La démocratie en otage

par Rage
lundi 11 juin 2007

La démocratie française est verrouillée de l’intérieur. Dans un espoir de changement, les Français ont massivement soutenu le 6 mai 2007 le candidat qui affichait la plus grande capacité a priori pour changer le pays. Nourri à coups de refus de la bipolarisation de la vie politique, de rénovation et de diversité, le paysage politique français se dirige de plus en plus, non pas vers une bipolarité, mais vers une hégémonie de fait. Démobilisés par des instructions médiatiques et autres sondages prédictifs, les 60% de votants ont octroyé - ou vont mécaniquement le faire - 80% des sièges à moins de 30% des électeurs français. Le tout avec la bénédiction de la mise sous silence des bilans et la méconnaissance du commun des mortels des candidats qu’on leur soumet comme représentants...

La démocratie française est en danger car, structurellement, l’architecture de la politique française est inadaptée aux défis de notre époque.

Il suffit de voir la composition de l’Assemblée nationale, qu’elle soit de 2002 ou de 2007, l’hégémonie d’une classe d’âge masculine, de plus de 50 ans et blanche, écrase tout le reste. On a parlé de diversité, de changements, de modernisation : nous sommes revenus à l’âge médiéval avec pour députés des vassaux et pour président un monarque.

Je ne refuse pas la voix des urnes, je ne fais que souligner à quel point elle est tributaire des messages médiatiques et plus encore des canaux d’informations. 2002 avait fait le pari de la peur, 2007 a fait le pari de Sarkozy/Royal puis de la vague bleue. L’essentiel des citoyens n’a pas analysé et a suivi la tendance qu’on lui indiquait, pour la simple et bonne raison que la politique est devenue un objet de consommation.

I. Un vote devenu jeu de consommation

En ce jour de finale de Roland-Garros, les élections politiques sont devenues plus un grand jeu de paris qu’un profond jeu de convictions.

Il y a deux ans, le public soutenait Nadal car il était jeune et nouveau. Aujourd’hui ce même public soutenait Federer, car il était l’outsider, le seul capable de battre l’imbattable Nadal.

En politique, le vote est devenu un jeu : on vote suivant l’image du candidat, suivant la couleur du costard, la fraîcheur du teint plus que sur la profondeur des idées et la capacité à agir. De plus, on aime conserver ceux qui ont acquis leurs galons, quitte à ce que ce soit des repris de justice, des refoulés du suffrage universel ou même des barons manipulateurs de votes.

Loin de moi l’idée de penser une seule seconde que les retours d’Alain Juppé, d’Alain Carignon, d’Hervé Gaymard ou même le maintien des briscards du type Laurent Fabius ou Jack Lang sont autant de provocations au renouvellement démocratique : ils ne font que jouer avec les règles du jeu d’un système désuet et maintenu comme tel afin de donner une prime au démérite.

II. La prime au démérite

Pourquoi défendre des convictions alors qu’il suffit au final d’afficher une étiquette, si possible en ayant convenu d’alliances et d’accords préalables pour assurer une réélection ?

Maurice Leroy, ex-UDF, aurait-il quitté F. Bayrou si ce type de petites combines n’avaient pas existé ? Aurait-il fallu qu’il trahisse ses propres convictions si l’élection avait été à moitié de proportionnelle ?

Patrick Devedjian aurait-il encore brigué un mandat de député alors qu’il venait tout juste d’être élu à la présidence du CG 92 - tout en restant maire - si notre démocratie avait été saine et avait limité une fois pour toutes le cumul des mandats ?

Anne-Marie Comparini aurait-elle à lutter pour sa « survie » électorale si elle avait fait le choix comme ces deux-là de vendre son âme pour un poste de strapontin ?

Najat Belkacem aurait-elle à essayer de survivre dans une circonscription ingagnable si le PS avait réellement fait le choix du renouvellement effectif des générations ?

Le problème dans ce « jeu », c’est que les règles sont viciées à la base, à partir d’une constitution elle-même élaborée pour un homme et un seul, non pas pour une démocratie moderne constituée d’un Parlement libre de voter en son âme et conscience et complété par un Sénat composé des élus locaux et personnalités censées garantir la solidité des dispositions arbitrées.

Le problème dans ce jeu, c’est que l’enchaînement des élections dans cette ordre, le contrôle des postes clés et la connaissance issue d’années de pratiques d’un territoire donnent bien plus de force aux candidats sortants qu’à ceux qui doivent lutter pour exister et être identifiés du grand public.

Le problème dans ce jeu de massacre, c’est que le peuple ne vote plus en connaissance de cause, il vote majoritairement suivant la tendance du moment, puis avec une pondération très faible pour l’élu local qu’il connaît effectivement ou pas.

Le problème de cette chape de plomb, c’est qu’elle favorise la médiocrité et l’assujettissement plutôt que l’indépendance et la pluralité des opinions. Alors pourquoi avoir autant de députés - et de sénateurs (sans même parler du mode de scrutin de ces derniers) - si c’est pour au final n’avoir que deux à trois voix dans l’Assemblée ?

N’y a-t-il pas dans tout cela un sombre retour au Moyen Age et aux « 3 voix », toujours 2 contre 1, toujours celle des minorités avantagées au détriment du reste ?

