La croissance, cette morne plaine...

par heliogabale
lundi 18 août 2014

L'Insee annonce (une nouvelle fois) une croissance nulle pour le deuxième trimestre de cette année... La France est embourbée depuis 2007 dans une grande stagnation alors qu'elle s'est engagée à réduire coûte que coûte son déficit public...

En arrivant à Matignon en avril dernier, Manuel Valls avait pour ambition de desserrer l’étau que constitue « la règle des 3% » et de renégocier la trajectoire de réduction du déficit. Il est à noter que les gouvernements français ne cessent de jouer le même sketch depuis 2008. Les Allemands se sont certainement lassés de ces demandes répétitives de dérogation et ont opposé une fin de non recevoir à la demande de François Hollande et Manuel Valls.

L’équation s’avère alors difficilement résoluble : comment réduire le déficit de 1,2 point de PIB en l’espace de deux ans dans un environnement économique (très) dégradé tout en accordant aux entreprises des réductions de « charges » qui s’élèvent à près de 1,5 point de PIB, si possible sans mécontenter le peuple ?

L’été 2014 est traversé par de graves crises internationales qui éclipsent quelque peu l’échec de plus en plus avéré du nouveau gouvernement socialiste. Les prévisions de déficit pour 2014 étaient beaucoup trop optimistes et dès juillet, nous apprenions que le déficit resterait très certainement au-dessus des 4%, soit trois à quatre dixièmes de point de PIB au-dessus des prévisions de Bercy. Cette annonce dévie la France de son objectif de « retour au 3% » dès 2015 et discrédite un peu plus la France aux yeux des Allemands (ce qui ne me traumatise pas personnellement). Le deuxième camouflet est venu du Conseil constitutionnel qui a censuré le projet d’exonérations de cotisations familiales pour les salariés touchant moins de 1,6 SMIC, arguant de la rupture du principe d’égalité que cette réforme introduisait. Cette annonce intervient alors que la popularité de Manuel Valls s’effrite lentement mais sûrement, bien qu’il ne soit pas vraiment sous le feu des projecteurs. On peut légitimement se demander s’il passera l’hiver sans encombre.

Anticipant les épreuves auxquelles il sera confronté dès septembre, il annonce une rentrée difficile et agite le spectre de la déflation dans l’espoir d’être entendu par la BCE et Angela Merkel. Cette alerte révèle l’absurdité inhérente à cette politique de droite (ou social-libérale) menée par des personnes se réclamant (toujours) du socialisme. Ne sait-il pas que les « politiques de compétitivité » qu’il s’emploie à mettre en œuvre en France entraînent une désinflation qui peut rapidement se transformer en déflation ? Une politique économique doit se juger à l’aune des changements qu’elle occasionne dans le système d’interdépendances qui nous lie les uns aux autres. Le CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi) qui vise à accroître la compétitivité de nos entreprises en diminuant le coût du travail est un exemple patent. Cette mesure fiscale qui s’apparente à un effet d’aubaine pour bon nombre de ses bénéficiaires (on retrouve parmi les principaux bénéficiaires La Poste, la SNCF et les enseignes de la grande distribution comme Carrefour) sera financée par des mesures d’économies budgétaires drastiques qui amoindriront la croissance économique déjà très atone, réduiront le carnet de commande des entreprises et au final dégraderont le déficit. On en voit la couleur à travers les publications mensuelles du budget de l’Etat : des recettes d’impôts sur les sociétés en baisse en raison du CICE non compensées par les rentrées de TVA dont les taux ont pourtant été revus à la hausse au début de l’année.

En ce qui concerne les entreprises exportatrices, cette mesure s’avèrera être un coup d’épée dans l’eau : les débouchés des entreprises françaises se situant pour partie substantielle au sein de la zone euro, elles doivent faire face à un environnement parfois moins favorable qu’en France et une consommation des ménages (en particulier en Europe du Sud) totalement déprimée. En outre, la déflation qui s’annonce n’arrange pas les affaires de nos entreprises : cela entraîne une appréciation de l’euro par rapport aux autres monnaies, ce qui pénalisera davantage nos exportations hors zone euro.

