La bataille de Gergovie... Gergovie, c’est Le Crest
par Emile Mourey
lundi 3 mars 2025
La bataille de Gergovie, texte de Jules César, traduction et interprétation : Emile Mourey, Lt-colonel en retraite, carrière courte, 92 ans, d’origine saint-cyrienne, scolarité classique (latin). Dictionnaire latin préféré : le Gaffiot. Auteur de plusieurs ouvrages d’Histoire qui dérangent. Un latiniste comme il n’en existe plus guère dans la société militaire française contemporaine.Revue Le Casoar, avril 1994.
Venant du nord par l'itinéraire normal qui mène à l'Auvergne, César arrive en vue de Gergovie. Sa cavalerie est en avant-garde. Il s'empare du point haut d'Orcet et y établit son PC d'observation et de commandement. Après un petit combat de cavalerie "facile", il établit son grand camp en contre-bas.
César venait du Nord. Il descendait plein sud. Comme tout bon militaire, il se déplace de points forts du terrain en points forts du terrain. C'est la montagne de Flavigny dont il s'est emparée en arrivant à Alésia. C'est de là qu'il avait étudié la situation, qu'il avait décidé d'en faire le siège. C'est au pied de la position conquise et sous sa protection qu'il avait installé son grand camp K (DBG VII, 69). À Gergovie, le scénario ne peut être que le même. C'est la butte d'Orcet dont il s'empare.
C'est de là qu'il fait son observation et qu’il décide de sa manoeuvre. C'est à son pied que son grand camp s'installe... Venant du nord par l'itinéraire normal qui mène à l'Auvergne, César arrive en vue de Gergovie (De Bello Gallico, VII, 36, 1). Sa cavalerie est en avant-garde. Après un combat de cavalerie "léger", il établit son grand camp au pied de la butte d'Orcet et y installe ses légions.
Déjà, à partir de là, on aurait dû comprendre que la cavalerie gauloise n'était pas déployée en avant du plateau dit de Gergovie, mais en avant de la ligne de hauteurs d'après : la montagne de La Serre.
César voit la ville (urbs) "posée" sur un ‘’mons très haut", difficile d'accès. Il s'agit de la ville du Crest toujours existante. Vercingétorix avait installé ses camps sur le mont, près et en avant de l’oppidum (prope). L’oppidum, c’est la haute fortification dont on voit la dernière tour qui se dresse au sommet, surplombant la ville ; mais cela désigne aussi tout le plateau de La Serre défendu naturellement par ses flancs abrupts. Séparés par un simple intervalle, les camps sont autour du chef arverne (Vercingétorix étant sur le point haut). Toutes les pentes de la ligne de crête sont occupées, horrible spectacle (horribilem speciem)... En face, il y a une (collis), là d’où est prise la photo. Dans le langage militaire de César, ‘’collis’’, est une pente. Il comprend que la ville gauloise du Crest - véritable Gergovie - protège son flanc nord en tenant la position fortifiée de La Roche-Blanche, (DBG VII,37,6).
Dans le silence de la nuit, César sort de ses grands camps et avant qu'on ne puisse venir les secourir de l'oppidum, il déloge les Gaulois de la position.
Maître de la place (en bas, à gauche), il y installe deux légions. Il relie les grands camps aux petits camps (de ces deux légions) par un double fossé de douze pieds de large, en sorte que même les hommes isolés peuvent y circuler librement à l'abri d'une attaque soudaine de l'ennemi (DBG.VII, 37, 7). Ce double fossé a été retrouvé, mais on a cru que c'était pour attaquer le plateau de Gergovie des archéologues, direction Nord, alors que c'était pour attaquer Le Crest, direction sud. Incroyable ! On n'a même pas envisagé cette possibilité !
Etant venu à La Roche-Blanche pour inspecter les travaux des petits camps, César remarque que le versant (de la montagne de La Serre, en bleu) occupé par les Gaulois, comme il a été dit, est "nu” d'hommes alors que les jours précédents, on ne pouvait qu'à peine en voir le sol tant il y avait foule. Surpris, il en demande la raison aux déserteurs qui chaque jour arrivent en grand nombre dans ses lignes. Tous confirment ce que César savait déjà par ses espions, à savoir que le dos de cette crête était presque plat, mais boisé et étroit à l'endroit où l'on y a accès (Chadrat ou Chadort, en bleu sur la carte ci-dessous). Les Gaulois craignaient beaucoup pour ce point car ils se rendaient compte que si les Romains, après avoir occupé un versant (celui que César contrôle depuis La Roche blanche) leur prenaient l'autre versant (de ce côté), ils se trouveraient presque encerclés et ils n'auraient plus de chemin libre, ni pour sortir, ni pour fourrager. Vercingétorix les avait tous rappelés pour fortifier cet endroit.
