Bizaremment, ces engins arriveront après que l’homme est mis le pied sur la Lune, avec Luna XVII et son Lunakhod, la
baignoire lunaire à roues. Auparavant encore, à plusieurs reprises, les russes vont griller la politesse aux américains pour ce qui est de connaître la satellite terrestre via des sondes robots. S’ils avouent ou jurent en 1968 de ne toujours pas viser la Lune pour une expédition humaine, préférant les "engins automatiques", on a un peu de mal à les croire. En fait, on les croit quand même, comme j’ai pu moi-même le croire à 17 ans, car pendant près de 20 ans on ne saura rien des préparatifs lunaires des russes. On ne saura que bien plus tard que ce fut leur échec le plus retentissant. Partis premiers de la conquête spatiale, très longtemps en tête (jusqu’au sprint final !) ils finiront derniers de la conquête lunaire. Leur économie exsangue, ruinée par les dépenses folles qu’auront nécessité les efforts pour déposer Alexeï Leonov, l’homme choisi par eux en définitive pour être le premier à poser le pied sur le satellite terrestre. L’échec de l’expédition lunaire, ce sera aussi l’arrivée plus rapide de la chute du mur de Berlin, et l’effondrement d’une économie toute dévolue en priorité à l’armement. Les dirigeants soviétiques avaient promis la Lune à leur peuple, il ne pouvaient même plus garder les pieds sur terre. L’échec lunaire après les premières victoire
s des débuts renverse le régime, fait de dissimulations et de promesses jamais tenues. Les soviétiques ont soif de vérité : pendant trente ans on leur a raconté ce qu’on voulait sur l’espace, aidé par de belles réalisations il est vrai. La découverte sur leur téléviseur d’images enregistrées diffusées six heures après l’exploit des américains sera un choc pour toute la nation, nourrie à la célébration des seuls héros soviétiques et à la méconnaissance des efforts de l’autre bord. Le pied d’Armstrong sera le déclencheur d’une profonde prise de conscience qui mettra encore trente années à mûrir. Le 9 novembre 1989 est en prise directe sur le 21 juillet 1969. Les américains ont remporté la Guerre Froide, et ce n’est certes pas au Viet-Nam, mais bien sur la Lune que ça s’est passé. Dans les esprits, ce sont eux qui sortent gagnants : Kennedy a réussi son pari. Il est mort assassiné depuis six ans qu’on ne célèbre sa victoire.
Pour revenir rapidement sur le pourquoi de l’année 1957 comme année fatidique de cette incroyable course à la Lune, il suffit de se remémorer que cette année là avait été déclaré
e "Année géophysique internationale", une idée promue par un américain, Lloyd Berkner, et que pour fêter dignement l’événement, les Etats-Unis avaient décidé de tenter un lancement de satellite. Leur imposant arsenal militaire leur permettait, notamment avec le missile Redstone développé par l’US Army, auquel participait l’équipe de Von Braun, d’Herman
Oberth et de Ernst Stuhlinger,
mort en 2008,
(tous rassemblés par le général
Toftoy). Mais Eisenhower, soucieux de ménager en même temps ses armées et sa diplomatie, avait habilement confié le projet à la... Marine, qui proposait une fusée nouvelle, dite de "recherche" qui ne pouvait pas être accusée d’être un missile interbalistique caché. On connaît la suite "Avant Garde" (
Vanguard) sera un échec cuisant et son satellite minuscule de la taille d’un pamplemousse raillé quand les russes lanceront Spoutnik : sur la balance, les américains sont doublement ridiculisés. Dans ma revue MP, cette année-là, et le mois d’octobre justement, dans le N°13, un texte étonnant (inclus ici en texte joint) annonce que pendant dix-huit mois d’affilée, des fusées Vanguard vont lancer un satellite, et que les américains doivent donc apprendre à reconnaître son "bip-bip" à l"avance. Ils sont sûrs d’eux. Le premier satellite au monde sera américain, c’est une évidence. En fait de "bip-bip", c’est le
chant du Spoutnik qu’ils vont recevoir, mais à l’époque ils ne se doutent absolument pas de c
e qui les attend. Des "
Flopnicks". En
série. Un vrai festival d’échecs.
