L’UE survivra-t-elle à la pandémie ?
par Clark Kent
lundi 30 mars 2020
Le coronavirus met à mal les notions de libre-échange et de libre circulation, à la fois causes et conséquences de la mise en place de l’Union Européenne. On peut même penser que la multiplication des échanges a fourni à l’ennemi public numéro un des conditions optimales de transmission, dans le temps et dans l’espace. Alors que la « crise des réfugiés » n’avait pas réussi à restaurer les frontières entre états membres, la pandémie donne soudain aux protectionnistes des arguments difficiles à contester.
La condition pour que l'UE survivre à un changement de ses règles de libre circulation serait de mettre en place une politique européenne de la santé et de mener sur l’ensemble de l’espace Schengen une action coordonnée et cohérente en particulier en ce qui concerne le suivi des personnes contaminées et la fourniture d'une assistance médicale d'urgence. L'objectif de contenir et d'éradiquer efficacement le virus ne milite pas plus contre la nécessité d'une politique à l'échelle européenne que contre la nécessité d'une action nationale coordonnée aux États-Unis. "L'Europe" n’est pas constituée que d’idéaux. Elle est incarnée dans des institutions qui savent imposer des règles quand il s’agit de renforcer la puissance des groupes industriels et financiers. C'est de l'efficacité de ces institutions pour affronter la pandémie que dépend sa survie, et non pas de la fidélité à des idéaux prétendument humanistes.
Or, là, il y a un os ! L’interrogation qui se fait de plus en plus jour sur l'avenir de l'UE provient de la faiblesse fondamentale de ses institutions centrales dans tous les autres domaines que ceux de la finance et de la monnaie. Alors que la commission s’en remet aux chefs d’états complices pour appliquer ses directives scélérates, la complicité est en train de se fendiller et les clivages sur les politiques de santé contradictoires d’un pays à l’autre pourraient finalement la faire éclater. Et c’est l’Italie qui a tiré en premier.
L'UE est divisée sur le coronavirus selon les mêmes axes que ceux qui sont apparus à la suite de la « crise financière » de 2008 et des gestions calamiteuses des dettes souveraines qui ont suivi : dans les deux cas, ce sont les pays du sud qui sont les plus touchés. L'Italie et l'Espagne représentent à elles deux près de 60% des cas de COVID-19 dans la zone euro et plus de 80% des décès. La moyenne des taux de mortalité en Italie et en Espagne réunies est de 9%, alors que la moyenne est de 2,5% dans le reste de la zone euro.
Ces chiffres qui n’ont rien de stable ni définitifs reflètent des réalités démographiques et organisationnelles différentes. Or, les structures budgétaires sont, elles aussi très différentes. Avant la crise, le ratio de la dette au PIB de l'Italie était bien au-dessus des limites que tous les membres de la zone euro sont censés maintenir. Aujourd’hui, son économie est au point mort avec le confinement. Mais les problèmes ne disparaitront pas quand la vie normale reprendra. Compte tenu de l'importance du tourisme dans l'économie italienne (13% du PIB contre 8,6% pour l'Allemagne), le pays est dores et déjà confronté à un vent de face à long terme, et il lui sera encore plus difficile de retrouver la prospérité que d’autres états de l'UE pourtant mis à mal, comme la France dont les PME sont mises en danger par une fermeture obligatoires (hôtellerie, restauration en particulier).
Ces problèmes seraient déjà de vrais casse-têtes pour un pays ayant le contrôle de sa monnaie, mais l'Italie, en tant que membre de la zone euro, n'a pas un tel contrôle. L'état italien ne peut pas faire marcher la planche à billets. Il faut demander à Bruxelles l'autorisation de dépenser - et les ministres des finances européens sont divisés sur les conditions dans lesquelles ces dépenses pourraient être autorisées.
Même si une solution est trouvée pour donner de l’oxygène à l'économie italienne à court terme, qu'en sera-t-il à la reprise ? La politique de la Commission et de la BCE face à la crise financière de 2008 et la crise de la dette des années 2010 permet de se faire une idée du scenario : Bruxelles s'efforcera d’obliger l'Italie et l'Espagne (mais aussi la France) à remettre leurs budgets en conformité, quel qu’en soit le coût pour leurs citoyens. Après les souffrances, frustrations et chocs psychologiques dus au confinement, ils pourraient bien subir des dommages économiques disproportionnés dans la foulée, alors que la priorité irait à la facilitation de la reprise dans les états du nord de l'Europe.
L'Union Européenne n'est pas un pays, et les idées de fédération, confédération ou d’Europe sociale, militaire, etc., ont toujours été éludées et remises à plus tard. Les puissances qui président à sa destinée se sont consacrés aux marchés, financier, commercial, et « marché » du travail en imposant des règles favorables à la rémunération des investisseurs. La pandémie risque de démontrer que, si l’UE n'est pas un pays, alors elle ne devrait tout simplement pas avoir des pouvoirs normalement réservés à une nation souveraine.