repli" face au gouvernement modéré de Béji Caïb Essebsi.
Depuis la signature en septembre 2014 d’un contrat entre Ennahda et la très controversée agence de communication de crise, Burson-Marsteller évalué par certains médias à 18 millions de dollars, Ghannouchi cherche à présenter l'islamisme comme le champion de la lutte pour la démocratie et le rempart contre le terrorisme.
C'est ce qu'il a déclaré à plusieurs reprises une semaine après la signature de ce contrat dans des conférences à Yale et Columbia et qu’il a renouvelé en novembre 2015 dans une interview au "Washington Post" :

"il ne s’agit pas d’une confrontation entre l’islam et l’Occident, mais plutôt d’un face-à-face entre l’Etat islamique et nous. » Rajoutant : « La compétition la plus importante à laquelle le monde assiste aujourd’hui est celle qui oppose le modèle proposé par Daêch et le modèle tunisien ».[2]
 
 
B. L'AKP, alternative au terrorisme du PKK ? [3]

On pourrait retrouver cette même stratégie de la peur et de présentation de l'islamisme comme alternative au "terrorisme" dans l'enchainement des évènements qui ont précédé les 2ème élections législatives turques du 1er novembre 2015.
 
Les 1ères élections législatives turques se sont déroulées le 7 juin 2015.
Lors de ces élections, l'AKP perdait la majorité absolue au parlement, majorité qu'elle détenait depuis 13 ans.
Cette perte pouvait être interprétée comme s'étant faite notamment au profit de l'HDP un parti de la gauche pro-kurde se présentant comme pacifique. En effet, deux jours avant les élections du 7 juin, un attentat avait lieu au milieu d'un rassemblement du HDP faisant 4 morts et 400 blessés et deux jours plus tard, le HDP remportait 13% des voix faisant perdre à l'AKP sa majorité absolue.

Y avait-il un lien entre l'attentat et le résultat des élections, il est très difficile de le dire. Ces élections ont été reconvoquées par Recep Erdogan quelques semaines plus tard le premier ministre ne parvenant pas à constituer un gouvernement. [4].

Mais pour les 2ème élections, le 1er novembre 2015, un autre attentat pourrait avoir été instrumentalisé en sens inverse.
Le samedi 10 octobre, 3 semaines avant ces secondes élections législatives, un double attentat suicide se produisait à Ankara juste avant le départ d'une manifestation pour la paix de partis (dont l'HDP), de syndicats et d'ONG proches de la cause Kurde, dénonçant la reprise des affrontements entre l'armée turque et la rébellion kurde. L'attentat fut extrêmement meurtrier faisant plus de 100 morts et 500 blessés.
Le journal Le Monde notait le lendemain :
"La Turquie est entrée dans une période de turbulences comparable à celles qui prévalaient jadis à la veille des coups d’Etat militaires (1960, 1971, 1980). La presse pro-gouvernementale, la seule autorisée à parler, n’a pas hésité à donner une interprétation fallacieuse des attentats de samedi matin à Ankara. (...) De leur côté, les médias d’opposition sont condamnés au silence. Sept chaînes de télévision connues pour leurs critiques envers le gouvernement ont brusquement été interdites d’émettre vendredi 9 octobre. (...) Vendredi 9 octobre, le rédacteur en chef du quotidien Zaman, Bülent Kenes, a été arrêté. Il est accusé d’« insulte au président ». Près de 300 journalistes et blogueurs ont été soumis à ce chef d’accusation depuis 2014".[5]
 
Une tactique de musellement des médias d'opposition qui ne surprend plus, tant la dérive dictatoriale de Recep Erdogan est aujourd'hui flagrante. L'agence BIA, spécialisée dans le traitement des informations relatives à la liberté d’expression et aux droits de l’Homme révélait dans un récent rapport, qu’entre juillet et septembre 2015 en Turquie, 28 journalistes avaient été poursuivis en justice et 24 autres emprisonnés.[6] On peut juste se demander cependant, comment se fait-il qu'un jour avant l'attentat d'Ankara, une partie des médias d'opposition aient été muselés ?

Le lendemain de l'attentat, le premier ministre turque citait comme auteur possible l'Etat islamique, le PKK ou un groupe d'extrême gauche (le DHKP-C).
La presse gouvernementale turque renvoyant au scénario de la 1ère élection, accusait l'HDP de "tirer profit des morts", les députés de l'AKP proclamaient "Nous avons vu à qui cela a profité" et le président Erdogan accusait explicitement le parti HDP d'être complice des terroristes du PKK.

Erdogan prononçait 3 jours de deuil national et l'HDP annulait toutes ses manifestations et regroupements publics avant les élections, par peur de nouveaux attentats.

Privé de réunions publiques, les temps de présence télévisuelle des partis d'opposition étaient cependant particulièrement déséquilibrés. Le journal Le Monde notait que rien qu'en octobre, sur la chaine TRT,
"M. Erdogan a bénéficié de 29 heures de temps d'antenne, et de 30 heures pour son parti contre cinq heures pour le CHP, une heure et dix minutes pour le MHP et dix-huit minutes pour le HDP."
 
Mais il semble que les accusations d'Erdogan et la campagne de l'AKP visant à associer l'HDP au PKK aient porté leurs fruits. Un certain nombre de gens ont craint le développement d'un climat d'insécurité et que l'HDP puisse entrainer la Turquie vers une déstabilisation.
Le 1er novembre 2015, contredisant toutes les prévisions des instituts de sondage, l'AKP regagnait la majorité absolue, obtenant 49% des suffrages contre une fourchette prévue de 37% à 43%.
Une très bonne opération pour Recep Erdogan qui, on le sait, souhaite modifier la constitution turque pour accroitre ses pouvoirs.


[1] En photo, manifestation à Istambul le lendemain de l’attentat d’Ankara dénonçant la responsabilité du gouvernement turc.
[2] http://kapitalis.com/tunisie/2015/1...
[3] AKP, Parti de la Justice et du Developpement, parti du président Erdogan, et PKK Parti des travailleurs du Kurdistan, en opposition armée avec la Turquie depuis 1984, demande l'autonomie.
[4] La constitution turque prévoit en effet l'obligation de refaire des élections en cas d'impossibilité de parvenir à constituer un gouvernement.
[5] http://www.lemonde.fr/europe/articl...
[6] "La presse d'opposition, bête noire de la Turquie d'Erdogan, se fait museler" http://www.tdg.ch/monde/presse-oppo...

Lire l'article complet, et les commentaires