Ils le seront d’autant plus ridiculisés, que les soviétiques vont balader tout le monde pendant des années en présentant un chercheur en astronautique et en astronomie comme étant le père de la fusée russe :
Léonid Sedov, l’homme qui sera l’arbre qui cache la Taïga soviétique des vrais réalisateurs d’exploits spatiaux. Pendant des années, il assistera à toutes les réunions scientifiques en se faisant passer pour le
père de Spoutnik. Il fera même le ravissement d
e Time Magazine. Le magazine "Jours de France" lui consacrera plusieurs pages le 19 octobre 1957. Les russes prendront un malin plaisir à fournir à la presse de faux schémas sur leur fusée, comme celui qui illustre cet article, et que recopieront les américains, qui ignoreront tout de la R7 jusqu’au salon du Bourget, dix ans après.
Pour la course à la Lune proprement dite, sont en effet les russes qui ouvrent très tôt le bal lunaire avec un satellite baptisé obligatoirement...
Lunik, premier du nom. Le 2 janvier 1959 les russes font en effet et à nouveau la
une des journaux avec une boule de 361 kg et de 120 cm de diamètre, expédiée à plus de 300 000 km de la terre pour passer à seulement 6 000 de la Lune. Ce qu’on ne sait pas, c’est que cet exploit ne s’est pas fait sans douleur. Dès le 23 septembre 1958, ils avaient déjà juché un Lunik "I" en haut de leur arme fatale, cette
Semyorka de génie, ce faisceau de corps de fusée capable d’arracher des poids fabuleux pour l’époque. Dans sa large
coiffe supérieure, Lunik semble au
ssi petit que Spoutnik : les russes ont de la marge, et ils le savent, et ne s’embarrassent pas avec le poids de ce qu’ils satellisent. La lutte contre les kilos superflus, ils ne connaissent pas. Hélas, à la 92ème seconde de vol la fusée explose. Le 11 octobre, deuxième tentative et deuxième échec : à la 104ème seconde cette fois. Comme ils ont du stock avec une Semyorka produite tout de suite industriellement, en raison des besoins de l’armée dont c’est un des missiles balistiques majeurs, il remettent ça le 4 décembre, et cette fois la fusée tient... jusqu’à la 245ème seconde de l’ascension, moment où les turbopompes des moteurs du premier étage s’enrayent, détruisant la fusée une nouvelle fois. Kroutchev, qu’on a convaincu du satellite mais qui n’est pas pour lui la priorité absolue, s’impatiente, et certains au centre spatial sentent passer le vent du boulet du goulag, comme au tout début des lancements de la Semyorka et ces trois premiers échecs suivis de deux réussites consécutives qui suffisaient à la certifier bonne pour le service. Le "bon" Lunik I est donc en fait le quatrième lancé. L’aventure spatiale, russe comme américaine, travaille à perte, c’est évident. Mais on ne voir aucune images des échecs russes, propagande communiste oblige. A bord, Lunik1 comme Lunik 2 comportaient
deux étranges sphères composées de
pentagones en acier aux armes de l’URSS, destinées à exploser sur la Lune.. histoire de franchement marquer le territoire. La Lune vient de recevoir son premier bombardement, et en plus, il est signé.
Et question propagande, si les américains sont devenus la risée du monde entier avec leur
Pamplemousse ridicule et sa fusé
e Vanguard désastreuse, c’est qu’ils ont accepté le principe de monter en direct ce qu’ils font. Ils prennent des risques. Chez les russes, en regard, c’est la chape de plomb complète. On apprend qu’un satellite est lancé quand il
tourne déjà autour de la terre, ou seulement quand il est rentré sur terre. Pire encore : pour mieux brouiller les pistes les russes baptisent tout ce qu’ils envoient du même nom de "Cosmos". Ou alors, on l’apprend lorsque l’un d’entre eux hors contrôle s’écrase sur terre.... avec son plutonium... Comme le 24 janvier 1978 où
Kosmos 954 s’écrase dans les Territoires du
Nord-Ouest du Canada, libérant plusieurs dizaines de kilos d’uranium radioactif, l’équivalent de cinq bombes atomiques dit-on,
répandus sur plus de 500 km… Ça ou les énormes morceaux de
Cosmos 2267 tombés au Mexique en décembre 1994.. Ou aux Etats-Unis, où il devient alors obligatoirement une belle histoire d’Ovni, comme le 9 décembre 1965 à
Kecksburg, dans le Michigan... Les autorités américaines avaient dépêché vite fait un camion plateau pour embarquer sous bâche ce qui était tombé ce jour là... certains avaient cru voir des "inscriptions" sur l’engin tombé : du cyrillique peut-être bien ! Un crayonné fait par un témoin le
laissait envisager. Selon beaucoup, c’était la sonde
Cosmos 96, destinée à Venus, devenue hors contrôle, qui avait atterri à Kecksburg, ou son étage de propulsion. Le hic, c’est que l’affaire, qui aurait pu être claire en 2005, est retombé dans les travers des théories fumeuses... avec
la disparition de documents de la NASA sur l’affaire. Un futur Soyouz (Soyouz 7K-OK) sera lancé effectivement dès le 28 novembre 1966, lui, sous le no
m de Cosmos 133... La France n’a pas été épargnée : on a retrouvé en 1998 les débris de C
osmos 1984 sur le territoire.
