La cathédrale St-Jean de Lyon est-elle gauloise ou médiévale ?

par Emile Mourey
lundi 31 janvier 2011

A M. Perben, député de Lyon, vice-président du conseil général du Rhône.

Monsieur le Ministre,

J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur la cathédrale Saint-Jean de Lyon dont vous faites débuter la construction au XII ème siècle. Comme on vous dit qu’il n’existe aucun texte précis indiquant une date de fondation, vous faites confiance aux interprétations des archéologues. Je vous propose de réexaminer la question, d’une part en relativisant les interprétations archéologiques, d’autre part en retraduisant la lettre de Sidoïne Apollinaire dans laquelle il évoque la très belle église construite à Lyon par l’évêque Patiens, au V ème siècle, à la fin de l’antiquité tardive, avant, pendant, ou tout juste après la chute de Rome.

Au sujet des fouilles archéologiques.

Concernant le baptistère dont on a retrouvé des vestiges indiscutables, l'interprétation des archéologues qui le fait remonter au V ème siècle, donc au temps de Sidoïne en le rendant contemporain de l'église de Patiens, est, de toute évidence, le point de départ à partir duquel on peut mener un raisonnement fiable. En revanche, de l'avis même des archéologues, il n'existe aucun indice qui permettrait de retrouver l'église de Patiens dans des églises Sainte-Croix ou Saint-Etienne qui auraient existé mais qui n'existent plus. Et il en de même concernant la reconstitution hypothétique d'un ensemble comportant un choeur et un cloître qui se serait adossé aux murs d'une antique manécanterie. Voyez en bleu le tracé des murs "supposés" ! Enfin, il me semble que le dit baptistère se trouve placé sur le côté de l'actuelle cathédrale comme s'il s'agissait d'une volonté du constructeur. Cela donne à l'ensemble une cohérence et un argument pour que le tracé actuel corresponde au tracé antique.

Au sujet de la lettre que Sidoïne Apollinaire adresse à son cher Hesperius (Lettres, II, 10).

Le site de Philippe Remacle en donne une traduction avec, en face, le texte latin original. Il s'y trouve toutefois quelques erreurs de transcription : On vient de bâtir à Lugdunum une église, dont la perfection est due aux soins du pape Patiens, homme saint, courageux, sévère, compatissant, et qui, par ses abondantes largesses, par son humanité envers les pauvres, donne la plus haute idée de sa vertu. Il s'agit de l'évêque Patiens sus-nommé auquel Sidoïne donne le qualificatif de pape dans le sens de "père". http://remacle.org/bloodwolf/historiens/sidoine/lettres2.htm.

Dans la description du bâtiment qui suit, force est de constater l'approximation de cette traduction, surtout quand on la compare à d'autres traductions tout aussi approximatives. En profitant de l'aide qu'apporte aujourd'hui l'internet en plus du traditionnel dictionnaire Gaffiot, je vous propose une nouvelle traduction, certes peu élégante mais plus proche du texte latin.

Géné ni à gauche, ni à droite, mais bien au contraire, parce que, par les arcades de sa façade, il regarde l'orient équinoxial, le sanctuaire du temple s'illumine.

Le mot latin celsa n'existe pas. Peut-être est-ce un mot dérivé poétique mis pour cella, ou une erreur de transcription. Contrairement aux traductions habituelles qui, en éludant plus ou moins le mot, ont, dès le début, appliqué la description que fait Sidoïne au temple lui-même, j'ai choisi de lire Aedis cella, c'est-à-dire "sanctuaire du temple" et donc de ne voir dans cette première description que l'abside de l'édifice. Dès lors, on comprend la logique de la phrase qui nous fait passer de l'extérieur à l'intérieur de ce sanctuaire. C'est parce que sa façade extérieure n'était pas encombrée de maisons que le soleil pouvait y entrer et l'illuminer. Concernant le mot arx/forteresse, je ne vois vraiment pas ce qu'il viendrait faire dans une église ; en revanche, son ablatif arce est très proche du terme architectural arcades ; le rapprochement étymologique me parait évident. J'en déduis que le sanctuaire de Sidoïne était éclairé par des arcades comme l'est aujourd'hui le choeur de la cathédrale par ses grandes baies. Je vous propose de placer très exactement ce sanctuaire dans le choeur de l'actuelle cathédrale, sur la même base de fondation.

