La crise alimentaire vue de l’espace

par Michel Monette
mercredi 30 avril 2008

Imaginez que vous êtes un astronaute revenant d’un long voyage dans l’espace après quelques décennies. Deux phénomènes géographiques vous frappent en arrivant aux abords de la Terre : l’espace urbain a grugé passablement de champs et de prairies ; l’espace occupé par les champs et les prairies a fait reculer les forêts de beaucoup. Curieux, vous demandez ce qui s’est passé en votre absence.


- (...) Ce n’est pas croyable ce que ça a changé. Tous ces quartiers, là où il y avait des champs et ces champs où il y avait la forêt. Quelqu’un peut m’expliquer ?


- (Houston) Ah ça ! C’est la mondialisation mon vieux.


- (...) La mondialisation ??

Une fois rendu sur Terre, vous serez littéralement gavé d’explications parfois contradictoires sur la mondialisation et ses effets géographiques, économiques, sociologiques, culturels, sans compter le réchauffement climatique qu’on vous expliquera en long et en large, et surtout - actualité oblige - la crise des prix des denrées alimentaires.



L’espace d’une crise

Patrick Poncet, chercheur en sciences sociales, membre de l’équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires (équipe Mit, Paris 7) et du réseau VillEurope, cherchait à répondre à une question en lien avec le sujet de ce billet il y a un an de cela : Comment cartographier la mondialisation ?

Selon Poncet, une des grandes difficultés auxquelles se heurtent les cartographes - eux qui tentent de représenter l’espace à l’aide d’une technologie sociale - est le fait que la mondialisation est « en grande partie portée par des réseaux de toute nature, véhiculant hommes, marchandises, information, et [que] le planisphère des pays, insistant sur la territorialité, oublie ainsi le moteur réticulaire de la mondialisation ».

La crise alimentaire, justement, est une crise des réseaux de production, de distribution et de commercialisation des aliments. Si ce n’était qu’une crise de production, la solution serait simple : on s’organise pour que les agriculteurs produisent assez d’aliments, idéalement le plus près possible des endroits où ils seront consommés, puis pour les distribuer avec le plus d’efficacité possible (en réduisant les pertes dues aux délais et aux capacités de conservation et en assurant leur innocuité).

Justement, ce n’est pas aussi simple à cause même de la nature de la mondialisation.

Manger ou commercer ?

Le directeur du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, s’est permis de faire la leçon aux pays exportateurs de céréales (notamment du riz) qui ont réduit leurs exportations, afin de protéger leur propre population contre la crise, accroissant ainsi la tension sur le système mondial de distribution alimentaire, les spéculateurs s’en donnant à cœur joie sur des marchés excités par la rareté (Le FMI craint les guerres de la faim).

Dans la logique du FMI et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la fin des barrières tarifaires et non tarifaires devrait permettre une meilleure circulation des marchandises dans des réseaux optimisés par des agents économiques libérés de toutes contraintes qui les empêchent de se faire concurrence à l’échelle mondiale au profit d’un monde plus efficace.

Le problème fondamental de cette vision idéalisée des effets positifs de la mondialisation est illustré par l’augmentation des champs et des prairies destinés à l’alimentation animale, combinée au détournement de champs, voire de forêts à l’exemple de l’Indonésie, vers la production d’agrocarburants.

Dans des réseaux d’échanges libres de toutes contraintes, cette double augmentation est tout à fait logique. Elle permet aux agents économiques de répondre à la demande de ceux qui ont les moyens de s’offrir à la fois la viande et l’énergie dite écologique.

Les autres ont faim ? Les autres vivent dans des pays où le moindre écart dans l’offre provoque une hausse importante des prix des denrées alimentaires ? Laissons les organisations humanitaires s’en occuper.

Si l’on pouvait cartographier la crise alimentaire, on verrait sans doute apparaître dans toute sa vérité l’immense détournement des écosystèmes que les réseaux de la mondialisation permettent, au profit d’une minorité du monde.

La minorité qui contrôle et oriente ces réseaux pour s’enrichir davantage, justement.


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