III. Un renouvellement politique que « l’on » attend toujours

Certes, je concède que si l’on en arrive là, le PS n’est pas innocent dans l’affaire. La carte « Royal » ayant été parfaitement maîtrisée par l’UMP qui souhaitait éminemment voir cette personne en face d’elle afin de la démonter soigneusement plutôt que d’affronter un DSK ; l’inamovible Hollande préférant la synthèse impossible d’un pot cassé plutôt que de s’adapter aux réalités du réel, l’arrimage des « barons » à court d’idées mais toujours là pour les postes au chaud, le fantôme Fabius toujours là pour faire perdre des voix, c’est l’ensemble de la direction du PS qui s’attelle méthodiquement à faire fuir l’électorat de « gauche ».

Le renouvellement n’a pas eu lieu de ce côté-là de l’échiquier, et sûrement pas plus de l’autre mais, au moins, de l’autre ils ont su manier l’image médiatique pour focaliser sur les dix « nouveaux » plutôt que sur les 365 sortants, chose que le PS n’a pas su faire ou su manier. Clivages internes, gauche plurielle, Modem et autres... cette opposition disloquée et sapée à la base par le doute d’une ouverture qui « achète » les talents, tend à devenir en totale distorsion avec le paysage réel de la France.

Le FN est « contenu », disent certains, alors que le FN est partiellement dans les rangs de la majorité au pouvoir : non par les hommes, mais par une partie des idées.

Le PC est « défunt », il était temps de s’en rendre compte, cela fait plus de vingt ans qu’il aurait dû disparaître de l’échiquier tant le monde a changé.

Les extrêmes ont été laminés, le centre divisé, la bipolarité plus présente que jamais et, qui plus est, totalement déséquilibrée. Quel est donc ce changement « vertueux » prôné pendant plusieurs mois qui aboutit à la stérilisation totale de la représentation des citoyens, là où ils auraient le plus intérêt à s’exprimer dans leur diversité, et plus encore à dialoguer sans se retrancher derrière les logiques claniques qui nous ont tant fait souffrir ?

IV. Rupture tranquille et vague bleue, qu’ils disaient

Les Français ont zappé « bleu » 2007 comme ils ont zappé « rose » en 2004. Mais dans les deux cas, ce qui frappe, c’est qu’il n’y a plus aucune mesure, aucune rationalité dans le vote. En tuant méthodiquement les équilibres et plus largement la pluralité, les élections politiques deviennent de grands stadiums de mise à mort, et gare au perdant.

La méconnaissance du commun des mortels de la politique et plus encore des actions de leurs élus fait probablement de la France une triste exception européenne, pas forcément si éloignée de la Pologne ou même de la Russie que l’on critique si facilement. Si l’on savait réellement ce qui se passe dans les coulisses, dans les faits, dans les actes, si ce qu’à mon niveau je peux constater est logiquement démultiplié à leur échelle, pouvons-nous alors dire aux autres ce qu’ils ont à faire comme nous le faisons alors que nous-mêmes nous ne voyons pas le danger poindre de l’intérieur ?

Notre société a glissé vers une croyance de masse des phrases chocs, celles qui sont impossibles à contredire dans l’intervalle d’une fenêtre médiatique de vingt secondes qui coupe les morceaux choisis.

V. Principe de réalité, lucidité, rationalité... vous pouvez répéter ?

Notre société, notre démocratie, nos valeurs mêmes sont agitées derrière des écrans d’illusions et autres promesses de « dons » par exonérations d’impôts : « L’impôt est néfaste, il est payé par tous pour tous, faisons en sorte d’en exonérer certains pour que certains payent pour d’autres et si possible pour tous ! »

En agitant les étendards primaires, il est aisé d’attirer à soi un électorat peu averti de l’arrière décor, qui plus est quand on lui vante à longueur de journée le fait que l’Etat est la bête à abattre alors que l’Etat est chacun de nous.

Bête à abattre, mais surtout pas à désosser tant les structures assurent le renouvellement à l’identique et la reconduction au pareil : changeons tout pour que rien ne change, ou plus exactement, changeons la couleur de la voiture, mais jamais le moteur et ses pièces.

La république démocratique est tout simplement en danger parce que la république n’est plus celle de citoyens représentés dans leur diversité et que la démocratie n’est plus un système viable face à une puissance médiatique étant en capacité d’asséner des messages dans un sens ou dans l’autre avec une telle capacité de diffusion.

Nos structures sont à bout de souffle, ce n’est pas « conjoncturel » ni même question de « partis » : au lieu de voter sagement pour contraindre nos « élites » à changer parce que le monde, lui, change, nous avons signé en bas de la page à droite un contrat dont nous n’avons pas lu les règles et encore moins lu les astérisques (voir le coup - et coût - des déductions d’intérêts d’emprunts avec modalités restrictives).

Ce sera donc minitraité, vague bleue et postes primés à la médiocrité : les Français ont à donner leur voix comme on vote à la Star Academy : le dernier « prime » à paillettes fait le vote.

Le problème, c’est que là c’est pour cinq ans, et qu’au final, les seuls éliminés, ce sont ceux qui n’ont pas compris qu’ils payaient à chaque fois qu’ils votaient...


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