L’ordalie victorieuse de F. Fillon face à la Droite des seconds couteaux

par Renaud Bouchard
lundi 6 mars 2017

« En ces jours de ténèbres nous avons une mission : apporter aux vaisseaux qui errent dans le noir la lueur obstinée d'un phare. »

Les Naufragés du Fol Espoir (H.Cixous, A.Mnouchkine, 2010)

F. Fillon a donc endossé le rôle de Félix Courage, patron de la guinguette des Républicains, résistant contre vents et marées à la trahison générale de ses compagnons politiques fuyant comme des rats le navire de la droite en perdition. Il semblerait qu'une fois de plus rien ne se soit passé comme prévu par ses détracteurs et compagnons aujourd'hui probablement plus décontenancés que jamais face à celui qu'ils ont voulu abattre. Le Golem Fillon est encore vivant et se promène dans les rues.

C'est une véritable crise politique que connaît actuellement la France à cinquante jours de l'élection présidentielle.

Il va donc falloir en sortir car quel que soit l'élu, le pays ne fera pas l'économie d'un débat de fond tant il ne peut s'en remettre pour les années à venir à un candidat téléguidé, créature politique artificielle de l'ex-pouvoir socialiste alors que son adversaire aura fait l'objet d'une tentative de mise hors-jeu dont la déloyauté est désormais évidente. A quoi joue-t-on exactement ?

Il n'est pas exclu que quelqu'un finisse par siffler la fin de la récréation et décide de chasser l'ensemble de ces guignols qui croient encore amuser la galerie.

Lâché par sa famille politique en 24 heures F. Fillon a donc remporté le pari incertain qu'il s'était fixé de se faire légitimer une fois encore par ses 40 ou 50000 partisans réunis ce dimanche 5 mars 2017 place du Trocadéro. Là encore l'intéressé aura largement eu le temps d'identifier ses contempteurs parmi ses amis de toujours.

http://www.francetvinfo.fr/politique/francois-fillon/affaires-fillon/recit-presidentielle-comment-francois-fillon-a-ete-lache-par-sa-famille-politique-en-vingt-quatre-heures_2077971.html

I- Rubicon et ordalie

F. Fillon a ainsi franchi un Rubicon médiatique et gagné son ordalie politique face à deux ennemis qui ont juré sa perte : l'Etat et le PS, la droite et sa propre famille politique.C'est là le symptôme d'un mal profond qui remonte à la crise de succession de l'ère Sarkozy, aux agissements de J-F. Copé, à l'arrogance d'A. Juppé, à la froideur de B. Le Maire et, pour tout dire à la déloyauté fondamentale de tous ceux qui, ne digérant pas la victoire de leur collègue à l'issue des élections dites primaires ont vu dans les fautes de F. Fillon l'occasion de lui planter des banderilles avant d'espérer lui donner l'estocade finale.

Le rassemblement parisien "devait démontrer que dans une crise politique, le peuple, en tout cas celui qui a voté pour moi à la primaire, était derrière son candidat et le projet de son candidat", a ainsi expliqué François Fillon, l'enjeu étant de savoir si son projet « est toujours soutenu par une majorité de la droite et du centre. C'est ce que je crois » et c'est ce que le rassemblement de cet après-midi a montré a-t-il encore déclaré.

Sa conférence donnée en fin de soirée lui a ainsi permis d'enfoncer le clou et d'asseoir quelques évidences en affirmant sans pouvoir être sérieusement contredit que c'était surtout un calendrier judiciaire qu'on lui imposait à quelques semaines de l'élection.

« Je constate , a-t-il dit, que le sort qui m'est fait est une première. Il n'y a jamais eu dans l'histoire de la Ve République une situation comme celle-là. Si j'avais été mis en examen il y a deux mois, je n'aurais pas été candidat », ajoutant : "Bien sûr, c'est fait pour m'empêcher d'être candidat. Et il faudrait que, parce qu'on m'impose ce calendrier, je renonce ?Personne n'a le pouvoir de m'obliger à retirer ma candidature. Cela ne veut pas dire que je ne discute pas, que je n'écoute pas, que je ne suis pas capable de dialoguer", pointant le fait que sa position a été "renforcée" par le rassemblement dominical de ses partisans. Interrogé par ailleurs sur la possibilité que le choix des Français aurait peut-être été différent s'ils avaient eu connaissance des emplois de sa femme, M. Fillon a donc eu beau jeu de rétorquer que ses soutiens ne se seraient pas réunis au Trocadéro s'ils n'avaient pas eu conscience que malgré les erreurs commises son projet est le seul qui peut permettre le redressement national.

