La 5ème République, une république de « factieux » (suite)
par Nicole Cheverney
jeudi 25 août 2022
LA Veme REPUBLIQUE, UNE REPUBLIQUE DE « FACTIEUX » - (SUITE)
Avec le piètre résultat de 3 % de suffrages exprimés aux législatives de 1956, le « Centre des Républicains Sociaux », un parti squelettique, personne n’aurait parié le retour aux affaires de De Gaulle.
- De Gaulle et Coty
Personne, sauf le « lobby gaulliste » qui s’agite en coulisses et dans les allées du pouvoir, y compris ceux, connus pour leur peu de sympathie pour le Général. On compte parmi eux, Maître Biaggi, du Parti Patriote révolutionnaire (PPR), de quelques anciens pétainistes qui réclament (pour régler le problème algérien), le retour de De Gaulle, Robert Poujade, très enthousiaste à l’idée de son retour possible. Mais il sera si déçu plus tard, qu’il préconisera le NON au référendum de septembre 1958.
Plus le lobby gaulliste travaille au retour du Général, plus Maurice Thorez (PC) et Etienne Fajon 1 envisagent l’idée d’un gouvernement de type Front Populaire, et plus se profile la forte probabilité d’un képi étoilé. Certains, moins au fait des transactions ourdies, évoquent la prise de pouvoir d’un Maréchal (Juin ? ). Ce sont les plus nombreux.
De son côté, la minorité agissante prépare le retour de l’ermite de Colombey.
Le journaliste publiciste Roger Worms, alias Roger Stéphane, rédacteur de « France observateur »2 dispose de bons tuyaux. Bien informé, informateur et conseiller de « l’ombre » du Général de Gaulle, il se fend d’un papier publié le 4 Juillet 1957.
Extrait :
« Encore difficilement perceptible dans le pays, (la campagne pro-gaulliste) est très sensible parmi les hommes qui forment l’opinion, ou du moins qui sont sensés la former. Nombreux, sont en effet les journalistes et les hauts-fonctionnaires qui, ayant soutenu il y a trois ans Mendès-France, se rallient aujourd’hui au nouveau gaullisme ».
On relèvera au passage, les termes choisis par Roger Stéphane : « les hommes qui forment l’opinion ».
Les desseins du Général.
De Gaulle, dans sa demeure de Colombey les Deux Eglises reçoit beaucoup, en cette année 1957. Les témoignages affluent des nombreux visiteurs qui viennent le rencontrer. Roger Stéphane fait bien entendu partie des plus assidus, et ses témoignages ne peuvent être mis en doute, c’est un intime du Général. Roger Stéphane confie à qui veut bien l’entendre, ce qu’il sait de l’aveu même de l’homme du 18 Juin. A savoir, que dès 1957, alors qu’il n’est même pas au pouvoir, de Gaulle est bien décidé à « larguer l’Afrique, l’Algérie comprise ». Mais la Direction de « France Observateur », le journal où travaille R. Stéphane ne l’entend pas de cette oreille et ne peut en accepter l’idée même. En porte à faux avec ses patrons, R. Stéphane démissionne : « ulcéré par tant d’incompréhension ».
De ses conversations avec le Général, Roger Stéphane a du moins, relevé deux points importants.
1/ Qu’il se prononce pour la reconnaissance d’un Etat-Nation algérien « dans le cadre d’un nouveau Commonwealth à la française, dans la droite ligne de son discours de Brazzaville ».
2/ Qu’il faut parler « d’indépendance », là, où l’on n’avançait jadis que le mot « autonomie ».
La messe est dite.
La propagande néo-gaulliste.
Hormis Roger Stéphane, l’on compte Félix Garas, le Général Guilhain de Bénouville, comme visiteurs assidus de Colombey. Ces deux hommes grenouillaient dans les milieux de « droite » ou d’extrême-droite, comme Guillain de Bénouville.
L’industriel avionneur Marcel Dassault oeuvre de son coté, pour « noyauter la droite au profit de De Gaulle ».
