L’islamisme, idéologie par défaut du printemps arabe

par LOUNÈS
lundi 14 novembre 2011

Toute Révolution est fondée autour d’une idéologie. Le Printemps arabe n’échappe pas à cette règle. L’objectif initial de la chute des tyrans et leurs régimes va nécessairement déboucher sur un choix idéologique.

La victoire du parti islamiste Ennahda, à l’élection de l’Assemblée Constituante tunisienne, s’inscrit dans une logique historique, politique et idéologique. Elle n’a surpris que ceux qui n’ont pas une connaissance sérieuse et réaliste des peuples arabo-musulmans.
Des faiseurs d’opinion évoquent une « contre-révolution », « un peuple qui a tort », « la perspective d’une démocratie à l’occidentale totalement éloignée ». (1)
Elle ne surprend pas les spécialistes pour qui « Les forces politiques les mieux organisées dans le monde arabe sont depuis longtemps les mouvements islamistes ».
Le mouvement des Frères Musulmans, dont continuent de se réclamer plusieurs partis islamistes actuels, n’avait été submergé et vaincu que par les nationalismes arabe et tiers-mondiste fondés sur le socialisme révolutionnaire anticolonial et anti-impérialiste.
Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, l’idéologie socialiste a été abandonnée dans les pays qui l’ont vu naître. Pourtant des partis arabes continuent de se prévaloir du vocable socialiste dans leur appellation, figés dans leur dogme.
Cette idéologie obsolète, vaincue par le libéralisme, n’a aucune chance de s’opposer aux islamistes. Quant à ceux qui se disent démocrates, républicains ou modernistes, ils ne font que cacher derrière ces vocables leur conception maçonnique de la laïcité, voire de l’athéisme ou de l’islamophobie.
L’électeur musulman n’a pas d’autre choix que de voter par défaut pour l’idéologie la plus explicitement ancrée dans son histoire, son identité, ses convictions et ses croyances.


Pourtant, il n’y a aucune raison de s’alarmer d’une éventuelle réédition de l’expérience algérienne, lorsque les généraux avaient annulé à tort, sous l’effet de la panique, les élections législatives remportées par le FIS en 1991. Les statistiques électorales de la Tunisie aujourd’hui, comme ceux de l’Algérie de 1991 sont presque semblables.
Moins de 50% du corps électoral ont participé à ces élections et des milliers de bulletins n'ont pas été validés (analphabétisme, indécision, mode de scrutin,...). Les résultats définitifs, mentionnant le nombre de votes blancs ou invalides, n'ont pas encore été publiés.Ennahdha a récolté 37% des suffrages exprimés qui lui donnent 41% des sièges, selon le mode de scrutin proportionnel.
Des milliers de votants n'ont pas de représentant à l'Assemblée en raison de la dispersion des voix. 14 partis et listes indépendantes, sur les 25 représentés à l’assemblée, n’ont obtenu qu’un seul siège.
Ennahdha a donc recueilli plus de 1,5 million de voix, soit 20% des 7,5 millions d’électeurs potentiels. En 1991, le FIS avait recueilli 25% des voix du corps électoral. On reste donc globalement dans les mêmes proportions.
Malgré la répression qu’avaient subie Rashed Ghanouchi et ses militants par le régime de Ben Ali, ils n’ont jamais appelé au jihad et la Tunisie n’a pas connu le terrorisme qui a ensanglanté l’Algérie.
Une scission historique a déjà eu lieu dans les années 1990, entre les salafistes comme Ali Benhadj, adeptes de la violence politique, et les islamistes modérés qui s’y sont opposés comme Ghanouchi et Mahfoud Nahnah, adeptes d’une logique de compromis.
C’est cette tendance pacifiste qui a toujours dominé dans une Turquie autoritariste jusqu’à l’aboutissement de la victoire de l'AKP, devenue aujourd’hui la référence et le modèle du mouvement islamiste arabe.
Les véritables questionnements d’aujourd’hui ne concernent pas la victoire de l’islamisme sur d’autres idéologies, mais les tendances dominantes à l’intérieur même des partis islamistes entre modérés et radicaux, selon les écoles de pensée, les leaderships, et leurs sources de financement.
Les Saoudiens continueront de financer et d’encourager les salafistes radicaux, pour faire apparaître leur propre wahhabisme ultraconservateur comme modéré.
Cela fait déjà plusieurs siècles que les pays arabes n’ont pas connu une évolution autonome de leur vie politique. A la domination de l’empire ottoman a succédé le colonialisme qui a étouffé toute expression politique. La décolonisation a aussitôt été remplacée par le néo-colonialisme qui a écarté la génération des nationalistes révolutionnaires au profit de dictateurs qui ont réprimé durement leurs peuples sur plusieurs générations.
Les retards politiques, économiques et culturels du monde arabe ne sont pas le seul fait de leurs peuples ni de leur religion, mais de la tyrannie occidentale judéo-chrétienne dont l’idéologie de domination remonte à l’époque des croisades et s’est poursuivie avec le colonialisme. La majorité des peuples musulmans, qui votent aujourd’hui islamiste, ne l’a pas oublié.


Saâd Lounès
13-11-2011
 
(1) http://www.kapitalis.com/afkar/68-tribune/6647-tunisie-les-editocrates-francais-repartent-en-guerre.html


Lire l'article complet, et les commentaires