Des Cosmos, tous, mais avec un numéro différent, c’est tout. Ils en sont à
2450, aujourd’hui, ce numéro (et quel numéro !) datant du 28 avril dernier...un satellite militaire d’observation, un de plus... Si ça rate c’est un "Cosmos", si ça réussit cela peut devenir un Soyouz... ou un satellite
Molnyia d’un coup de baguette magique : la solution idéale, qui va entretenir pendant des années la légende des c
osmonautes morts avant Gagarine.
Une légende urbaine de plus, les ingénieurs russes tenant avant tout à la vie de leurs cosmonautes, considérés davantage comme des pilotes que les pauvres
singes savants de Mercury, si bien décrits dans L
’Etoffe des Héros.
Ham et John Glenn sont considérés de la même façon par l’équipe de Von Braun, sortie ne n’oublions pas des galeries de
Dora et Mauthausen. En forum, il est vrai, le coup du cosmonaute fantôme
marche à tous les coups... le net, version désinformation.
L’exploit de Lunik I révèle aussi deux choses extrêmement importantes : premièrement, que les russes ont une infrastructure de lancement efficace, à plusieurs pas de tir (il y en a deux à Baïkonour en fait et une réserve avec le pas de tir purement militaire de
Plessetsk), permettant en mois d’un mois d’ériger une fusée et de la lancer à l’endroit (presque) où l’une d’entre elles vient d’exploser. Ce qui frappe le monde à cette époque, c’est en effet les lancements à répétition des russes, en dehors du poids de leurs satellites. Tout autant que la formidable puissante de la Semyorka, ce
monument de l’astronautique, c’est bien cela qui intrigue et fait peur aux américains. La deuxième chose, est leur étonnante capacité de calcul. Arriver à frôler l’astre lunaire n’est pas chose aisée. Les américains soupçonnent les russes d’avoir de super-ordinateurs, ce qui est complètement faux. Les russes sont très en retard dans le domaine, mais se rattrapent avec leur matière grise. On s’en apercevra quand les américains désosseront un
Mig-25P échappé de l’URSS et posé par Viktor Belenko au Japon, à Hokodate, le 6 septembre 1976 : en fait d’électronique à bord, l’engin fonctionne encore avec des tubes et non des transistors. Rustique, voilà le mot, et même efficace, les tubes étant moins sensibles au brouillage ou aux conditions météo (ce sera la grande leçon de Desert Storm avec des F-16 cloués au sol en raison de leur électronique défaillante)...
L’anecdote est aussi connue : en 1975, lors des visites préliminaires à la rencontre
Soyouz-Apollo, base du réchauffement politique de Nixon et de la fondation d’un station spatiale universelle, les cosmonautes et les officiels américains auront le droit de visiter Baïkonour. Arrivés devant le centre des opérations, ils demandent à voir les calculateurs. A leur grande surprise, on leur répond que c’est possible. On ouvre une porte, et ils se retrouvent devant une cinquantaine d’hommes et de femmes en blouse blanche, assis derrière un bureau vide, où ne figure qu’un crayon, une gomme et une règle à calcul. Hilarité des russes, et totale incrédulité des américains, qui ne sauront jamais si c’était un gag ou pas. Pour beaucoup d’observateurs, ça ne l’était pas. Les russes avaient plusieurs génies des
mathématiques, don
t Syatoslav Lavrov, le responsable de la balistique de Korolev, et la preuve de ce que je raconte est même... aux Etats-Unis. Les américains, désireux un temps d’arriver à satelliser un cosmonaute via un avion, le X-15 (que pilotera Neil Armstrong !), vont faire calculer toutes ses trajectoires à la main, sans aucun calculateur mécanique, à l’époque encore au stade des cartes perforées. Ils feront de même en ayant recours à un véritable génie des maths pour les calculs des premières configurations de navette spatiale, Kjen Illif, dont vous pouvez lire
l’histoire complète ici. Lunik I sera tiré directement vers la Lune, et non lancé après une orbite terrestre, ce qui renforce encore la notion d’exploit de trajectoire. Les russes tirent direct ! Lunik I traverse aussi la
ceinture de Van Allen, récemment découverte par les américains et enverra quelques renseignements sur la composition magnétique de l’astre lunaire. Mais en fait, Lunik I avait tout simplement raté sa cible : des années après, les russes révéleront qu’ils avaient scellé dessus les emblèmes soviétiques, pour qu’ils soient parmi les éléments visibles à rester à la surface en cas d’impact ! C’est bien une guerre froide, ou comme le dira si justement le fils de Nikita Kroutchev
"spoutnik, c’est un incident de l’histoire militaire" !
