La culture, un superflu si nécessaire !

par Jean d’Aïtone
mercredi 21 février 2024

La culture et l’éducation nationale sont les deux bêtes noires des cancres, des oligarques et des dictateurs. Dans le système ultralibéral, c’est l’économie qui prévaut sur les arts. La culture est en danger, la liberté de création menacée et la diffusion des œuvres presque totalement contrôlée. En huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être. Seulement voilà, Macron a pris la France et n'en sait rien faire si ce n’est casser les acquis sociaux comme étant des freins à l’économie. La vision culturelle d’Emmanuel Macron semble orientée vers une mondialisation totale, au risque de négliger les cultures régionales et personnelles. La consommation culturelle dirigée et encouragée peut entraîner la substitution de la civilisation mondiale à nos spécificités culturelles. Macron étale sa culture personnelle sur ses tartines discursives mais sa vraie culture est celle de la start-up.

Tous les éditeurs et les auteurs le savent : enlevée la TVA, il est difficile sur le hors-taxe de rémunérer tout le monde : Editeur, diffuseur, libraire, graphiste, correcteur... et l'auteur qui est souvent le laisser pour comptes. C’est connu : l’auteur est au début de la chaîne du livre et à la dernière place du profit. Il est rarement ou mal payé en bout de chaîne. Seulement 3% des auteurs vivent de l’écriture. En période de crise, le livre n’est pas considéré comme une nécessité chez les lecteurs-consommateurs et tous les libraires constatent une baisse des ventes considérable. La TVA est un impôt injuste et, dans le secteur du livre, elle freine les achats, donc, à terme, elle met en danger la chaîne du livre. Sarkozy et Fillon l’avait relevée de 5,5 à 7%. Depuis janvier 2013, ce taux réduit est revenu à 5,5% pour les livres sur tout support et les activités de location de livres. Cependant, les publications interdites à la vente aux mineurs (pour des raisons pornographiques, violentes, etc.) sont soumises au taux normal de TVA à 19,6%.

Les petits libraires sont en première ligne : leur disparition livrerait la production littéraire à la culture des grandes surfaces et à la loi du marché dont les uniques bénéficiaires sont les grandes maisons d’édition qui fabriquent des best-sellers commercialisés à grand renfort de publicité. La mort des petits libraires précèderait celle des petites maisons éditions et de bons nombres de salons littéraires. Toute hausse de la TVA, dans la logique de rigueur, est une mort annoncée et donc la programmation de cette mort lente. Le marché régulera la production littéraire. La loi du marché mettra au premier plan le profit au détriment de la culture. On représente souvent l’apprentissage de la connaissance par un entonnoir : la réduction du nombre des librairies et des éditeurs ne ferait que permettre d’en contrôler l’embout.

Ne suffit-il pas de réduire le nombre des journaux pour contrôler la presse ? C’est la même chose pour la littérature. Dans cette perspective, l’e-book sera l’avenir du livre tant que la loi du marché ne viendra pas contrôler la production littéraire de l’Internet. D’ici-là, tout un pan de cette production aura disparu dans les secteurs de la vente, de l’impression, de l’édition et de l’écriture. D’aucuns accusent déjà les petits éditeurs d’être la cause d’une surproduction. Leur production encombre d’autant moins les réseaux de distribution, qu’elle n’y a encore qu’un accès très limité. Visible et bien défendue chez les indépendants, la petite édition est présente mais souvent confinée dans les chaînes. Elle demeure généralement absente des grandes surfaces et même des vitrines du plus grand nombre de libraires.

Il faut se méfier des dirigeants qui promettent le meilleur des mondes, dans lequel ils sont les Alphas et les Bêtas ! Depuis longtemps, Nicolas Berdiaef nous avait mis en garde : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ? Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique, moins parfaite et plus libre. » On se souvient de cette civilisation de loisirs promise par la croissance et les avancées sociales… la culture pour tous ! Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Des plans d’austérité qui s’attaquent au pouvoir d’achat des plus démunis dont le nombre augmente et devrait encore augmenter.