Car la droite, toujours frileuse envers de Gaulle, n’a certainement pas oublié l’épuration parfois sanglante, les règlements de comptes, la justice expéditive, les vengeances personnelles et de clan, des années 1944-1946 du camp gaulliste, et répugne à un rapprochement avec le Général.
Le « lobby » gaulliste, cherche même à se concilier les bonnes grâces des Monarchites, le fils aîné du Comte de Paris est sollicité.
Le 15 avril 1957, Félix Gaillard successeur de Bourgès-Maunoury démissionne. Renversé par une majorité hétéroclite (150 parlementaires modérés votent avec les 170 députés de gauche,) Félix Gaillard n’a toujours pas de successeur, lorsque l’insurrection du 13 mai 1957 éclate à Alger. « Depuis 1 mois, la France se trouve sans gouvernement », titrent les journaux.
Pierre Pflimlin à la tête du MRP, retire sa confiance à Georges Bidault. Les socialistes, par le truchement de Guy Mollet, déclarent : « Nous n’avons plus aucune place dans aucun gouvernement ».
Pflimlin, candidat malheureux aux élections, nuance ses propos sur la question de « l’Algérie française » et dans le Nouvel Alsacien daté du 23 avril 1958, il indique se séparer de Bidault et « préconise une politique fort libérale outre-Méditerranée. »
Traduire : envisager sérieusement l’indépendance de l’Algérie.
La Gauche (SFIO), a la mémoire longue. Elle se souvient que Pflimlin a occupé sous le régime de Vichy des fonctions d’attaché de presse. Donc, pas question pour les Socialistes de s’associer à Pflimlin qui doit se contenter d’une composition de parlementaires de Centre-droit, projetée comme suit :
- René Pleven : affaires étrangères.
- Edgard Faure : Finances
- Pierre Chevigné (de) : Défense Nationale
- André Mutter : Affaires algériennes.
Soit une composition de démocrates-chrétiens, de radicaux, et d’indépendants.
Les événements du 13 mai 1957.
En réalité, à l’aune des événements d’Alger qui viennent d’éclater, Pflimlin modifie la composition du cabinet, dans la fièvre des « grands jours ». La liste des ministres retoquée, c’est Guy Mollet, qui reçoit la Vice-Présidence du Conseil, l’Intérieur est confié à Jules Moch à la réputation d’homme à poigne et de briseur de grèves.
NB :
La liste de la composition du gouvernement se trouve en fin d’article - (tableau note bas de page).
L’insurrection d’Alger du 13 Mai 1958, inquiète grandement mais il règne comme une atmosphère ambiguë dans les coulisses, entre ceux qui savent et les autres tenus à l’écart du projet gaulliste, mais qui se doutent. Jacques Fauvet3, repère dans cette ambiance singulière, 3 pouvoirs :
1/ le pouvoir légal, concentré à Paris autour de l’Elysée, Matignon et le Palais Bourbon,
2/ Militaire, à Alger ,
3/ le pouvoir « moral » à Colombey les Deux Eglises, qu’est censé incarner l’homme du 18 Juin.
L’opinion publique, malgré la propagande, reste indifférente à toute considération engageant l’avenir. Des manifestations sont organisées par la gauche qui se borne à des défilés pacifiques, tandis que la droite, au parfum, s’apprête à « donner l’assaut au régime ».
Les grandes manœuvres du lobby gaulliste.
Les agents gaullistes s’emparent des manettes à Alger, tandis qu’à l’Elysée et Matignon, les complices parisiens préparent le retour.
15 mai 1957.
A Alger, sur le Forum, devant une foule subjuguée, le Général Salan dont la frilosité de sentiments envers de Gaulle est de notoriété publique, crie : « Vive de Gaulle » ! à la fois sous la pression de son entourage, et poussé par les circonstances.
De Gaulle, jusque là mutique, fait une déclaration à la presse où le doute de ses désirs de revenir aux affaires n’est plus permis. Pour les agents gaullistes, le « noyautage des éléments algérois » fonctionne à merveille.