L’impact véritable, et donc le contrôle parfait de la trajectoire avec gomme et crayon, se fera très tôt : dès le 18 juin 1959, un Lunik II est lancé, mais la fusée perd l’usage de son contrôle à inertie à la 153 ème seconde. Echec, la fusée est détruite. Le 12 septembre, un second Lunik II décolle de Baïkonour... vole 33 heures et 30 minutes et s’écrase sur la Lune près de Palus Putredinis (qu’ira
visiter Apollo XV) : c’est le premier coup au but de l’ère spatiale. Trente minutes après, le dernier étage de la fusée qui l’a amené s’écrase aussi sur l’astre lunaire : premier arrivé et déjà premier pollueur ! Le 4 octobre 1959, date symbolique pour les soviétiques, c’est un autre formidable exploit que réalisent les russes en prenant un cliché affiché le 6 octobre dans les journaux : la première photo de la f
ace cachée de la Lune. Une seule, tout d’abord et de piètre qualité, mais un cliché qui assomme encore une fois les américains. Les russes ont le contrôle de la trajectoire lunaire et ont déjà commencé à répertorier les sites qui les intéressent (la face cachée étant un leurre destiné à marquer les esprits) : c’est sûr, ils y vont aussi.. peuvent se dire les spécialistes de la Nasa.
L’engin avait pris 29 clichés de la face cachée, grâce à sa
caméra et son imposant d
écodeur terrestre, mais ne pourra en transmettre que 17 avant de tomber en panne. Il deviendra ensuite le premier engin à se mettre en orbite autour du soleil, comme l’est la terre, en étant aussi le premier à prouver l’existence du vent solaire.
Les américains, pas découragés pour autant, vont pendant ce temps mettre en place patiemment leur projet de cartographie lunaire en deux temps : d’abord au plus simple avec une série d’engins, les Ranger, chargés de photographier des site en rafale, juste avant de s’écraser dessus. Au départ, les cinq premiers
Rangers devaient comporter un
e boule protégée par du balsa (?) devant s’éjecter au dernier moment à la surface, mais ses échecs successifs la firent remplacer par une
caméra supplémentaire. Ranger IV avait bien impacté la Lune dès le 26 avril 1962, mais il était hors contrôle et n’avait rien transmis du tout. Avant Ranger, les américains avaient vainement tenté pendant deux ans (1959-1960) de
lancer huit sondes
Pioneer consécutives
chargées de se mettre en orbite lunaire dans une suite sans fin d’explosions de fusées Atlas-Able. Une seul sera mise sur orbite et se perdra dans l’espace. Le zéro pointé pour ce programme. Les russes peuvent alors légitimement pavoiser.