Quelle conséquence ont l’inflation et l’augmentation de la TVA sur les livres, les places de cinéma, les disques, les transports ? Pour les riches, aucune ! Quant aux plus pauvres, c’est la condamnation à regarder benoitement la télévision et à ne plus bouger de leur quartier. Aujourd’hui, c’est l’inflation qui ronge les salaires. Autant dire que le pouvoir d’achat des plus pauvres ne va qu’en diminuant. Tout est fait pour que l’accès à la culture et aux loisirs, qui passent par l’argent, se réduisent. Seuls les riches pourront se payer ce qui deviendra le superflu pour les autres. Et puis, à court terme, les politiques culturelles mettent en difficulté les écrivains et les créateurs hors des grands circuits de distribution contrôlés par quelques nababs. L’édition à compte d’auteur est un commerce de prestataire de services souvent chers payés. Les livres à comptes d’auteur n’ont pas de diffusion et les ventes ne remboursent souvent pas l’investissement fait par l’auteur. Dans le storytelling d’Emmanuel Macron, on apprend qu’il aurait voulu être écrivain. Il a encore le temps de l’être mais écrit-il ses discours ? Dans le numéro 75 de La Règle du jeu, il redit sa passion pour les romans de Gustave Flaubert, en particulier "Madame Bovary". "Son exigence. Sa langue absolue", détaille-t-il. Il cite également Stendhal ("Stendhal a changé ma vie"), "Les Nourritures terrestres" d'André Gide, ("le livre de mon adolescence") et René Char ("le poète qui m'a appris le plus sur l'indicible"). Un choix classique de bachelier même si l’on ne peut que l’approuver. Dans le même article, il parle de sa vocation contrariée d’écrivain et justifie l’abandon après un premier roman écrit à 16 ans et resté dans un tiroir. « Un mauvais livre est sans doute un livre qui n'était pas nécessaire », estimait-il. « Et donc, quel que soit l'auteur, quand j'ai ce sentiment, j'arrête de lire et j'abandonne l'ouvrage. C'est sans doute aussi pour cette raison que j'ai si peu osé rendre public ce que je pouvais écrire. S'il n'y a pas de nécessité, mieux vaut le silence ». Nécessaire ? La nécessité serait la qualité majeure d’un livre. Fait-il allusion à Euripide qui disait "Le nécessaire suffit au sage". Une façon de se dire un sage ? Ou considère-t-il qu’on soit assez riche quand on a le nécessaire". Nous préférons cette pensée d’Oscar Wilde :"Nous vivons à une époque où le superflu est le seul nécessaire que nous ayons". Macron se gargarise de mots rares ou désuets. Toutefois, comme l’a justement dit Paul Léautaud : « La littérature n'a rien à voir avec la richesse du vocabulaire, sinon le plus grand des chefs-d’œuvre serait le dictionnaire ».

L’édition papier n’enrichit donc que les gros éditeurs mais la petite édition reste encore « nécessaire » comme une aire de liberté de publication et de culture, même si elle touche un lectorat peu nombreux. Il reste la télévision numérique. Là on revient aux jeux du cirque. Les téléspectateurs jouent avec leur télécommande sur des chaînes qui diffusent de la téléréalité, des feuilletons américains, du sport et des informations politiquement correctes. Rien de nécessaire ! Pour le peuple, plus de culture. Du pain noir et des jeux ! La Française des jeux est là pour lui laisser de l’espoir d’accéder au pinacle des riches. Et puis, si vous n’avez aucun talent, aucun parent dans le showbiz, on vous laisse encore espérer, en allant faire la queue des candidats à la téléréalité, devenir une star. Quelle réalité affligeante ! Quelle mascarade !

Emmanuel Macron a provoqué des réactions lorsqu’il a déclaré : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse. ». Cela a été d’autant mal perçu que la francophonie est présente sur tous les continents et que déjà la langue est un facteur de spécificité culturelle sans oublier les langues régionales. Si la culture française est un héritage collectif de tout ce qui a écrit notre histoire, nos traditions en constituant une nation, elle n’en est pas moins singulière et reflète une identité collective avec des spécificités régionales. Affirmer l’existence d’une culture française, c’est concevoir la culture comme un bien commun, un élément qui nous unit et nous enrichit collectivement. Alors, oui, il existe bien une culture française spécifique et unique. Ce n’est pas du chauvinisme et du communautarisme de le dire. Cela n’efface pas qu’il existe aussi une universalité culturelle mais elle ne doit pas non plus être la négation de la culture française.