Léon Delbecque, gaulliste inconditionnel, collaborateur de Jacques Chaban-Delmas, avoue à la presse avoir été l’organisateur des événements du 13 mai.
« Aux fonctions que j’occupais, je me suis occupé d’être au bon endroit, au bon moment, pour détourner vers le Général de Gaulle ce soulèvement qui devait se produire ».
De Gaulle fait une déclaration :
« Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui (le pays), qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République ».
Pour les initiés, les habitués de la dialectique gaullienne, les parlementaires de l’opposition s’inquiètent. Ils redoutent une « dictature ». Ils savent que la IVe Republique n’en a plus pour très longtemps. C’est une affaire de jours. Mais que sera le futur ?
Les tractations se multiplient, chacun voulant son bout de gras, les courtisans affluent. Edgard Pinay, en tête.
L’observateur Jacques Fauvet note :
« Pour que le Général revint au pouvoir dans la légalité, il fallait deux conditions : une grande peur qui forcerait la décision du Parlement et, compte-tenu de sa composition, un ralliement difficile, celui de la SFIO ».
Le Parti Socialiste devient donc, la pierre angulaire du retour du Général, et la légalité de sa prise de pouvoir.
« Son ralliement sera la pièce maîtresse du gaullisme sur l’échiquier parlementaire ».
Sans les Socialistes, pas de De Gaulle !
Guy Mollet (SFIO), dans le dos de Pflimlin, adresse à de Gaulle un courrier confidentiel. Vincent Auriol, (SFIO), écrit de son côté à Colombey lui assurant son soutien.
Les 26 Juin 1958, une rencontre secrète a lieu à St-Cloud entre de Gaulle et Pflimlin. Il y est question de l’opération « Resurrection » et la préparation du coup d’État militaire qui renversera le régime.
Le 27 Juin 1958 : à l’issue de l’entrevue, le Général annonce très officiellement « le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain… J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs : le général Salan, l‘amiral Auboyneau, le général Jouhaud. A ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre contact avec eux ».
Le 28 Juin 1958, le coup de force militaire a lieu, de nuit, avec la démission du cabinet Pflimlin, malgré une confortable majorité au Parlement : 408 contre 165.
La CGT organise une grève générale, mais, surprise, « ses troupes ne suivent pas ».
Pas plus que les maigres manifestations organisées par la gauche, de Nation à République.
Guy Mollet explique cela en prétendant que « la classe ouvrière n’est pas disposée à se battre pour cette forme disqualifiée de la République que représentait une République parlementaire impuissante ».
Tout le monde semble rentrer dans le rang, sous les fourches caudines gaullistes. La réponse à cet énigmatique verbatim de Guy Mollet, est bien sûr ailleurs.
…/…
NB :
Président du Conseil |
Pierre Pflimlin |
Vice-Président du Conseil |
Guy Mollet |
Ministre d’État chargé du Sahara |
Edouard Corniglion-Molinier |
Ministre d’État |
Felix Houphouet Boigny et Max Lejeune |
Garde des Sceaux |
Robert Lecourt |
Affaires Étrangères |
René Pleven |
Intérieur |
Jules Moch |
Algérie |
André Mutter |
Information |
Albert Gazier |
Institutions européennes |
Maurice Faure |
Défense Nationale & Forces armées |
Pierre de Chevigné |
Finances, Affaires économiques & Plan |
Edgard Faure |
Education Nationale |
Jacques Bordeneuve |
Travaux Publics, Transport & Tourisme |
Edouard Bonnafous |
Industrie et Commerce |
Paul Ribeyre |
Agriculture |
Roland Boscary-Monsservin |
France d’Outre-Mer |
André Colin |
Travail & Sécurité Sociale |
Paul Bacon |
Santé Publique & Population |
André Maroselli |
Reconstruction & Logement |
Pierre Garet |
Anciens Combattants & Victimes de guerre |
Vincent Badie |
1Etienne Fajon : Député communiste de la Seine.
2Roger Worms : dit Roger Stéphane, écrivain, journaliste.
3Jacques Fauvet : journaliste, il fut aussi directeur du Monde.