La délinquance scolaire : à qui la faute ?

par Paul Villach
lundi 28 janvier 2008

Admirable administration de l’Éducation nationale ! Les années se suivent et se ressemblent. Ici, on apprend, pour l’énième fois depuis trente ans, par un rapport d’inspecteurs que, c’est décidé, on va mettre en place une « éducation aux médias ». Là, une fois de plus depuis dix ans, le ministre hausse le ton : « Je ne saurais accepter... » « Je ne saurais laisser... », prévient-il dans un discours prononcé, le 16 janvier 2008, à l’occasion de la signature de la convention « Initiadroit » à la Sorbonne autorisant les avocats à venir expliquer le droit en lycées et collèges.

Qu’est-ce qui provoque ces mouvements de menton du ministre ? Selon ses propres termes, « la banalisation des faits de violence », « le développement de zones de non-droit  », l’impunité de «  multirécidivistes de la violence scolaire ». Mais à qui la faute ?

Un nouveau plan de lutte contre la violence scolaire

Depuis la tentative d’assassinat en décembre 2005 de Karen Montet-Toutain, professeur à Étampes, et le classement controversé, mais indicatif des établissements scolaires violents publié par Le Point, à la rentrée 2006 (1), où en est la délinquance scolaire que l’administration ne cesse pas de promettre de juguler ? Elle se porte bien, merci ! C’est le ministre lui-même qui le reconnaît dans son discours du 16 janvier 2008 : « La litanie des faits de violence survenus dans les établissements scolaires ne cesse de s’allonger. (...) Des enseignants et des enfants se lèvent chaque jour avec la peur au ventre de devoir rejoindre leur établissement scolaire. » Et il annonce contre ce scandale un nouveau plan de lutte qui s’ajoute aux précédents.

La seule nouveauté, c’est le recours à des avocats « spécialement formés » pour initier les élèves au droit ; car la promesse réitérée d’une sévérité accrue « envers les atteintes aux biens et aux personnes des enseignants  », est une figure obligée de l’exercice. Quant à l’annonce de la rédaction d’ « un Code de la paix scolaire national » « (rassemblant) dans une langue claire, concise et accessible à tous, les règles de conduite en vigueur au sein des établissements scolaires de notre pays ainsi que les sanctions prévues chaque fois qu’elles seront enfreintes  », on ne savait pas que les règles préexistantes étaient à ce point obscures et constituaient un obstacle à cette lutte contre la délinquance scolaire. Mais sans doute était-ce ce qui manquait à la panoplie depuis dix ans.

Les règles existent, la volonté de les appliquer, non !

C’est fou comme cette administration est imaginative pour ne surtout pas prendre les mesures qui auraient des chances de combattre efficacement la violence scolaire. On accorde bien volontiers qu’il n’est jamais inutile de toujours mieux rédiger les règles à observer et - pourquoi pas ? - de recourir à des avocats pour enseigner des rudiments de droit si, toutefois, ils acceptent la rétribution modeste que pratique l’Éducation nationale et qui n’a rien à voir avec celle d’un cabinet libéral facturant une simple étude de dossier au prix du salaire mensuel d’un professeur moyen.

Mais ce qui frappe, c’est l’obstination de cette administration à polir et repolir de belles règles de droit qu’elle ne respecte pas elle-même. Car tout le problème est là : les règles existent, la volonté de les appliquer, non !

A- Le règlement intérieur d’un établissement

Qu’on commence par celles du règlement intérieur que tout établissement est tenu d’observer !

1- La première est la règle de l’assiduité

2- Une seconde règle est celle qui garantit les conditions de travail dans une classe : elle exige qu’un élève écoute le professeur, prenne les notes indiquées, pose des questions, écouté à son tour par ses camarades. Tout autre attitude contrarie le fonctionnement de la classe et justifie, en cas de refus répétés de s’y conformer, une exclusion ponctuelle de la classe à laquelle il ne peut être mis fin que par une lettre d’excuses et d’engagement à respecter les règles communes.

3- Enfin une troisième règle exige le silence à l’extérieur des classes pendant les heures de cours.

C’est sûrement, à en croire le ministre Darcos, parce que les règles de conduite n’étaient pas assez « claires » et « accessibles à tous » que ces comportements ont pu être adoptés !

B- Les droits et obligations des fonctionnaires

Une deuxième catégorie de règles est édictée depuis longtemps par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui régit les droits et obligations des fonctionnaires.

Sans doute, le ministre Darcos a raison, tant d’obstination à violer la loi régissant la protection statutaire vient-elle du manque de clarté des textes : il est seulement dit que « la collectivité publique est tenue » de protéger le fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions !


C- Lois civiles et lois pénales

Une troisième catégorie de règles réunit évidemment les lois civiles et pénales. Sont-elles, elles, aussi obscures ? Non, elles font simplement l’objet d’interprétations jurisprudentielles de la justice qui permettent de ne pas les appliquer quand une autorité est mise en cause.

Ni volonté ni rapport de forces, mais de la démagogie à gogo

Dans ce contexte, courir après « un Code de la paix scolaire » « (à la) langue claire, concise et accessible à tous » n’est guère qu’un leurre de diversion de plus ! Les textes sont déjà on ne peut plus clairs. C’est l’administration qui ne l’est pas comme si elle y trouvait son compte.

1- Ce qu’il manque, c’est la volonté politique de les appliquer sans ruser, même quand un chef d’établissement, un inspecteur et un recteur sont en cause. Peut-on accepter, par exemple que ces responsables infligent à un professeur un blâme qu’annulera le Tribunal administratif, deux ans et demi plus tard, pour violation de procédure et inexistence matérielle de motifs ? Les fautes de service imputées étaient imaginaires. Qui dit mieux ? Mais qu’est-il arrivé à ces grands serviteurs de l’État pour ce comportement de voyou  ? Rien ! Deux sont toujours en place, garants sourcilleux du bon fonctionnement de l’institution, l’autre est parti à la retraite avec les honneurs ! Vogue la galère !

2- Ce qu’il manque, en second lieu, faute de volonté politique, c’est un rapport de forces. L’Éducation nationale est partagée entre deux clientèles, la clientèle administrative et la clientèle syndicale, qui tendent aujourd’hui à se confondre : ce n’est pas pour rien, en général, qu’un ministre décore de la légion d’honneur une permanente syndicale. Les malheureux, qui ne font partie d’aucune de ces clientèles, sont perçus comme ennemis quand ils osent demander simplement une application des règles dont personne ne veut. Ce qui est préféré, ce sont les petits arrangements au mieux des clientèles.

3- Ce qui enfin ne manque pas, au contraire, mais qu’on aimerait bien qu’elle vînt à manquer, c’est la démagogie. Deux sortes de démagogie sont, en effet, à l’œuvre dans un établissement.

On pourra donc avoir les textes les plus univoques qui soient, si une administration irresponsable, elle, se complaît dans l’équivoque, la délinquance scolaire a encore de beaux jours devant elle ! Paul Villach

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Voir sur Agoravox les deux articles consacrés aux deux événements
- « Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardé : le service public outragé ! »,
4 octobre 2006
- « De l’art d’avouer les violences scolaires en les niant  », 13 octobre 2006


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