L'important est maintenant de comprendre, pour la description qui va suivre, que le poète tourne le dos à la nef actuelle et qu'il fait face au sanctuaire. Il faut comprendre que sa description concerne le dit sanctuaire, au moment où le soleil levant l'éclaire après avoir traversé les vitraux. Le reste de l'édifice ne sera décrit que dans un deuxième temps.

A l'intérieur, la lumière étincelle. Les rayons du soleil sont attirés par les lambris dorés, tandis que d'autres rayons semblables courent ça et là sur le métal jaune.

Le mot lacunar se traduit par "lambris", ce que je ne conteste pas. Mais s'il est vrai que ce terme se retrouve le plus souvent pour parler d'un plafond en bois, parfois voûté, il me semble tout aussi logique, sinon plus, de voir ces lambris habiller les bas-côtés du sanctuaire de Sidoïne comme cela se fera couramment par la suite. Il est vrai qu'il est difficile d'imaginer des lambris de bas-côtés qui seraient dorés ; en revanche, cela peut s'expliquer s'ils comportaient des stalles, même peu importantes. Quant au métal jaune dont parle Sidoïne, cela devait concerner l'autel, certaines colonnes décoratives, des chandeliers et autres objets du culte.

Veuillez constater dès maintenant à quel point ma traduction du texte de Sidoïne peut s'appliquer au choeur actuel. Je continue.

Les différents (ouvrages de) pierre aux brillances variées parcourent la chambre voûtée, le sol et les fenêtres. Au-dessous de textes allégoriques rédigés en vers, contournant la pièce en suivant les ornements de pierre, un ornement ciselé d'herbes voit s'éclorent (des bourgeons) de saphir sous (l'effet de la lumière qui traverse) le vitrail de couleur vert-tendre.

C'est une grave erreur du Gaffiot de ne proposer pour le mot marmor que la traduction de "marbre". Par opposition à la pierre brute, il s'agit ici de la pierre taillée, éventuellement polie, et disposée avec art de façon à compartimenter l'espace. De même, ne traduire le mot camera seulement que par "voûte" est beaucoup trop restrictif. Il s'agit de toute la pièce voûtée, du sol au plafond, avec tout son appareil en pierre sculptée, encadrements de fenêtres, colonnes engagées etc."Versicoloribus figuris" est l'une des expressions latines qui ont suscité le plus d'interrogations au sein de nos anciennes sociétés savantes. Il suffisait pourtant de se reporter à Lactance (Institutions divines, livre I) qui en donne l'explication : une versification poétique colorée s'exprimant en figures allégoriques. Les vers dont parle Sidoïne sont ceux de Constantius et de Secundinus qu'il évoque au début de sa lettre et auxquels il ajoutera les siens. Il précise que ces vers étaient inscrits sur les parois, à gauche et à droite de l'autel. On n'en retrouve pas la trace dans le choeur actuel. En revanche, il existe deux emplacements qui se situent aux endroits indiqués et dont la forme étonnament rectangulaire a pu les accueillir. Concernant le mot herbida, j'ai suivi la traduction traditionnelle du mot "herbe" pour qu'on ne puisse pas dire que j'invente selon mon bon plaisir. Ce n'est probablement pas le sens tout à fait exact, vu qu'une herbe ne fait pas éclore des bourgeons.

Partant de là, s'accole une triple galerie aux superbes colonnes d'Acquitaine. En plus de ce type (de galerie), les deux galeries (latérales) ferment (les espaces) du temple plus en retrait. C'est une forêt de pierre dont les colonnes disposées jusqu'au loin habille l'espace du milieu.