La culture est un reflet de notre humanité. Macron n’en a apprécié que l’écume et le profit qu’il peut en tirer. Pour lui, la culture est un pouvoir en soi, un vecteur puissant, capable d’influencer nos vies et la société. Il privilégie les industries culturelles et les médias de masse qui jouent un rôle majeur dans la formation des représentations culturelles et politiques. Acteur politique, il est conscient de l’impact de la culture sur la réception de leurs choix par les citoyens-consommateurs. Avec Macron, la distinction entre culture et communication est au cœur des enjeux politiques contemporains. L’accès aux œuvres pour le plus grand nombre de citoyens ? Il n’a rien à foutre de la problématique classique de la démocratisation de la culture. La culture anthropologique, qui englobe l’ensemble des pratiques sociales, des coutumes et des manières de vivre de notre société ? Pour Macron, Vulcain alias Jupiter, elle n’exprime pas des signes démocratiques. Lorsqu’on l’interroge sur sa politique culturelle, Macron parle d’une consolidation comme l'une des réponses à apporter aux divisions politiques : "Compte tenu des difficultés de la question politique et des tensions, la question culturelle est un ciment. Je pense qu'elle fait partie des réponses. L'Éducation, la culture sont des réponses à cette espèce de diffraction de la question politique." Il veut, ajoute-t-il, défendre "l'exception culturelle française", en élaborant "un nouveau système de financement" afin de préserver "un cinéma français très fort, une création musicale et une scène française vivante". Il voudrait aussi bâtir un métavers européen et français. ( propos recueillis par Radio-France le 22 avril 2022) Donc trois mots clés : politique, financement, numérique.

La vision culturelle d’Emmanuel Macron semble orientée vers une mondialisation totale, au risque de négliger les cultures régionales et personnelles. La consommation culturelle dirigée et encouragée peut entraîner la substitution de la civilisation mondiale à nos spécificités culturelles. Macron étale sa culture personnelle sur ses tartines discursives mais sa vraie culture est celle de la start-up. Un homme de culture ne peut s’enfermer dans le culte de lui-même, face à son miroir en disant « aimons-moi les uns les autres » ! J’aime bien la définition donnée par Aimé Césaire : « L’homme de culture doit être un inventeur d’âmes. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c’est un produit de l’homme : il s’y projette, s’y reconnaît ; seul, ce miroir critique lui offre son image.  » Pour Macron, la culture n’est qu’un moyen de satisfaire ses ambitions ; elle n’est pas ce miroir critique évoqué par le poète martiniquais. Elle renvoie au parvenu élyséen une image hypertrophiée de lui-même. Elle a gonflé sa mégalomanie, son besoin de paraître cultivé plus que de l’être. Elle est donc réduite à un vernis.

Nous venons de vivre un épisode gouvernemental qui est représentatif de l’intérêt réellement porté par Macron and Co à la culture et à l’Education nationale. Un épisode révélateur : le rattachement de l’Education nationale à une ministre des Sports à qui il a dû rapidement la retirer était révélateur. La nomination d’une ancienne ministre de la Justice sortie d’une voie de garage démontre le manque de personnels politiques autour d’un Macron égocentrique. Les clés du ministère de la Culture ont été confiées à Rachida Dati pour des raisons de politique politicienne qui n’ont pas échappé aux commentateurs. Il s’agit du débauchage d’une Sarkozyste et d’une candidate néo-macroniste à la mairie de Paris.

La culture et l’éducation nationale sont les deux bêtes noires des cancres, des oligarques et des dictateurs. Pour les ultralibéraux, c’est l’économie qui prévaut sur les arts. La culture est en danger, la liberté de création menacée et la diffusion des œuvres presque totalement contrôlée. En huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être. Seulement voilà, Macron a pris la France et n'en sait rien faire si ce n’est casser les acquis sociaux comme étant des freins à l’économie. Il n’est pas le petit génie annoncé mais plutôt le mauvais génie parvenu. Pourtant, il se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse. Quand on mesure l'homme, on le trouve si petit pour une fonction si élevée. On ajoute son cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde, d'un homme médiocre qui a été monté au pinacle pour mettre en œuvre les basses besognes.

 


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