La bataille de la crédibilité...

par Charles André
jeudi 21 décembre 2006

L’élection présidentielle à venir est probablement la plus importante que la France ait connue depuis 1958. A l’heure où Royal continue de révéler que son programme sera défini par les sondages, où Sarkozy multiplie les promesses chiraquiennes et Le Pen d’engranger tranquillement, il est plus que jamais nécessaire de se poser de nouveau la question de la crédibilité de nos politiques et de leurs programmes...

Dans deux ans, c’est promis, il n’y aura plus un seul clochard sale ! Eh oui, car dans deux ans, ils se baignent gratos dans la Seine. Tu quoque, filii mi...
Cette sortie de Sarko lundi soir (en réalité "si je suis élu, j’aurai relogé tous les SDF en deux ans") m’a déprimé. Sans compter l’attaque envers la BCE (tiens, Alain Lambert n’a pas été aussi prompt à réagir que la fois dernière...). Le moulin à promesses est lancé...

Ceci me rappelle un billet de François Fillon au titre évocateur : La bataille de la crédibilité. Je m’y ruais avec appétit, car c’est bien le drame principal de la politique française : les dirigeants ont perdu toute crédibilité. A ma grande désolation, François Fillon nous servait un plat de suffisance ("Certains ont démontré leur aptitude à tenir leurs engagements [...] et leur courage politique. C’est le cas de Nicolas Sarkozy". Des arguments, please, Monsieur Fillon) agrémenté de sauce béarnaise old school : seul le changement institutionnel permettrait de gagner la bataille de la crédibilité. Et Guy Carcassonne président ?

Le même François Fillon s’empressait, lundi, de tailler un tailleur à Royal pour le vide de sa prestation dans Ripostes. A juste titre : creux, banalités, valeurs aujourd’hui consensuelles, absurdités économiques et saillies populistes ("oui, certains salaires sont des incitations à la violence"...poussez le raisonnement et voyez où il vous mène), tout un programme... Au sujet de cette émission, de nombreux commentaires :

Il faut avoir à l’esprit que la droite ne pourra longtemps se contenter de relever le creux et les contradictions de Ségolène Royal. Son programme arrivera, en temps et en heure, remontant des régions et des équipes du PS (notamment, certainement, l’armada de DSK en ce qui concerne l’innovation, la recherche et l’économie. Même si certains paraissent un peu accuser le coup...).

Et Sarko qui semble continuer de brasser à tout va... Ca me déprime et ça m’énerve. Non militant, ayant voté à droite, à gauche, au centre et écolo, je n’ai pas de parti pris. Ma voix ira à celui qui aura tenu un langage de vérité. Mais qui, aujourd’hui ?
Qui arrêtera de prendre les Français pour des idiots qui gobent tout ?
Qui cessera de tout promettre, pour proposer quelques axes forts, concrets, structurants ?
Qui sera suffisamment confiant et convaincu de la nécessité des réformes pour tout mettre sur la table avant, afin de bénéficier d’une légitimité suffisante pour les mener à bien ?
Qui croira suffisamment en la nécessité de la politique pour ne pas risquer de trahir une nouvelle fois l’élan de foi en un renouvellement qu’il aura suscité ?

Qui lira ça ("Il y a des banlieues beaucoup plus pourries en Europe [...], et c’est ici que cela explose. C’est bizarre. Peut-être que cela n’est pas lié au niveau de misère, mais plutôt à ce que l’Etat promet aux gens ? La France veut toujours être gentille, elle fait plein de promesses, non ? Les autres pays ne promettent rien, alors les gens des banlieues n’attendent rien et se débrouillent, sans se révolter") et en tirera toutes les conséquences ?

Qui viendra nous expliquer quelles sont ses priorités, quel est son cap, pour quel but il veut mener tel ensemble de réformes ? Qui viendra nous dire, au-delà des slogans, que tout peut redevenir possible -si nous nous retroussons les manches pour sortir de nos conservatismes de tous poils ?

