La choucroute apaisée : l’indigeste recette du Concordat alsacien

par LibreSF
mardi 22 janvier 2013

Le lobby concordataire alsacien continue à défendre son bout de saucisse... Avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité en cours d'examen par le Conseil Constitutionnel (décision attendue avant le 19 mars 2013), la raison laïque prévaudra-t-elle enfin ? En attendant, bon appétit !

Oyez oyez bonnes gens, oyez la recette à la mode, ces-jours ci, de l'autre côté des Vosges, et savourez mes amis !

Cuire oignons et lard à la poële puis déposer au fond de la cocotte. Déposer baies, épices, pommes de terre préalablement cuites à la vapeur. Rajouter ensuite saucisses et petit salé, mitonnés séparément. Laisser mijoter, rajouter une lampée de vin blanc, servir.

Vous vous demandez ce que c'est ? Mesdames et messieurs, savourez la recette de la "choucroute apaisée" !

 

Un détail manque, dites-vous ? Euh.... oui. A vrai dire, il manque même le principal. A savoir le choux blanc fermenté et émincé, à la base de la choucroute. Mais qu'à cela ne tienne, vive la choucroute apaisée ! Dans le même genre, vous dégusterez bien aussi le "boeuf bourguignon apaisé" (sans viande de boeuf), ou la "blanquette de veau apaisée" (sans veau) ?

C'est dans ce même esprit que le pasteur protestant Jean-François Collange, président de l'UEPAL (Union des Eglises Protestantes d'Alsace-Lorraine), nous réchauffe ces jours-ci sa fameuse recette de la laïcité à l'alsacienne, nourrie de "dialogue apaisé des religions" et de "neutralité bienveillante" (sic). Une recette "apaisée" opposée à la "laïcité de combat" que serait la "laïcité à la française" (1).

 

Passons sur le fait que l'Alsace fait partie de la France (ce qui rend caduque l'opposition entre "laïcité à la française" et modèle alsacien) et venons en au coeur du sujet : comment peut-on parler de laïcité en Alsace, de "laïcité à l'Alsacienne", en éliminant de la recette l'ingrédient principal, à savoir une stricte séparation des Églises et de l'Etat ?

Dans le meilleur de la tradition laïque française, cette séparation a toujours constitué l'axe à partir duquel s'articulent ensuite neutralité de l'Etat, liberté de conscience et de culte, liberté de penser (favorisée par l'école laïque et républicaine). Enlever la séparation des Eglises et de l'Etat, c'est comme supprimer le choux de la recette de la choucroute !

 

C'est pourtant cette étrange recette que persiste à nous vendre le cartel concordataire alsacien, attaqué ces jours-ci par la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) déposée le 19 décembre 2012 par l'association APPEL (Association pour la Promotion et l'Expansion de la Laïcité). Cette association pointe à très juste titre l'atteinte portée à la séparation des Eglises et de l'Etat par le financement public des prêtres catholiques, de certains pasteurs et des rabbins par l'Etat, à hauteur de 58 millions d'Euros par an, issus des impôts des citoyens.

 

On a beau retourner le problème dans tous les sens, les dispositions du Concordat d'Alsace-Moselle relatives au financement des cultes (2) constituent, du point de vue des valeurs républicaines et laïques, une discrimination et une anomalie, d'ailleurs dénoncée par une minorité croissante d'Alsaciens (3).

Quid des bouddhistes, des musulmans, des athées, des agnostiques, des évangéliques, des orthodoxes, des vieux catholiques, des marabouts ?

Que l'argent des citoyens finance d'office un cartel concordataire dont sont exclus de nombreuses expressions spirituelles et idéologiques est indéfendable du point de vue des valeurs laïque. Mettre fin à ce financement ne tuera pas le sacro-saint "particularisme alsacien" ! Point n'est besoin de biffer les dispositions du droit local par exemple. En revanche, ce pas en avant offrirait enfin à la laïcité en Alsace et en Moselle sa vraie saveur. Et pourquoi pas financer chaque année, avec les 58 millions économisés par l'Etat, un centre international pour la laïcité construit à Strasbourg ? Histoire de rappeler que l'idéal laïque français n'a rien de rétrograde... Avec tous ses ingrédients, c'est même une recette exportable, et quel plus beau creuset pour cela que la ville où Rouget de Lisle composa la Marseillaise !

 

 

(1) Yolande Baldeweck, "Les cultes reconnus attaqués" (sic), Réforme n°3496, 17 janvier 2013, p.6.

(2) Lire Jean-Pierre Chantin, Le régime concordataire français, Paris, Beauchesne, 2010

(3) Jean-Claude Val, Alfred Wahl, Jean-Pierre Djuric, Yan Bugeaud, Roland Pfefferkorn et Pierre Hartmann, "Pourquoi nous sommes Alsaciens, laïques et contre le Concordat", Le Monde, 17 février 2012. 


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