Les appareils Ranger ne feront guère mieux au début et essuieront échec sur échec jusqu’au 7 ème du genre qui atteint et photographie (enfin !) la Mare Cognitum. Les sites futurs d’atterrissages humains sont d’emblée les "mers" lunaires, des deux côtés, en raison de leur nombre moindre de caratères. L’image transmise de la dernière prise d’un lot de 4308 au total, la 199 ème,
interrompue par le crash, restera dans toutes les mémoires. Trois réussites sur 9, ce n’est pas folichon. Surtout quand on connaît l’addition : le programme Ranger coûtera 1,3 milliard de francs de l’époque au contribuable américain ! Leur
programme Orbiter sera beaucoup plus ambitieux et nettement plus réussi : de 1965 à 1967, ces engins vont révolutionner la vision que l’on a du satellite terrestre. Avec des procédés assez particulier : Orbiter est muni d’un scanner, qui "lit" chaque cliché pris et l’envoie par tranche à la Terre. Il réalisera ainsi un véritable atlas de la Lune,
consultable ici. Ils vont aussi mettre au point les appareils de transmission (
l’image du clair de terre d’une des sondes préfigurera celle d’Apollo VIII). Mais aussi les appareils de contrôle fin de l’altitude qui seront repris sur le LEM, le vaisseau de descente vers la Lune. Le programme Orbiter sera une réussite totale qui vengera les échecs de Ranger.
Très satisfaits du résultat, les américains fourbissent leur dernière arme :
Surveyor, le robot qui va analyser la surface lunaire,
y creuser, et v
érifier s’il y a de la vie ou de l’eau... en se posant en douceur. Le premier d’entre eux le faisant le 30 mai 1966. Manque de chance, ce sont les russes qui vont lui griller la priorité, encore une fois avec
Luna IX, (le programme Lunik est devenu Luna) qui se pose
en douceur le 3 février 1966, près de quatre mois avant. Cette fois, les russes vont utiliser un autre moyen subtil de propagande : en mettant pour la première fois leurs
émetteurs d’images à bord de
Luna IX au standard mondial, ils étaient certains d’être
interceptés, et le seront inévitablement. Des journaux américains afficheront les premiers clichés de la surface directement sans avoir à attendre que les soviétiques les sélectionnent : psychologiquement l’impact est énorme : les russes paraissent désormais sûrs d’eux, ne craignent pas d’être surveillés et décortiqués, et l’équipe de Von Braun craint toujours se se faire griller l’herbe sous le pied avez un atterrissage (alunissage) humain russe. Ce qu’elle ne sait pas exactement (mais elle s’en doute fortement !), c’est que le programme Luna a essuyé un nombre important d’échecs. L’atterrissage lunaire a été tenté depuis le Lunik4 (-Luna4), lancé dès le 4 janvier 1963, et entre le Lunik III et Luna IX il y aura eu neuf tentatives infructueuses pour y arriver, en deux années, dont un "Cosmos". Des deux côtés on essuie des échecs, mais on ne le dit pas toujours, on s’obstine et on continue, course à la puissance militaire oblige. C’est une gabegie, tout le monde le sait, ça n’apporte que peu de choses à la science, mais ce n’est pas le problème. Le problème, c’est d’aller tagguer en premier USA ou CCCP (URSS) sur l’astre lunaire. Et pour ça, tous les moyens sont bons. Y compris la propagande : pour Luna, les russes vont sortir le mathématicien Mstislav Vsevolodovich Keldysh pour venir faire son Sedov. Devenu président de l’académie des sciences en 1961, ayant travaillé avec Glouchko, c’est lui
qui présente l’exploit à la presse. Un cratère de la Lune porte même son nom !
Détail à noter, qui a son importance auprès de ceux dont j’ai déjà parlé ici et pour qui tout cela n’est qu’invention. Il existe une preuve supplémentaire de la présence humaine sur la Lune. C’est
Surveyor III qui nous la donne. En une seule image,
tout d’abord. Celle où on le voit, lui qui n’avait pas été photographié depuis avril 1967, lors de son lancement. Au loin, derrière lui, le
LEM d’Apollo XII, la seconde mission sur la Lune,
posé non loin du site (a 183 m exactement !) dans l’espoir de retrouver Surveyor et d’en ramener des éléments, dont la caméra verticale surmontée de son miroir orientable. Les photos prises par Conrad et Bean démontrent aussi que les techniciens de la NASA s’étaient trompés dans leurs calculs de vitesse de chute ou d’action de rétrofusée : l’engin avait très nettement
rebondi, au moins deux fois ! On en avait fait rebondir sciemment un autre, Surveyor 6, le 1
7 Novembre 1967, en déclenchant ses fusées quelq
ues fractions de seconde, pour le voir rebondir à 3,60m de haut,
tourner sur son axe, et évaluer en même temps la dureté du sol et la faculté de la poussière lunaire à se faire éjecter au loin. Avec cette expérience, la NASA savait déjà que les tuyères, sur la Lune, ne laisseraient presque aucune trace sur le sol, ce qui en avait intrigué plus d’un.