LA RUSE DE CÉSAR
César envoie de ce côté plusieurs escadrons de cavalerie ( en rouge) au milieu de la nuit (en contournant la position par la gauche). Il leur recommande d'aller un peu partout en faisant un peu plus de bruit que d'habitude.
A l'aube, il ordonne que l'on fasse sortir des camps un grand nombre de (chariots de) bagages, ainsi que des muletiers coiffés de casques, et il donne comme consignes qu'on les conduise par un mouvement tournant (en rouge) prendre à revers les versants comme le ferait une troupe à cheval. Il les renforce de quelques cavaliers qui ont reçu la mission de rayonner plus loin dans le seul but de se montrer. Il précise en outre dans ses ordres que c'est en faisant un long détour qu'il faut diriger tout ce monde-là vers l'objectif fixé.
.. De l'oppidum, on voyait tous ces mouvements de loin, car de Gergovie, la vue plongeait sur les camps, mais à une telle distance, il n'était pas possible d'observer ce qu'il en était dans le détail. En outre, César envoie en direction de la crête une légion et après un début de progression, il la fait obliquer vers un lieu bas et la cacha dans les bois.
L'inquiétude grandit alors chez les Gaulois. Ils appellent toutes leurs troupes sur les retranchements qui leur semblent être menacés (à Chadrat). Lorsque César se rend compte que les camps des Gaulois sont vides (de son côté), il fait passer des soldats par groupes fractionnés des grands camps dans les petits camps (de la Roche-Blanche). Les insignes et les enseignes avaient été dissimulés de façon que, de l'oppidum, on ne remarquât rien. Il explique aux légats qu'il a placés à la tête de chaque légion ce qu'il veut que l'on fasse. II les exhorte en premier lieu à maintenir la cohésion des troupes en veillant à ce que les soldats ne se laissent entraîner trop loin, ni par l'ardeur des combats, ni par l'espoir du butin. Il leur explique ensuite à quel point le terrain leur est défavorable. Pour remédier à cette situation, un seul moyen s'offre à eux : la rapidité. Le succès de l'opération reposait non sur le combat mais sur l'initiative. César donne le signal de l'assaut et il envoie en même temps les Eduens par une autre montée.
Opération militaire classique du type coup de main. Il s’agit d’éloigner l’adversaire sur un point qu’il croit menacé et d’attaquer par surprise, brutalement et en force, l’endroit dégarni de troupes, moins bien défendu, pour s’emparer de la position, avant que l’adversaire revienne en force.
La distance entre la muraille de l'oppidum et la plaine était à vol d'oiseau de mille deux cents pas, comptés à partir de l'endroit où la montée commençait (c'est exact). Il fallait ajouter à cette distance celle des détours qui rendaient la montée plus facile mais augmentaient la longueur du chemin. Les Gaulois avaient dressé en avant de l'oppidum, à mi-pente, dans la longueur, tout en suivant le relief de la position, un mur en grosses pierres de six pieds de haut (1m80), pour briser l'élan des Romains. Il s'agit du mur d'enceinte normal de la ville déjà existant et toujours existant mais à l'état de ruines.
Au signal donné, les légionnaires se portent rapidement vers le retranchement gaulois et après l'avoir franchi, ils se rendent maîtres de trois camps (à droite). L'action fut si rapide que Teutomatus, chef des Nitiobroges, surpris dans sa tente en train de faire la méridienne, torse nu, sur son cheval blessé, n'échappa que de justesse aux soldats qui couraient au butin.
L. Fabius, centurion de la VIIIème légion, avait dit à ses hommes ce jour-là — le fait est établi — que les récompenses accordées à Avaricum stimulaient son ardeur et qu'il avait décidé d'escalader le mur avant quiconque. Entraînant avec lui trois manipules - un manipule = deux centuries, soit 600 hommes - il se fait soulever par eux et franchit le mur. Puis, il les fait passer, les uns après les autres.