Christian Blanc était, lundi, interviewé par le Bondy-Blog (interview reproduite ci-dessous). A lire les commentaires, c’est d’un homme de cette trempe, qui parle honnêtement sans brader les valeurs républicaines, qui propose des changements forts sans faire croire que chacun peut rester passivement à attendre que l’Etat se réforme, dont la France a besoin...et qu’elle réclame.

Voilà une voie dont nous devons fortement nous inspirer, une voix qui doit porter...

Voici donc, avec l’aimable autorisation du Bondy Blog, l’interview de Christian Blanc :

Christian Blanc est député des Yvelines et fondateur en mai dernier du mouvement Energies2007. Il a à son actif les accords de Matignon qui mirent fin l’affrontement entre Kanaks et Caldoches en 1988, la modernisation de la RATP et surtout le redressement d’Air France et la préparation sa privatisation. Loin des strass et des paillettes de la politique spectacle, il n’hésite pas aujourd’hui à faire un portrait peu reluisant mais aussi plein d’espoir de notre pays. Notre équipe s’est donc rendue à l’Assemblée nationale afin d’en savoir davantage sur le projet politique d’un homme qui, s’il ne se présente pas aux présidentielles, n’a pas la réputation de pratiquer la langue de bois.

Votre dernier ouvrage s’intitule La croissance ou le chaos (éd. Odile Jacob). Sommes-nous en plein chaos ?

Non. Mais la France a connu une longue période de prospérité où la croissance a été élevée, allant jusqu’à 7%. A la fin des années 1970 le PIB par habitant en France était de 25% supérieur à celui de la Grande-Bretagne et au milieu des années 1980, il avait rejoint celui des Etats-Unis. Aujourd’hui le PIB par habitant de la Grande-Bretagne est de 10% supérieur au nôtre et celui des Américains 30% supérieur. Au milieu des 1990 il s’est produit un décrochage important.
La conséquence de tout ceci a été un endettement de plus en plus considérable puisque nous avons maintenu un train de vie et un budget de l’Etat sur des hypothèses de croissance annuelle de 2,5% alors que nous n’avons réalisé sur vingt ans que 1,9% par an.
Ce différentiel explique pour l’essentiel l’endettement français, qui est considérable : de l’ordre de 2000 milliards d’euros. C’est dans ce contexte qu’il faut aborder les questions difficiles qui se posent actuellement dans les banlieues.
D’ailleurs avant d’aller plus loin, si vous le permettez, je voudrais faire un petit détour. Comme le montre l’historien contemporain Fernand Braudel, la France est un creuset, elle est au bout de l’isthme européen et a toujours constitué une terre d’immigration et de métissage. Moi-même, je suis petit-fils d’immigrés, de réfugiés basques espagnols antifranquistes.

Nous avons tous à réfléchir à ce que nous sommes nous-mêmes lorsque nous abordons certaines questions. Je crois aussi qu’il est important de mettre en perspective ce problème du développement économique et la difficulté de l’accueil de différents types de populations à certains moments de l’histoire : les choses se sont toujours bien passées quand il y a eu du développement économique et les choses se sont toujours plus difficilement passées quand nous avons été dans des époques de récession ou de pénurie.

Pourquoi faut-il la croissance ?
S’il n’y a pas de croissance, le gâteau se restreint. On ne peut redistribuer que ce que l’on a produit. Quand on dépense plus qu’on ne gagne, on peut pendant un temps emprunter mais le moment arrive où on ne peut plus continuer à emprunter. Il faut savoir qu’aujourd’hui, l’équivalent de la totalité de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire 15% du budget national, c’est-à-dire le deuxième poste du budget de France après l’Education nationale, est payé aux créanciers de France pour couvrir les intérêts de la dette nationale.
Il n’est pas possible de continuer à s’endetter sinon il faudra chaque année payer encore plus d’intérêts. Tout ceci a été caché aux Français par la droite et par la gauche depuis vingt ans. Notre génération a sacrifié la génération suivante. En admettant que l’on parvienne à maîtriser la situation, Il faudra quarante à cinquante ans pour rembourser la dette.