Surveyor III démontre aussi avec quelle légèreté avaient agi les scientifiques de la NASA : l’appareil n’avait pas été stérilisé avant son départ ! Conrad et Bean, les deux cosmonautes chargés de démonter des éléments de Surveyor pour les examiner après un séjour de 31 mois à la surface de la Lune vont donc logiquement découvrir (enfin les spécialistes à qui ils vont rapporter les morceaux) que cette caméra contenait toujours des bactéries, un
Streptococcus mitis, resté accroché au polystyrène chargé de servir de protection contre le froid.
Un énorme document PDF (de 308 pages) est disponible aujourd’hui attestant des recherches de bactéries sur l’engin lunaire. Il semble aujourd’hui que la contamination n’existait pas sur la Lune mais provenait d’une erreur d
e manipulation terrestre au retour.... Les deux cosmonautes avaient longuement préparé
l’opération ramassage de morceaux avant. Leur succès montrait aussi aux russes la qualité de leur positionnement sur le satellite terrestre : moins de 200 m d’écart avec la cible est une prouesse d’une haute teneur. Pour les coupeurs de cheveux en quatre (il y en a, hélas !), signalons que les photos du démontage de Surveyor sont en noir et blanc, car en déballant sur la Lune sa caméra couleur, Alan Bean l’avait malencontreusement dirigée vers le soleil, grillant complètement son capteur.
La seconde expédition lunaire humaine n’a pas de photos couleur, c’est étonnant, mais ça s’explique.
Mais les négationnistes de la présence lunaire ne vous parlent jamais de Surveyor III. De là à dire qu’ils ignorent son existence... sciemment
. La
photo de la camera recupérée, criblée de micro-impacts lunaire, devrait suffire à les calmer.
Mais j’en doute, à lire le flot de bêtises et d’âneries sur la question.
Orbiter aussi se fera doubler par
Luna X : le 31 mars 1966, les russes enchaînent leur énième première avec la mise en orbite de leur satellite d’observation lunaire.
France-Soir peut titrer : "
Luna X repère les terrains où se poseront les cosmonautes" : on ne saurait mieux dire. Lancé après une orbite terrestre, à partir d’une fusée R-7 de type militaire (SS-6) l’engin démontrait que trois ans avant le premier pas sur la Lune, les russes, qui cachaient encore leurs nombreux échecs, avaient résolu tout ce qu’il fallait effectuer comme étapes pour une expédition lunaire. Il ne leur manquait encore que la rentrée à 40 000 km/h au retour de l’astre lunaire : mais cela, personne ne l’avait fait, et c’est bien pourquoi d’ailleurs Apollo VIII sera si important. Tout le reste, rendez-vous spatial (très tôt dès le 23 juin 1963, avec le Vostok de Valery Bykovski et celui de Terechkova !) sortie dans l’espace et injection sur une trajectoire lunaire après orbite terrestre ils savaient le faire. Le 23 avril 1967, le lancement de Soyouz I avec Komarov à bord, qui devait être suivi de celui de Soyouz II du vétéran Bykovski, un vaisseau pouvant accueillir trois hommes à bord et prêt à effectuer au premier vol un rendez-vous spatial ravive leurs craintes. A ce moment-là, les américains s’estiment battu d’avance. Mais Soyouz I sera une catastrophe sur toute la ligne, avec son panneau solaire à demi déployé et son parachute vrillé, et
Komarov y perdra la vie. Laissant deux bonnes années minimum de répit à VonBraun.
Le retard pris par les soviétiques pour rendre sûr le vaisseau fiche en l’air la théorie des cosmonautes fantômes : si ça avait été le cas, on n’aurait pas interrompu aussi longtemps le programme Soyouz, indispensable pour se rendre sur la Lune : ni Vostok ni Voskhod ne le permettent. C’est Sergueï Beregovoï qui, le 26 octobre 1968 signalera à bord de
Soyouz III que la course à la Lune reprend de plus belle. L’engin est bien prévu pour une orbite lunaire, à peine modifié en LOK. Mieux encore : son lancement a été précédé d’un Soyouz II entièrement automatique avec lequel il devait s’amarrer. Sans y réussir en fait. Ce sont
Soyouz 4 et Soyouz 5 tous deux pilotés, qui vont réussir à le faire, le
16 janvier 1969. Les américains peuvent tout craindre à partir de cette réussite. Les russes savent tout faire. Ne leur manque qu’une fusée de la veine de Saturn V.