L'exécutif ne sait plus où donner de la tête : Valls se montre inflexible et déclare qu’il est hors de question de changer de politique malgré le manque d’enthousiasme du parti socialiste mais il appelle l’Allemagne à faire preuve de plus de solidarité et la Commission européenne à l’indulgence. Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, ose aller plus loin, avec le probable assentiment de l’Elysée : l’objectif des 3% doit être abandonné. De ce cafouillage, émerge un paradoxe : quelle utilité à s’obstiner dans cette politique déflationniste si dans le même temps on rechigne à respecter les objectifs de réduction de déficit ? Et inversement, pourquoi se plaindre de cet objectif pourtant indissociable des politiques monétaristes auxquelles François Hollande adhère (de facto) depuis son célèbre discours sur la politique de l’offre ? Cela dénote l’illégitimité acquise (sic) par cet exécutif initialement élu pour mettre en place une politique tout autrement différente et qui par un grand retournement idéologique veut reconquérir une popularité qu’il avait autrefois usurpé.

L’annonce d’une croissance nulle au second trimestre par l’Insee refroidit les espérances du duo Hollande-Valls qui ne cessait d’implorer un autre retournement, celui de la conjoncture économique. Jusqu’à cet été particulièrement pluvieux, Hollande ne cessait d’apercevoir des éclaircies. Certaines venaient des pays « riches et industrialisés » (États-Unis, Japon, Royaume-Uni) : ces pays ont tous en commun de pratiquer une politique monétaire (très) expansive. On a pu observer un retour de la croissance dans ces pays mais cela reste bien maigre par rapport à la quantité de monnaie créée. Les États-Unis ont vu leur PIB croître de 4% en rythme annuel ce trimestre-ci, rattrapage logique du premier trimestre (-2,1%) suite à un hiver rigoureux. Le Japon après quelques bon résultats connaît un arrêt brutal de la croissance (-6,8% en rythme annuel) suite à la hausse de la TVA, les prochains trimestres étant déterminants quant à la réussite de la politique de Shinzo Abe. Le Royaume-Uni renoue depuis 2012 avec la croissance et retrouve grâce à sa bonne performance de ce trimestre (+3,2% en rythme annuel) le niveau de 2008. Mais cette croissance cache de nombreuses faiblesses : rebond de la production industrielle plus faible, bulle immobilière reformée, dépendance au secteur financier. D’autres devaient venir des pays émergent, mais ceux-ci s’affranchissent de plus en plus des pays occidentaux : réunion des BRICS, abandon progressif du dollar par ces derniers, tensions et sanctions contre la Russie qui elle-même riposte… Bref, tout cela nous incite à conclure que les potentielles bonnes performances des pays émergents ne profiteront pas forcément à la France. Le Moïse de Tulle s’est révélé être un prophète maudit.

La croissance n’est pas qu’importée, le marché intérieur restant toujours important. Or, on constate que le secteur du bâtiment plombe la croissance : miné par des prix trop élevés (Duflot a bon dos sur ce point précis) et le resserrement de l'offre de crédit par les établissements bancaires, ce secteur ne fait que commencer une purge qui durera le temps qu’il faudra pour retrouver des prix en adéquation avec les revenus des ménages... à moins qu'un gouvernement ait la mauvaise idée de distribuer des prêts à taux zéros et des réductions d'impôts tous azimuts et sans aucune contrepartie comme ce fut le cas sous Sarkozy... sauf surprise, le grand et douloureux retournement immobilier se déroulera lentement mais sûrement, affectera le PIB après l’avoir artificiellement gonflé dans la décennie précédente et assèchera durablement les finances des collectivités locales, déjà confrontées à la baisse des dotations de l’État. 

La tension est forte sur ce sujet : d'un côté, une politique de courte vue imposerait à Hollande de rouvrir le robinet de l'immobilier, de l'autre côté, si la France retombe dans cette spirale, outre le coût budgétaire, cela risquerait de regonfler la bulle immobilière, d’accroître la pression à la hausse des salaires (ou pire le surendettement des ménages) alors que le gouvernement tente désespérément de contenir le coût du travail...

