La clonage de l’avenir

par Thomas Roussot
vendredi 30 mai 2014

La revue américaine Cell Stem Cell, a décrit les expériences menées en Californie par une équipe de chercheurs, dont le Dr Robert Lanza, responsable scientifique d'Advanced Cell Technology. Elle ont été en partie financées par le gouvernement sud-coréen. Elles ont utilisé la technique développée par le Dr Shoukhrat Mitalipov, le premier à créer en 2013 des cellules souches embryonnaires humaines à partir de cellules de peau, en recourant au clonage. Mais dans ce cas, la procédure avait été effectuée avec de l'ADN provenant d'un nouveau-né de huit mois. Ils sont eux parvenus à cloner des cellules adultes pour créer des cellules souches embryonnaire. Ce processus paraissait plus difficile qu'avec des cellules de jeunes enfants ou de foetus. Les cellules souches embryonnaires sont dites pluripotentes, car ce sont les seules cellules capables de se différencier en tous types de cellules de l'organisme (cardiaques, hépatiques, pulmonaires...), qui en compte 200, et de se multiplier sans limites.

« Je pense que nous devons nous tenir le plus possible à l’écart des règlements et des lois »

James Dewey Watson (co-découvreur de la structure de l’ADN, ancien directeur du Human Genome Project).

« Enfin, qui ou qu’est-ce qui décide du caractère sacré ? L’évolution est parfois très cruelle !

Nous ne pouvons pas prétendre avoir un génome parfait et lui attribuer un caractère sacré ! Le mot « sacré » me fait penser aux droits des animaux. Qui a donné des droits aux chiens ? Le mot « droit » est très dangereux. »

Courrier international, N°529-530 (21 décembre 2000-3 janvier 2001), p.48-49.

Contestant l’inviolabilité du génome, visant l’amélioration perpétuelle du genre humain, via les thérapies géniques, Watson représente bien une certaine arrogance scientifique à capturer le corps humain pour mieux le démanteler, au nom de son imperfection première. La manipulation des cellules germinales ou reproductrices devient alors possible, la manipulation de toute transmission générationnelle avec. 

« Il faudra que certains aient le courage d’intervenir sur la lignée germinale sans être sûrs du résultat. De plus, et personne n’ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs grâce à l’addition de gènes (provenant de plantes ou d’animaux), pourquoi s’en priver ? Quel est le problème ? ».

Un eugénisme qui ne dit pas son nom est ici, implicitement déclaré. Le méliorisme du meilleur des mondes s’affirme au grand jour.

« Si vous pouviez trouver le gène qui détermine la sexualité, et si une femme décide qu’elle ne désire pas un enfant homosexuel, eh, bien, laissez-la choisir ! »

Entretien accordé dans le Sunday Telegraph, le 16 février 1997, reproduit in Helga Kushe et Peter Singer, Bioethics. An anthology , Oxford, Blackwell, 1999, P.171.

 

Auto-légitimation d’un projet faustien, dissociation assumée entre éthique et recherche, affirmation absolue de la demande industrielle et capitaliste, couplée aux désirs individualistes de toute-puissance. Irresponsabilité positiviste, considérant que seule l’absence ou la présence de danger technique autorise ou interdit une nouvelle « avancée » vers le clonage généralisé.

Arrogance monopolistique d’un rationalisme qui se voudrait omniscient. Face à cette toute-puissance en action, non pas un, mais des éthiques, certaines ouvertes à ces avancées, d’autres sceptiques, inquiètes, voire purement hostiles.

Débats ardents s’ébattant au-dessus d’un volcan en éruption, celui de la compétition internationale pour les éléments du vivant brevetables et leurs philanthropiques puissances subventionnantes. 

Derrière ces recherches fondamentales, l’idée récurrente : les comportements humains, leurs pathologies, leurs forces et faiblesses, sont, peu ou prou, tous prédéterminés par les phénotypes. Le déterminisme biologisant est donc le terreau philosophique originaire de ces bio-technologies. « L’éthique génétiste » est l’ombre portée de l’individualisme consumériste.

Car qui ne veut pas lutter contre cancers, sida, hépatites, diabètes, malformations, maladies orphelines, et autres pathologies invalidantes ? Comme le principe des poupées russes, le dessein prométhéen d’une réécriture totale du genre humain via son génome s’avance à l’horizon et s’y déploie déjà, sous des yeux citoyens indifférents.Pour permettre de telles mutations, il faut d’abord de la matière première, et donc un marché. Et c’est le cas. Tout s’achète, tout se vend. Cellules souches, ovules, sang, chaque partie de la carlingue humaine se vend. Comme l’explique fort clairement Céline Lafontaine dans son ouvrage Le corps-marché (Le Seuil Editions), l’industrie de la fécondation in vitro (FIV), a pu organiser des banques de sperme, des banques d’ovules et a su mettre en route la pure et simple commercialisation du corps reproducteur, via les mères porteuses. Ouvrant la voie à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, avec au final la perspective fort « alléchante » de recyclage des embryons au profit de la dite recherche.