II-Rebellion

En réalité, le point le plus notable de cette allocution est probablement cette remarque de F. Fillon qui a pris acte du divorce au sein de sa famille politique entre sa base électorale et un groupe de caciques désormais hostiles qui n'ont décidément rien compris et auxquels il s'est adressé en faisant valoir que : « Ce n'est pas le parti qui va décider. Ce n'est pas dans les coulisses qu'on va choisir.Ce ne sont pas des présidents de région ou des anciens candidats à la primaire qui vont prendre la décision à ma place » .

La droite est désormais en morceaux et il n'est pas sûr que la tentative de rapetassage politique à laquelle se livre la camarilla qui a tourné le dos au candidat vainqueur des « primaires » soit couronnée de succès avec le combat sournois des coteries partisanes travaillant, horresco referens, à une remake du Retour de la Momie en la personne d'un A. Juppé dont on rappellera qu'il avait clairement fait savoir (mais plus personne n'en est à un reniement près) qu'il ne serait pas le « Plan B » dans l'hypothèse d'un retrait de F. Fillon de la course présidentielle. Ledit Juppé ayant donc eu son dernier quart d'heure de célébrité avant que de disparaître dans la nuit politique avec le faux suspens de sa déclaration par laquelle il a finalement annoncé qu'il ne serait pas candidat à la présidence de la République, l'horizon n'est pas pour autant dégagé car il faut faire confiance à cette droite que G. Mollet qualifiait de plus bête du monde pour planter elle-même les derniers clous de son cercueil en cherchant encore un candidat dans ses rangs, à l'exception de F. Fillon.

Pour autant comment ce « politburo » des Républicains peut-il sérieusement imaginer bâtir une victoire sur le cadavre rêvé de F. Fillon sauf à vouloir disparaître avec lui ? Qui parmi tous ces has been du Bureau politique peut encore sérieusement croire qu’un candidat de droite et de substitution aurait la moindre chance d’accéder au deuxième tour des présidentielles ? Le constat est surprenant mais il faut se rendre à l'évidence : ce parti en perdition, ou plus précisément ses caciques complètement déconnectés de la réalité et de leur base électorale, n'ont pas perçu l’immense rejet de ceux qui furent ses électeurs et qui, ayant compris que leurs dirigeants avaient tenté de tuer le vainqueur des Primaires, ont décidé de les laisser s'entre tuer pour désormais sauver le soldat Fillon – quelles qu'aient été ses fautes – pour le conduire à la victoire.

Objet d'une réaction de la magistrature qui déclare vouloir défendre des principes mais ne réussira pas à effacer l'idée qu'elle n'est d'aucune impartialité dans cette curieuse affaire alors que le secret de l'instruction y est devenu une véritable passoire (comment accepter sans réagir que le JDD ait pu en effet accéder en toute tranquillité à 19 PV de l'enquête préliminaire ?http://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/exclusif-les-19-pv-de-laffaire-fillon/ar-AanNlDm), F. Fillon est manifestement traité comme un voleur de poules avec une suite de perquisitions effectuées chez lui tant à Paris que dans la Sarthe et destinées à le cadenasser juridiquement (http://www.lemainelibre.fr/actualite/affaire-fillon-le-chateau-de-beauce-perquisitionne-selon-le-parisien-04-03-2017-183592). A quand la déclaration d'ennemi public n°1 avec la saisine d'Interpol et un mandat d'arrêt international ?

III-Remise en selle ?

Mais le problème pour tous ses détracteurs et nouveaux adversaires est que F. Fillon a finalement gagné son ordalie. Il dispose désormais de ses parrainages nécessaires pour valider sa candidature, d'un électorat qui quoi que l'on puisse penser est venu lui manifester son soutien, et surtout d'un important trésor de guerre pour mener sa campagne tout seul, une campagne qui lui aura permis d'identifier ses ennemis qui se seront mis hors-jeu.

http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170303.OBS6081/si-fillon-resiste-c-est-aussi-dans-son-interet-financier.html

La conclusion s'impose tranquillement : face au vilain Macron-Clinton, face à un parti Républicain qui aura tout fait pour l'éliminer, il n'est pas impossible que la France dispose aujourd'hui de son petit Fillon-Trump en puissance.

L'avenir dira si la conclusion sera la même.

 


Lire l'article complet, et les commentaires