La cupidité est un virus

par parlons-en
mardi 8 avril 2014

On a de quoi se faire plaisir quand on est riche, mais a-t-on de quoi se rendre heureux ? Depuis que l’argent et l’économie ont monopolisé nos esprits et nos médias, l’idéal que chacun cherche à conquérir est une devenue une illusion.

Gagner un peu plus revient à en laisser un peu moins à un autre. On a beau sortir toutes les théories macroéconomiques qui soient sur la redistribution des richesses, l’investissement du surplus, le rééquilibrage par l’action publique, etc. Lorsque quelqu’un gagne un sou, il l’a pris à quelqu’un d’autre. Lorsque l’on mange une tomate, on la mange à la place de quelqu’un d’autre. Le rôle de l’économie est de faire en sorte qu’il y ait assez de tomates pour tous et qu’il ne soit pas nécessaire d’en faire trop, au risque de ne plus en avoir demain. Or si quelqu’un décide d’en commander plusieurs et de ne manger que ce que son appétit désir, alors il perturbe l’ensemble du système. Pour autant, s’il est normal et habituel dans son environnement social de consommer plus qu’il n’en faut, pourquoi se sentirait-il coupable ? De plus, dans notre société occidentale contaminée par le « surplus américain », un sou gagné n’est ni de trop ni suffisant. C’est donc une escalade sans fin, vous avez beau donner toute votre énergie pour gagner un sou, une fois conquis, la société vous convaincra qu’il vous en faut un autre. Vous devrez donc travailler de nouveau, au détriment de ce fameux « bonheur ». Les hommes riches sont-ils responsables de la pauvreté pour autant ?

Le monde est notre représentation. Bon nombre de philosophes ont écrit au sujet de la représentation que l’homme faisait de son environnement. Beaucoup en ont conclu que nous ne sommes pas destinés à aimer une couleur ou apprécier un son, nos plaisirs et nos désirs se forgent selon ce que nos sens ont connus au cours de notre vie passée. On définit un mot après l’avoir entendus, lu et interprété selon les circonstances de son utilisation, et non en ayant appris le dictionnaire comme un sage enfant scolaire. Un londoniens aimera avec ardeur et passion les femmes fines et les voitures brillantes. Un kenyan aimera les costumes colorés qu’il a toujours connu, ainsi que sa nature qui l’a toujours nourris avec générosité et sobriété. Je n’ose pas croire que la cupidité et l’avidité soient héréditaires et donc génétiques. Nous apprenons, tous les jours, à en vouloir toujours plus, quelle que soit notre place ou notre âge. Que l’on soit riche ou pauvre, nous aimerions tous en avoir un peu plus, juste un peu plus. J’exclu bien sûr les personnes vivant dans la survie au milieu d’un monde opulent, qui n’ont pas l’énergie d’espérer en avoir trop, puisqu’ils cherchent avant tout à en avoir assez.

 La cupidité n’est pas une affaire de riche. Les communistes se trompaient en pensant que si les prolétaires prenaient en main leur destin, la bourgeoisie s’éclipserait comme une race qui s’éteint. Aujourd’hui il est même indispensable d’accompagner psychologiquement quelqu’un qui gagne au loto une somme inattendue, sinon l’argent la rend malade comme une drogue tuerait un jeune ado. Je cherche à soulever l’idée qu’il ne faut pas blâmer les riches d’escroquer les pauvres ou les moins riches, car s’ils le font ce n’est pas parce qu’ils sont naturellement avides et malhonnêtes, et donc condamnables, mais parce qu’il ne leur a jamais été crié à l’oreille qu’ils étaient des criminels. Cela vient du fait que le système dans son ensemble le leur permet et leur a appris à l’assumer, avec plus ou moins de facilité selon les affaires qu’ils entretiennent. Pourquoi un homme ou une femme vivant sans manque d’argent ne va-t-il pas avoir de pitié spontanée pour un mendiant malade ? Parce qu’il pensera qu’il n’est pas anormal de rencontrer cette différence. Le système génère des riches inquiets de leurs histoires de cœurs dignes des séries télévisées et en même temps des pauvres abandonnés par l’espérance. Le passant pressé n’a pas de scrupule ni de remords, c’est ainsi. Si son éducation lui a enseigné l’éthique lors de sa jeunesse catholique, alors il donnera quelques pièces à cette personne à l’agonie, mais sans risquer de la regarder, de peur d’être dévisagé.