Où l’on découvre une biocitoyenneté couplée à l’ère du bioéconomique, instituant une nouvelle sphère politique, un nouveau statut pour l’hominidé. Biocitoyen néolibéral, cela va sans dire, ouvert à la molécularisation de son être au monde, se définissant avant tout biologiquement et non spirituellement, acceptant la génétisation des analyses sociologiques, s’ouvrant à la recherche « génépsychiatrique », à l’affût de tout ce qui est à sectionner, élimer, redéfinir dans son arbre atomique afin de complaire aux normes, aux standards de l’être parfait tel que défini par…qui déjà ? Il faut repasser par Nietzsche, qui en son temps, avait étudié de nombreux biologistes, naturalistes de tous horizons, nourrissant significativement son corpus intellectuel, pour prendre la pleine mesure des racines anciennes en Europe de cette soif de déconstruction d’un biologiste agressif. À commencer par Friedrich Albert Lange et son Histoire du matérialisme paru en 1866. Il présentait le sujet humain comme un corps-organisme avant d’être une somme de savoir et d’entendement pur au sens kantien. Son criticisme virulent rejetait les catégories transcendantales pour surligner les déterminismes psychophysiques. Il appliquait la grille de lecture darwinienne à l’organisme humain même, déduisant une biologisation intégrale de la subjectivité, que Nietzsche complètera par un empirisme de son cru. Il finira par en déduire sa conception des vérités comme simples substrats organiques, produits d’expériences sensibles arbitraires. Il établira par la suite, tout au fil de son œuvre, une véritable incarnation corporelle de la sphère métaphysique sans pour autant plonger dans un pur biologisme primitif. Le vitalisme de Nietzsche a été nourri de ces lectures originelles, il présenta d’ailleurs un sujet de thèse ayant pour objet la notion d’organisme chez Kant. La physiologie, les sciences naturelles et la médecine allaient compter pour lui tout autant que les présocratiques ou Schopenhauer. Son approche de la subjectivité non pas comme système intellectualisant mais pluralité vivante et organique se verra renforcée par l’étude de Rudolf Virchow et son ouvrage la Pathologie cellulaire (1858), qui remettait déjà en cause le mythe d’une unité du moi, et d’un centralisme organique hypothétique, ouvrant la voie à l’idée de pluralité d’entités cellulaires menant leurs propres visées au sein d’une subordination biologique à l’ensemble de l’organisme. Le monde cellulaire est rapproché d’un État républicain, à la fois unique et pluriel, un « Nous » complétant l’habituel « Je ». Wilhelm Roux l’embryologiste et Claude Bernard lui permettront d’affiner ses notions d’assimilation, d’excitation, d’irritation et d’appropriation. La multiplicité des forces en présence étant interprétée par la volonté engendrant alors la production des perspectives, qu’il finira par intégrer à son projet de volonté de puissance. Il soutiendra ce plan avec certaines idées proches d’un eugénisme social et biologisant, quels que soient les argumentaires égalisateurs de penseurs humanistes ayant tenté ces dernières années de l’expurger de ces tendances très répandues en son temps. L’on pourra situer une des contradictions de sa pensée dans l’articulation entre une défense de la souffrance comme condition même de l’expansion du vivant et un projet visant à l’élimination des expressions morbides (la souffrance du vivant s’étant dressée finalement devant lui à Turin, comme une forteresse imprenable et rédhibitoire). Il développera via ces nombreuses études son approche singulière de la volonté vivante conçue comme effet retard, pointe aiguisée d’une constitution aveugle et intelligente à la fois, au service des appétits qui la sous-tendent, blessée par les carences qui l’accompagnent et la hantent, entité qui interprète dans un perspectivisme subjectif les séries de possibles dont elle est le fruit. Depuis, l’occident n’a cessé de refuser la souffrance et les tares du vivant, pour viser un être ultime, un nouvel homme total, pour ne pas dire totalitaire, et ce que les régimes dictatoriaux du 20ème siècle ont partiellement échoué à réaliser, les blouses blanches, discrètes et savantes, fourmillant avec détermination et souvent imprudence, dans nos laboratoires contemporains, sont en train de le dessiner, jour après jour.

 

Stuart J. Edelstein, Des gènes aux génomes. Odile Jacob, 2002. 

Monique Canto-Sperber, l’Inquiétude morale et la Vie humaine, PUF, 2002.

Céline Lafontaine, Le corps-marché, Le Seuil Editions, 2014.

 

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