Dix-huit cosmonautes s’entraînent déjà depuis deux ans, dont Gagarine et Léonov, et des lancements d’étranges Cosmos semblent confirmer que les russes ont un véhicule en test pour se poser sur la Lune. Et surtout une
photo de leur satellite espion dérange les chercheurs de la NASA depuis fort longtemps déjà, dès 1963. Celle qui révèle la construction d’un
gigantesque pas de tir. On répand alors des milliers de
tonnes de béton, de quoi supporter un poids énorme. Des espions qui citent aussi d’étranges circuits de bateaux entre Samara et Baïkonour, avec à bord d’inquiétants morceaux des sphères aux
dimensions colossales. Un hangar tout aussi colossal a été bâti dès 1963 à proximité. James "
Jim" Webb, un des meilleurs administrateurs qu’ait eu la Nasa, décortique les photos en mai 1964 et annonce :
"There is some evidence the Soviets are working on a larger rocket, but we cannot say yet for sure.” En septembre 1966, c’est la presse US qui l’annonce : "In
September 1966, stories appeared in the Washington Post and the New York Timesstating that the United States had information that the Soviet Union was “developing a rocket booster bigger and more powerful than its own gargantuan and untried Saturn-V moon rocket.” The New York Times article estimated that the rocket’s thrust was 7.5-to-10 million pounds, compared to the Saturn V’s 7.5 million pounds. But both articles stated that U.S. intelligence analysts had not yet seen the rocket itself." Enfin, en décembre 1967, alors que Webb vient demander une rallonge budgétaire au Congrès, qui commence à rechigner à payer la note de plus en plus salée de la NASA, les satellites espions US la surprennent enfin
érigée sur son pas de tir. "In December 1967 for the first time American spy satellites photographed the Soviet rocket on the launch pad. The Soviets designated this rocket the N-1. Before it had appeared, Sayre Stevens and his fellow CIA analysts initially called it “the big mother,” until their superiors were told that such a salty term was not a proper intelligence designation. Now that the rocket had made its public debut for American intelligence experts, they started calling it the “Jay bird,” or the “J-vehicle.” En septembre 1968, Webb insiste pour que les cliché de la "Jay Bird" soient montrés à Johnson :
"By September 1968 Webb called the CIA to seek approval to show satellite reconnaissance photographs of Complex J to President Johnson. " Webb, en agitant adroitement la cloche N-1 va réussir à maintenir son programme lunaire au delà de ses espérances. Les choses s’accélèrent des deux côtés, bientôt ce sera la fin de la guerre froide... par KO lunaire ; c’est sûr.
Les russes, fin 1968, depuis 11 ans ont le parcours en tête, et ils ne sont pas décidés à laisser les américains mettre les premiers le pied sur la Lune. Ils s’activent pour y arriver avant, mais à l’époque, je le répète, on ne le sait pas. En 1968, ils avaient déjà effrayé un peu plus les américains : une sonde automatique Russe
Zond-5 avait été lancée vers la Lune le 15 sept 1968 l’avait contournée, et était revenue se poser sur Terre ou plutôt avait plongé à grande vitesse d
ans l’Océan Indien : les russes dominent déjà la terrible rentrée à 40 000 km/H (le véhicule rentre
bien brûlé cependant) ! En réalité, il s’agit du nouveau vaisseau habitable Soyouz revu et corrigé, lancé par une
puissante fusée Proton L1. Avec à bord des graines, des insectes, des tortues, des bactéries et des reptiles. Les américains se verront obligés de répondre avec Apollo VIII, qui fera la même chose le 21 décembre, mais avec trois hommes à bord. En décembre 1968, tout le monde sait que les américains sont prêts pour y aller, mais personne dans le grand public n’imagine que les russes sont eux aussi sur le point d’y arriver.
Mais hélas, chez eux, c’est le
décès surprise de Korolev, le véritable
roi de l’astronautique soviétique qui va tout désarçonner, pour une raison médicale qui aurait pu être évitée sans l’entêtement de l’establishment russe (il sera opéré par le ministre de la santé en personne, un chirurgien incompétent !), figé par les décisions venues d’en haut. Cela, et l’échec total et catastrophique de sa monstrueuse fusée, mal conçue, pour une fois. Mais c’est déjà une autre histoire, que nous verrons demain... si vous le voulez bien.