Bref nous voilà bien coincés... si on prend un peu de recul, cela fait presque huit ans que l'on connaît une stagnation économique comme le montre le graphique suivant : la France est toujours un pays riche mais la part théorique à laquelle chaque citoyen a droit ne grossit plus. En pratique, du fait des inégalités structurelles dans la redistribution des richesses, les plus pauvres s'appauvrissent et les plus riches s'enrichissent.

On arrive certainement au bout d’un processus entamé au début des années 1970 : la croissance qui était de l’ordre de 5% par an durant les trente glorieuses a commencé à dévisser. Les années 1970 n’ont offert « que » 4% de croissance annuelle, dans les années 1980 et 1990, la croissance annuelle s’est établie aux alentours de 2%, dans les années 2000, la croissance annuelle s’est élevée à environ 1,5%.

Il n’y a rien de plus normal, dira-t-on : les trente glorieuses ont correspondu à une période de reconstruction de l’appareil économique français qui était inopérant à la fin de la seconde guerre mondiale. La reconstruction étant terminée, l’investissement a ralenti puisqu’il reposait davantage sur le renouvellement (et non plus son accroissement) d’un appareil industriel toujours plus productif et qui a de moins en moins recours au travail humain. En outre, le ralentissement de la natalité française a freiné la demande de consommation (les deux tiers du PIB français) et le besoin de nouvelles infrastructures.

L’endettement a permis de soutenir le PIB et semble avoir été le principal moteur de la croissance des pays occidentaux durant les années 2000. La crise de 2008 a mis à mal ce moteur qui s’était avéré essentiel pour soutenir la consommation tout en évitant d’augmenter les salaires.

On ne peut plus compter sur "la croissance (nominale) du PIB" pour réduire le déficit... on ne peut plus compter également sur l'inflation : le PIB utilisé pour calculer le déficit en point de PIB étant celui en prix courant (qui prend en compte l'inflation), un peu d'inflation peut toujours aider si par ailleurs on arrive à modérer l'augmentation des dépenses (gel des prestations). Patatras ! La rigueur budgétaire et le CICE anéantissent cette possibilité. Pire, la déflation amoindrit la rentrée des recettes (notamment la TVA) et pourrait donc faire déraper le déficit. 

Il est vraisemblable que nous connaissions plusieurs années de croissance nulle ou presque nulle accompagnée d’une inflation tout aussi proche de zéro. Il est probable dans ce cas que les taux d’intérêt de la dette suive la même pente : cela entraînerait la réduction de la charge d'intérêts. Le taux apparent de la dette des administrations publiques se situe un peu en dessous de 3,0% soit 2 points au dessus de l’inflation. Si ce taux apparent diminuait de 2 points, l’économie pour le budget de la Nation, toutes choses égales par ailleurs, serait d’environ 40 milliards d’euros, soit presque la moitié du déficit actuel. Le cap du gouvernement serait d’une part de grignoter quelques milliards d’euros par l’intermédiaire de gels de prestations ou de réformes structurelles survendues (la suppression des départements) et d’autre part compter sur la baisse progressive de la charge d’intérêt pour réduire le déficit. Dans ce chemin étroit, le plus petit grain de sable fera dérailler la machine et nous projettera dans un monde nouveau. Est-ce alors tenable ?

Dans cet environnement de faible croissance et d’inflation nulle, un monde est en train de mourir. Un monde où la prospérité et la paix pour tous étaient des faits quasi innés. Un monde où les projets de vie étaient linéaires et balisés par des protections sociales qui permettaient de faire face dans une certaine mesure aux graves accidents de la vie. Un monde qui offrait des rendements exponentiels à quelques-uns toujours pour le bien de tous. Un monde qui avait au moins dans les discours le sens de l’égalité ou à défaut de l’équité. En résumé, un monde qui avait le souci de concilier les antagonismes parfois les plus radicaux. Dans le monde qui naît, certains aspects du monde ancien disparaîtront, d’autres seront transformés, enfin certains seront consolidés. Mais où allons-nous ainsi ?


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