Ayant atteint son objectif, conformément au scénario qu'il avait prévu, César donne l'ordre de sonner la retraite et, haranguant les soldats, il fait dresser les enseignes pour rassembler la dixième légion avec laquelle il marche. Mais les soldats des autres légions n'entendent pas la sonnerie de trompette à cause du vallonnement qui les séparait de César. Malgré les efforts des tribuns et des légats qui essaient en vain de les retenir comme César l'a prescrit, les soldats ne s'arrêtent pas. Transportés par l'espoir d'une prompte victoire, encouragés par la fuite des Gaulois et par le souvenir de leurs anciens succès, ils se persuadent qu'il n'y a aucun obstacle que leur courage ne peut surmonter. Ils ne cessent la poursuite qu'une fois arrivés au pied de la muraille de l'oppidum, puis ils se dirigent vers les portes (Petronius, en haut, à gauche).
Alors, dans toutes les parties de la ville, une clameur éclate. Ceux qui sont plus loin, terrifiés par ce tumulte soudain, pensent que l'ennemi a franchi les portes et sortent précipitamment de l'oppidum (par la porte est, hors croquis). Les mères de famille jettent du haut des murs des étoffes et de l'argent. Les mains ouvertes dans le geste des suppliantes, elles font saillir leur poitrine nue, elles demandent aux Romains de jurer d'épargner les femmes et les enfants et de ne pas recommencer ici ce qu'ils ont fait à Avaricum. Plusieurs même, descendant des murs en s'agrippant aux pierres, se livrent aux soldats.
Pendant ce temps-là, les Gaulois qui s'étaient regroupés à l'autre bout de l'oppidum (à l'autre bout du plateau de La Serre, lieu dit :Chadrat) pour y travailler aux retranchements, comme nous l'avons expliqué précédemment, entendent tout d'abord la clameur. Informés ensuite par ceux qui, nombreux, viennent leur annoncer que l'oppidum est tombé aux mains des Romains, ils se précipitent en masse et au pas de course (vers l'oppidum), en se faisant précéder de leurs cavaliers. Au fur et à mesure qu'ils arrivent, ils se placent au pied des murs et viennent grossir toujours davantage le nombre des combattants. Lorsqu'ils furent une multitude, les mères de famille qui, un instant plus tôt, tendaient les mains vers les Romains du haut des murs, se tournent vers les leurs en les adjurant et en leur montrant leurs cheveux défaits suivant la coutume gauloise. Puis, à bout de bras, elles lèvent leurs enfants vers eux. La position et le nombre jouent contre les Romains. La lutte est trop inégale. Epuisés par la course et par le prolongement du combat, les Romains résistent difficilement face à des troupes fraîches et intactes.
Voyant que les siens combattent dans une position défavorable, que le nombre des ennemis augmente sans cesse, pressentant par ailleurs que les choses vont mal tourner, César fait porter au légat T. Sextius qu'il avait laissé à la garde des petits camps le message suivant : « Fais sortir de toute urgence tes cohortes. Installe-les solidement au bas du versant, sur le côté droit face à l'ennemi pour le menacer et gêner sa poursuite au cas où les nôtres seraient rejetés de la position. » César, quant à lui, s'étant avancé avec sa légion un peu en avant de la position sur laquelle il s'est rétabli, attend l'issue du combat.
FAUSSE MANŒUVRE DE CÉSAR ?
Le corps à corps était d'une âpreté exceptionnelle. Les Gaulois avaient l'avantage de la position et du nombre. Les Romains plaçaient leur espoir dans leur valeur militaire.
César avait envoyé les Eduens, à droite, par un autre chemin dans l'intention de leur faire exécuter une manœuvre à distance. Soudain, on vit ces Eduens arriver sur le flanc découvert des légionnaires. Leurs armes étaient semblables à ceux d'en face. La panique se mit dans les rangs, et bien que les nouveaux arrivés aient présenté leur épaule droite découverte — ce qui était le signe de reconnaissance convenu — les Romains crurent que c'était une ruse.
ÉCHEC DE L'ATTAQUE ROMAINE CONTRE L'OPPIDUM
Pendant ce temps, le centurion L. Fabius et ceux qui avaient escaladé la muraille en même temps que lui étaient encerclés, puis massacrés et jetés au pied du rempart.
