La défenseure des droits découvre la différenciation pédagogique

par Luc-Laurent Salvador
lundi 29 août 2022

S’approcherait-on du cercle vertueux de la réussite scolaire ?

Claire Hédon, la défenseure des droits, qui a remplacé Jacques Toubon à cette fonction, est une journaliste. Il n’y a pas de sot métier et un regard neuf est souvent utile, même quand, parfois, il est candide au point d’en être naïf.

Interviewée ce matin dans la matinale de Mathilde Munos sur France Inter, elle évoque un récent rapport relatif à la situation problématique des élèves en situation de handicap concernant le personnel AESH [1] qui est censé les aider individuellement mais se trouve insuffisamment recruté, quasiment pas formé et pas employé d’une manière centrée sur l’intérêt de l’élève (par exemple le temps interclasse n’est pas couvert par l’employeur Education Nationale alors que des besoins critiques peuvent s’y faire sentir pour l’élève).

Quoi qu’il en soit, au cours de l’interview — fort bien mené par Mathilde Munos qui laisse toujours parler son invité mais cherche par ses questions à structurer et préciser le propos dans l’intérêt de l’auditeur — à 6’45’’ précisément, la défenseure s’arrête, comme s’il s’agissait d’une découverte majeure, sur le cas d’un élève qui n’a pas l’AESH qui lui a pourtant été notifiée [2] et dont l’enseignant, après quelques semaines difficiles, adapte alors son enseignement, au bénéfice de tous — puisque c’est la compréhension des consignes qui posait problème (cf. le rapport p.9). La conclusion tombe alors, magistrale : « l’école doit s’adapter aux besoins des élèves », c’est le fil conducteur de son rapport.

C’est beau comme du Mozart mais, justement, la grande musique c’est parfois triste à pleurer, surtout quand il s’agit de redire de telles évidences, plus de trente ans après la loi Jospin qui avait si judicieusement et si intelligemment mis l’élève au centre du système scolaire — l’élève plutôt que les savoirs, comme le regrettent ardemment tous les rétrogrades idolâtres d’une connaissance durement acquise.

Cette loi, comme l’idée de cycles d’apprentissage qui en était un corollaire, est restée à peu près lettre morte, avant tout faute de formation adéquate pour les enseignants. Je ne souhaite absolument pas mettre ces derniers en cause car ce sont clairement les gouvernements successifs qui en portent quasiment toute la responsabilité, avec les syndicats aussi, qui ont laissé faire, malheureusement.

Pour le dire vite, car il faut aller à l’essentiel, les enseignants sont infantilisés par l’administration au travers des programmes qui fixent les contenus d’apprentissage de sorte que l’enseignant se donne pour priorité de tenir ces objectifs, au détriment de l’adaptation pédagogique qui, fatalement, ralenti le rythme nécessairement soutenu des apprentissages à réaliser. Résultat des courses : on est dans le fameux « je ne veux voir qu’une seule tête » qui fixe une alternative très simple à comprendre : ou bien les élèves suivent le rythme ou bien ils sont en difficulté. Dans ce dernier cas, l’enseignant recherche les aides spécialisées (RASED), les aides paramédicales (orthophonistes), médicales ou les aides humaines relatives aux situations de handicap.

Dans ce tableau, la pédagogie différenciée, qui devrait être le b-a ba du métier d’enseignant n’apparaît pas. C’est à peine si la hiérarchie se risque à la mentionner tant la réalité de terrain est celle d’une complète défaite en rase campagne de la loi Jospin. Encore une fois, il ne s’agit pas de jeter la pierre aux enseignants : ILS NE SONT PAS FORMES à la différentiation pédagogique, c’est à peine s’ils savent que le Programme Personnalisé de Réussite Educative dont ils doivent convenir avec les parents des élèves en difficulté est une obligation légale. Ils le traitent généralement comme un formulaire à remplir de manière mi-fictive mi-formelle en accompagnement d’une demande d’aide bien réelle aux Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED) quand ceux-ci existent encore, le coup de hache porté sur eux par Sarkozy ayant fait des dégâts jamais réparés.

Bref, encore une fois, la vérité affleure. Deux voix innocentes disent les choses de la vie scolaire sans pleinement avoir conscience de ce qu’elles disent, faute d’en connaître l’Histoire. Mais gageons que cela restera sans suite, comme c’est le cas depuis des décennies.

Des enseignants de moins en moins bien formés — par des ahuris férus de didactique mais incapable de pédagogie de terrain, c’est-à-dire, incapables de poser un cadre éducatif — continueront à ignorer les besoins élémentaires d’élèves de plus en plus désorientés afin de satisfaire une administration de plus en plus gourmande en évaluations, sauf quand il s’agit de son action propre.

Les classes dédoublées sont un désastre pédagogique car les enseignants généralement mal formés et, donc, incompétents ont perpétué un enseignement « frontal » qui méconnaît l’adaptation et la différenciation alors qu’avec douze élèves tout pourrait aisément se faire en groupes de niveau répondant aux besoins éducatifs particuliers de chaque élève.

Le nouveau ministre sera-t-il capable d’éviter le désastre auquel nous courons ? S’il s’attache à dire le vrai, on pourrait l’espérer. Ce serait alors, non pas une refondation — une de plus — mais une révolution ! On verrait alors les enseignants porter attention à ce que l’élève maîtrise, à ce qu’il réussit afin de lui proposer de réaliser un pas supplémentaire qui étendra sa réussite et la favorisera ensuite en augmentant à chaque fois sa confiance en lui et en son enseignant. C’est le cercle vertueux de la réussite. C’est de lui dont les élèves ont besoin. Alors, vivement la révolution !

 

 

[1] Les Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap

[2] Par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) (sic)


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