Quels sont précisément les obstacles à la croissance en France ?
La France a les atouts d’une économie prospère : des compétences très fortes dans le domaine de la recherche, avec par exemple des mathématiciens qui sont parmi les meilleurs au monde, un enseignement supérieur très développé même s’il a des problèmes d’organisation. Nous avons aussi une jeunesse qui a le sens de la modernité et qui ne demande qu’à être orientée et guidée vers cette modernité et il faut donc parvenir à investir pour permettre la qualification de ces jeunes.

Au-delà de ça, il faut parvenir à développer des « clusters ». Un cluster c’est la mise en synergie des entreprises, d’universités et de centres de recherche sur un territoire, dans le but de faire la course en tête dans l’innovation. Quand ces acteurs travaillent ensemble dans un secteur d’activité commun, ils dynamisent l’économie du territoire en question : grâce à leurs capacités d’innovation, des entreprises se créent, d’autres se développent, de nouveaux emplois apparaissent...

Prenons un exemple : il y a un an et demi, j’ai identifié, au Nord de Paris, un potentiel fantastique dans le domaine artistique de la création, de l’image et de la musique. Vous savez peut-être que les nouvelles techniques dans le cinéma sont nées en Seine-Saint-Denis : les techniques de Shrek sont une création qui vient du 93. Je crois qu’il existe la possibilité d’une éclosion fantastique entre d’une part entre des gens qui sont en pointe absolue sur les technologies du virtuel et d’autre part des groupes de création artistique. Alors peut-être ne faut-il pas attendre que les pouvoirs publics sortent des projets de cette nature. J’aimerais bien qu’une telle initiative soit prise et ce serait à vous de faire un projet ambitieux qui permettrait à des milliers de jeunes gens qui parfois ont des difficultés à trouver leur place dans des cursus classiques de trouver des possibilités d’expression. C’est possible.

Mais n’avons-nous pas besoin de l’Etat pour rendre ces territoires plus viables pour que les clusters puissent s’épanouir ?

Je crois qu’il faut arrêter de penser que c’est l’Etat qui résout tout. Je crois que les meilleurs interlocuteurs sont les interlocuteurs qui sont « à côté ». Si vous étiez dans un département très pauvre, je dirais qu’il faudrait peut-être regarder les choses différemment. Vous êtes dans un département qui est riche, et je crois qu’il faut que cela se sache. Sur le département de Seine-Saint-Denis, il y a des ressources mais ce qui manque visiblement, c’est un fil conducteur et une cohérence. C’est la raison pour laquelle je préfère que les questions soient réglées au niveau du terrain parce que c’est là que les choix peuvent se faire. Alors que l’Etat, c’est anonyme : vous l’avez déjà rencontré l’Etat ? Moi pas.

Quand vous évoquez le terme « terrain », s’agit-il de l’idée de régionaliser le fonctionnement d’un certain nombre d’institutions ?

Je pense que l’Etat-nation existe et existera, que ce qui concerne le législatif relève de la nation mais je pense par ailleurs que nous aurions intérêt, pour des raisons de meilleure organisation et de développement économique, à régionaliser un maximum notre pays. C’est d’ailleurs ce que voulait faire le général de Gaulle en 1969 et malheureusement il s’est heurté à une France politiquement conservatrice qui n’avait pas compris la modernité que pourrait entraîner une régionalisation du pays.
Il faut savoir que tous les Etats européens fonctionnent aujourd’hui sur une base régionale. On ne se rend pas compte à quel point notre organisation centralisée est inadaptée par rapport au fonctionnement économique. Aujourd’hui l’économie de l’innovation nécessite une très grande réactivité. Or on est beaucoup plus réactif sur un territoire où les gens se connaissent et peuvent se faire confiance que dans un anonymat collectif qui s’appelle l’Etat. C’est pourquoi je pense que de régionaliser la France est une révolution indispensable.


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