M. Petronius, centurion de la même légion, s'efforçait d'enfoncer les portes. Accablé sous le nombre, couvert de blessures et se voyant perdu, il s'écrie à l'adresse des soldats de son manipule qui le suivaient : « Puisqu'il ne m'est pas possible de me sauver avec vous, laissez-moi au moins assurer le salut de vos vies que mon amour de la gloire a mises en péril. »
Ayant prononcé ces mots, il se précipite au milieu des Gaulois, les tue deux par deux et fait reculer un peu les autres de la porte. Et comme ses hommes viennent à son secours, il ajoute : « Vous voulez me sauver la vie. Votre tentative est vaine, j'ai perdu trop de sang et mes forces m'abandonnent. Partez d'ici, il est encore temps, rejoignez la légion ! »
Puis, les armes à la main, il tombe au champ d'honneur en sauvant la vie des siens.
RECUEIL DES LÉGIONS EN DÉROUTE ET DÉCROCHAGE DES LÉGIONS PLACÉES EN SOUTIEN PAR ÉCHELON SUCCESSIF
Après avoir perdu quarante-six centurions, les Romains, pressés de tous côtés, furent rejetés de la position.
Les Gaulois les poursuivaient de très près. Heureusement, la dixième légion, qui s'était établie en réserve sur une position où le terrain était un peu moins en pente, brisa leur élan.
A leur tour, les cohortes de la treizième légion, que le légat T. Sextius avait fait sortir des petits camps et installer sur un point haut, assurèrent le recueil de la dixième légion.
Dès que les Romains arrivèrent dans la plaine, ils retournèrent contre ceux qui les poursuivaient les enseignes un moment mises en péril.
Vercingétorix, qui était descendu avec les siens jusqu'au pied du versant, les ramena alors à l'intérieur des fortifications. Ce jour-là, les Romains déplorèrent la perte d'un peu moins de sept cents hommes.
PAUVRE DISCOURS D’UN CÉSAR VAINCU.
Le lendemain, César, devant le front des troupes, blâma la témérité et la cupidité des soldats. « Vous avez décidé de vous-mêmes ce qu'il vous semblait bon de faire, fixant vous-mêmes la limite de votre action. Rien n'a pu vous retenir, ni le signal du repli, ni les tribuns, ni les légats. »
Il leur expliqua ce qui faisait l'avantage et le désavantage d'une position. Il leur rappela la décision qu'il avait prise après mûre réflexion, alors qu'il faisait route vers Avaricum (Bourges). « Nous avions surpris les troupes ennemies sans chef et sans cavalerie, mais j'ai renoncé à une victoire pourtant assurée pour la simple raison que je ne voulais pas subir de pertes même légères dans un combat où le terrain m'était défavorable.
Autant j'admire le courage exceptionnel de ceux qui ne se sont laissé impressionner ni par les retranchements des camps, ni par la hauteur de la montagne, ni par la muraille de l'oppidum, autant je blâme la présomption et l'indiscipline.
Ainsi, on s'est cru capable, mieux que le général, de décider sur le terme d'une action ou sur sa poursuite jusqu'à la victoire. Ce que je demande aux soldats, c'est autant de modestie et de discipline que de courage et de valeur militaire. »
Sa harangue terminée, César, pour remonter le moral des troupes, ajouta qu'il ne fallait pas se troubler l'esprit sur la cause de cet échec et qu'on ne devait pas attribuer à la valeur militaire des Gaulois ce qui n'était dû qu'à la pente du terrain.
César réfléchissait aux projets qu'il avait conçus antérieurement. Il fit sortir des camps les légions et les déploya en lignes de bataille sur de bonnes positions.
Comme Vercingétorix n'en restait pas moins à l'intérieur de ses retranchements et comme il ne voulait manifestement pas descendre sur un terrain plat (et équitable), César, après un petit combat de cavalerie où il eut l'avantage, fit rentrer son armée aux camps.
Le lendemain, il fit de même. Estimant alors avoir ramené la parade des Gaulois à son véritable niveau, en même temps qu'il relevait le courage de ses soldats, César fit lever les camps et se mit en route vers le pays des Eduens. Les Gaulois ne le poursuivirent pas.