La Décomposition de la majorité présidentielle

par Olivier Perriet
lundi 28 octobre 2013

Contrairement à beaucoup, je pense que l'intervention du Président de la République était largement justifiée dans "l'affaire Léonarda".

Que penser lorsqu'un Ministre de l'Intérieur proclame qu'il faut tenir bon sur les évacuations de camps et les reconduites à la frontière et qu'une partie de son camp le fascise quasiment tous les jours, alors que le reste se tait - ou le soutient mollement comme une corde soutient un pendu ?

D'autant plus que Cécile Duflot a, quasi explicitement, dévoilé le rôle de leurre politicien de cette "Valls de polémiques" : c'est pour conclure un congrès interne houleux début octobre, où la participation d'Europe Ecologie Les Verts au gouvernement, à travers sa personne donc, fut violemment contestée, et où un poids lourd comme Noël Mamère a claqué la porte, qu'elle a relancé la controverse sur "les propos inacceptables du Ministre de l'Intérieur à l'endroit des Roms".

Intervention et clarification nécessaires, donc : l'occasion aurait été bonne de faire une mise au point sur la politique migratoire de l'exécutif, sur le sens donné aux reconduites, etc…

Au lieu de cela, la parole présidentielle a cruellement mis à nu la décomposition avancée du pouvoir et de la majorité.

 

Le Mythe de "la compétence" en miettes

En 2007, Ségolène Royal était "une cruche". En 2012, on souligna "l'amateurisme économique" du Front National. Lors du débat d'entre-deux tours, les deux heureux finalistes firent assaut de propositions toutes plus techniques les unes que les autres, éblouissant la plèbe de leurs grandes compétences et noyant efficacement le poisson.

Cette façade a définitivement volé en éclat samedi 19 octobre 2013, lorsque le Président de la République, pour les raisons que nous verrons plus loin, a proposé à Léonarda de revenir en France, "si elle le souhaitait" tout en maintenant le refus de séjour opposé au reste de la famille.

Pas besoin d'être un expert en droit pour comprendre qu'il est absurde d'inviter une mineure à venir seule en France, si elle n'a pas de famille sur place (information dont le locataire de l'Elysée ne s'est visiblement pas inquiété).

Tout le scandale est d'ailleurs venu de cet impératif :

Assurer la reconduite de toute la famille, le père ayant été renvoyé seul plusieurs semaines avant. Une famille composée de la mère et de 6 enfants, du nourrisson jusqu'aux adolescents. La bagatelle de 7 personnes à prendre en charge, avec toutes les questions logistiques qui vont avec. Dans ce contexte, la localisation tardive de Léonarda dans un bus scolaire, puis son interpellation au milieu de ses camarades de classe ne sont pas forcément surprenantes.

Une telle méconnaissance des règles de base, qui imposent, au nom de la protection de la vie familiale (sanctifiée par "les associations" et le droit européen), de ne pas séparer les parents des enfants, au sommet de l'État, laisse sans voix.

Et d'ailleurs, pour quelle raison aurait-elle le droit de revenir et pas ses frères et sœurs ?

Quel élément nouveau y a-t-il la concernant ?

C'est que cette proposition surréaliste s'adressait en fait à sa propre majorité, et pas à la famille Dibrani, qui n'est, contrairement à ce qu'on pourrait croire, qu'un élément secondaire dans cette histoire.

 

Le Retour de la "Guerre des étoiles"

Les "primaires citoyennes" avaient déjà démontrées que le discours de Manuel Valls n'avait guère de points communs avec la rhétorique de "son camp" : glorification des "entrepreneurs", promotion de la "TVA sociale", engagement européen, fermeté assumée sur le contrôle des flux migratoires…tous ces thèmes le rapprochent plus d'un François Bayrou que du PS. Une écurie électorale qu'il ne quitterait cependant pour rien au monde, lui qui souhaitait, avant Jean-Luc Mélenchon, la transformer en "parti de gauche" dépolitisé [1].

La béance entre Manuel Valls et le reste n'a fait que s'agrandir avec sa stratégie de conquête de l'opinion "à la Sarkozy", via les moyens du Ministère de l'Intérieur. "Le ministre le plus populaire du gouvernement" agace de plus en plus "ses camarades" et les polémiques, mêlant rivalités personnelles et différents politiques, vont bon train.