Comment peut-on douter ? Nous avons là une quasi-photographie de l'intérieur de l'édifice de Saint-Jean. La triple galerie de Sidoïne correspond à la nef centrale et aux deux nefs latérales de la cathédrale. En toute logique, le poète met en exergue l'espace du milieu mais n'oublie pas de citer les espaces latéraux qui ferment la maison sur ses côtés. Ne nous laissons pas égarer par les traductions peu précises que donne le Gaffiot pour le mot "atrium". Pour Sidoïne, les choses sont claires ; l'atrium est la partie du temple où les fidèles sont invités à venir prier ; le sanctuaire est la partie sacrée où seuls les prêtres sont autorisés à entrer.

La première conclusion qu'on peut tirer du texte latin est qu'il était probablement aussi peu compréhensible - ou hermétique - pour un contemporain qui n'aurait pas eu le modèle sous les yeux que pour un latiniste de notre époque. Si, pour la première fois - c'est une première - je peux en donner une traduction acceptable, la raison en est que l'existant actuel et l'internet m'y ont beaucoup aidé.

La deuxième conclusion serait, si vous approuvez ma traduction, que votre cathédrale Saint-Jean remonte au V ème siècle et non au XII ème.

Au V ème siècle, Lyon est une ville chrétienne. Le bestiaire roman de l'ancienne religion gauloise païenne a été pratiquement exclu de la nouvelle maison du Seigneur. Le pécheur animalisé et la femme coupable ont été chassés à l'extérieur du temple. Dans une position très inconfortable, ils subissent leur purgatoire, chevauchant éternellement le faîte des contreforts dans les rafales de vent et sous les ondées de pluie. Seuls, quelques symboles patriotiques ont été conservés dans le chœur. Le sanglant chaudron gaulois est désormais utilisé pour baptiser le converti. Le cheval d'Epona conduit maintenant le cavalier sur la voie du salut, et le lion de Bibracte s'interroge sur une religion dont il n'a pas encore été totalement exclu. Tout le reste du décor est tourné vers un symbolisme de l'abstraction qui joue avec la lumière, qui ne veut évoquer l'idée de Dieu que par les rosaces, et son royaume par une véritable nature de pierre imputrescible qui pousse droit vers le ciel, et qui s'ordonne d'une façon parfaite, conformément à l'idéal platonicien. La cathédrale Saint-Jean marque la naissance d'un style nouveau que nos contemporains ont très malencontreusement appelé “gothique”, laissant entendre par là qu'il serait le fruit d'une culture germanique venue d'outre-Rhin. Ce style se caractérise dans son aspect général par la sobriété et la pureté d'une pensée gauloise en pleine évolution. http://www.vieux-lyon.org/claudedevignephoto/VV_AffStJean1_VLO.htm

Dernière remarque. Sidoïne écrit que le sanctuaire faisait face à l'orient équinoxial. Ce n'est pas tout à fait exact. Je ne peux expliquer son erreur que par un malentendu de sa part. Ce n'est qu'au XIII ème siècle que l'Eglise imposera une direction plein est. Avant le XIII ème siècle, la coutume était d'orienter les temples et les églises en direction du solstice d'hiver, quand les jours vont commencer à s'allonger et que l'année renait. Et, en effet, la cathédrale Saint-Jean, me semble-t-il, est bien orientée en direction de ce solstice.

Cette étude que je viens de terminer ce jour sur le texte de Sidoïne Apollinaire, et que je vous propose, m'a demandé plus d'une semaine de travail intense.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, Vice-président du Conseil général du Rhône, l'expression de mon meilleur souvenir tout en me permettant de vous rappeler la question que vous avez posée en 2003, en tant que ministre, à M. le Ministre de la Culture au sujet de la localisation de nos anciennes capitales gauloises, et pour laquelle, nous n'avons toujours pas reçu de réponse satisfaisante. Copie de votre lettre à la fin du texte au lien http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bibracte-une-grave-erreur-de-65442. Autres liens : http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-ministere-de-la-culture-m-a-tue-85734 et http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-localisation-de-bibracte-82531

A Chalon-sur-Saône, le 30 janvier 2011

Emile Mourey
officier en retraite
17, rue du château
71100 SAINT REMY


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