 Les riches et les pauvres ne sont pas des races aux génomes différents. Il n’y a pas non plus une volonté collective des castes de riches à inciter les moins riches à donner de leur vie et de leur énergie au service d’un grand système que seuls ces riches sauraient dompter. Je ne crois pas à cette théorie « complotiste » comme quoi notre système économique est maitrisé par une poignée d’oligarques s’organisant ensemble pour plumer le peuple de ses ressources tout en lui laissant de l’espoir d’un avenir meilleur pour les garder motivés à travailler. Cette vision se retrouve dans des situations localisés mais elle n’est pas globalisée. On sait que certaines organisations exploitent des hommes pour recycler des déchets, pour extraire des diamants, pour partir au combat. Pour toute sorte de travaux indécents qui demandent de l’autorité et un gros manque de dignité.

 Notre système n’a pas de tête. Personne ne le maitrise, seul ou en groupe. C’est un point fort pour lui parce que personne n’est vraiment responsable de ce qu’on lui reproche, alors que tout le monde est impliqué. Il y a ceux qui subissent, ceux qui fuient et ceux qui en profite à différents degrés. On pourrait penser qu’il suffirait de s’attaquer aux profiteurs, aux riches, aux bourgeois. Mais lorsque l’on tire dans une masse, elle ne change pas de poids ni d’aspect. Donc plutôt que de lutter contre soi-même, puisque qu’on fait tous parti du système, même ses plus fervents opposants, il faut réorienter ceux qui nous accompagnent, par un mouvement global. Déplacer la masse ou l’inciter à se déplacer par elle-même dans une autre direction et à une autre vitesse, idéalement moins vite pour ne semer personne.

 J’ose espérer que cette manière de voir ne soit pas trop optimiste. Mais je préfère être un imbécile heureux plutôt qu’un imbécile triste, comme le serrait un pessimiste. Cette vision de changement passe par la politique, vous l’aurez compris. La politique engendre les lois qui bornent nos folies. Ce n’est pas mal d’être malhonnête, non pas parce que ce n’est rien d’être malhonnête mais parce que l’homme n’est ni bon ni mauvais, il est ce que la société a fait de lui. Les hommes ne naissent peut-être pas libre et égaux en droit, mais ils naissent tous ignorants. Il faut donc garder l’espoir que des textes, supérieurs à nos vices, puissent contrôler nos tares et accorder à notre avenir un semblant de cohérence par le biais d’un contrôle de la société plutôt que des personnes. Alors soyons audacieux et reprenons le contrôle sur ce système déganté laissant libre mouvement à qui veut l’exploiter. Le système ne devrait être influençable que par des actions raisonnables. D’après les dernières études philosophiques, la démocratie est la plus apte à jouer ce rôle, encore faut-il lui trouver le modèle qui correspond à ce que l’on attend d’elle.

 

 Les inégalités de richesses sont responsables de la souffrance de bon nombre d’humains, mais c’est à chacun de prendre conscience que c’est au système tout entier, et donc celui auquel nous faisons tous parti, qu’il faut s’en prendre pour espérer changer les choses et non pas décharger l’accusation sur ceux que l’on pense responsables. Si le pétrole pollue, ce n’est pas parce que le lobby pétrolier s’efforce d’en extraire des sous-sols mais bien parce que nous sommes tous consommateurs de ce pétrole. On ne rend pas la justice aux pauvres en volant les plus riches, mais en faisant en sorte qu’ils ne le deviennent pas, là se trouvera l’équilibre.


Lire l'article complet, et les commentaires