L'affaire Léonarda a précipité cette guérilla de moins en moins larvée, où les coups bas pleuvent et prennent à témoin une opinion médusée par tant de haine. Retour en 2005-2006, avec la guerre des étoiles entre Villepin-Sarkozy, sur fond d'émeutes urbaines et de manifestations contre le CPE. Ou en 2001-2002, à l'approche du dénouement de la lutte Chirac-Jospin.

Pas besoin de cohabitation pour que le sommet de l'Etat se transforme en champ de bataille.

 

Dans ce contexte, un élément a dû paniquer l'Elysée : les manifestations lycéennes anti Valls, lancées par des syndicats pourtant considérés comme des "pouponnières du PS". Des images fortes pour "l'imaginaire de gauche", même si elles n'ont rassemblées que quelques milliers de jeunes à la veille des vacances de Toussaint, les 17, 18 et 19 octobre. Alors que les rassemblements contre le mariage pour tous n'ont pas ébranlé la majorité qui a tenu bon.

Sans remonter à Mai 68 ou aux manifestations contre la loi Devaquet, le souvenir de la mobilisation anti Claude Allègre de 1998-1999, portée par l'UNEF et les syndicats étudiants d'extrême-gauche, qui a plombé le début du mandat de Lionel Jospin et a débouché sur le remplacement d'Allègre par un Jack Lang moins ébouriffant, a dû hanter François Hollande. D'où cette proposition absurde, que l'intéressée ne pouvait que refuser, et qui dev(r)ait éteindre la contestation juvénile dans l'œuf. Si tout va bien.

Paralysée par ses divisions internes, la majorité assume honteusement la politique migratoire de ses prédécesseurs et est incapable d'en expliquer le sens.

 

Une démonstration de "laxisme" ?

La proposition présidentielle est également désastreuse car elle accrédite le procès en "laxisme" de "la gauche". Non pas un laxisme concret, puisque le rythme des reconduites ne fléchit pas. Mais une telle incapacité à justifier cette politique valide l'idée que refuser le séjour à un étranger s'apparente aux déportations de la seconde guerre mondiale. C'est-à-dire qu'elle donne tout simplement raison à l'idéologie de l'immigration libre, portée par un informel mais très puissant "parti de la préférence immigrée"[2]. Par contrecoup, elle soutient la poussée du Front National, qui a toutes les chances d'exploser aux élections européennes, défouloir maintenant traditionnel.

Elle jette aussi l'opprobre sur les services chargés de cette tâche, qui sont rendus indirectement mais très clairement responsables du fiasco : on rappelle aux forces de l'ordre de ne pas aller chercher les enfants à l'école (comme si ça avait été fait délibérément, cf. ci-dessus), on souligne que les demandes d'asile politique ne sont pas traitées assez rapidement (mais comment faire lorsque le droit d'asile devient une voie d'accès comme une autre au titre de séjour et que 80% des demandes sont en toc, comme l'a magistralement montré l'exemple de la famille Dibrani ?). Pas si loin, finalement, des boucs-émissaires de Nicolas Sarkozy. Voilà qui ne va pas améliorer la popularité en berne du Président.

 

Alors que François Hollande plafonne à 20% d'opinions favorables dans les sondages, une majorité devenue folle s'étripe en direct, comme s'il s'agissait de piller le coffre-fort du Titanic avant le naufrage final. Le ministre le plus populaire (et le plus ambitieux !) se retrouve "chevènementisé", pris en tenaille entre le feu violent de ses "amis" politiques et l'indifférence du "camp d'en face", pour lequel il demeure un dangereux gauchiste.

Preuve de la décomposition avancée de la vie politique, l'accélération des cycles est impressionnante : après un "état de grâce" de quelques mois, la fin de règne de François Hollande semble débuter après un an et demi d'exercice du pouvoir. Le roi est nu, mais il lui reste, sauf imprévu, plus de 3 ans à tenir.



[1] Pour en finir avec le vieux socialisme…Et être enfin de gauche, 2008

[2] Comme l'a souligné le journaliste Hervé Algalarrondo dans La Gauche et la préférence immigrée, 2011

Rapport sur les modalités d’éloignement de la famille Dibrani

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