La démocratie est une promesse, la participation une nécessité

par Céline Ertalif
jeudi 16 juillet 2009

La démocratie participative a sans doute de belles perspectives parce que la démocratie représentative connaît l’usure. L’une ne remplacera pas l’autre, mais le suffrage universel ne pourra plus assurer cette légitimité monopolistique qu’il détient encore. Les idéologues de la démocratie directe vont pourtant être déçus, la démocratie participative répond à d’autres nécessités.

 

Qu’elle soit représentative ou participative, la démocratie est une promesse qui se révèle toujours difficile à tenir dès lors que les usagers ont un peu trop de mémoire. D’ailleurs, en principe, on ne parle pas d’usagers, ni de consommateurs, mais de citoyens - ces admirables individus conscients, rationnels et en activité politique permanente. La démocratie exprime une mythique volonté générale. Néanmoins, dans la réalité, les membres actifs de la société politique se reposent de temps en temps, préfèrent souvent déléguer à des personnes plus qualifiées qu’elles-mêmes pour des raisons qui mêlent la confiance, l’incompréhension devant la chose politique ou le désintérêt. Ainsi, parfois, les citoyens aiment aller à la pêche le dimanche.

Malgré l’idéal démocratique, nos concitoyens vaquent à leurs occupations privées plus qu’ils ne se consacrent au choix des politiques publiques. La démocratie active et directe peut être une passion exaltante en assemblée générale quelques heures, quelques jours, voire tout un mois de mai 1968, mais il est tout de même plus raisonnable de râler contre les responsables publics, même si on les a parfois élus soi-même. Ils sont d’ailleurs en représentation publique continue, chez soi, il suffit de tourner le bouton dès qu’on prend un peu trop conscience du caractère épuisant des contraintes des affaires publiques.

Je me souviens de ce cours de sciences politiques où le professeur Mabileau expliquait aux étudiants l’abstention électorale par un impressionnant catalogue de raisons qui faisaient disparaître intégralement la fainéantise des électeurs. Cela faisait beaucoup rire les étudiants, et cette idéologie au coeur d’un cours de la « science (politique) » me fait encore sourire 30 ans après.

Néanmoins, le niveau culturel de nos concitoyens ayant progressé, la tartine électorale paraît un peu mince pour satisfaire la demande démocratique d’aujourd’hui. Et voilà donc l’entrée en scène de la démocratie participative qui exige évidemment plus de temps que la démocratie passive, pardon représentative. L’obligation de rencontrer, d’écouter et de prendre position de vive voix, au lieu de déposer un bulletin muet dans l’urne, restreint tout de même le périmètre des participants actifs à la politique. La participation est un effort et il est intéressant d’identifier les motivations pour comprendre la chose.

C’est ce à quoi se sont appliqués trois chercheurs de Paris XIII dans un ouvrage consacré au développement durable et à la démocratie participative. Outre la grave hémorragie qui atteint les groupes participatifs si l’on n’est pas très attentif à la méthode, 4 types de motivations s’expriment :

  • le désir d’informer les décideurs, cela recouvre soit un grand altruisme soit un sens du lobbying contenu dans une grande discrétion ;

  • la volonté d’apporter sa compétence personnelle, technique, professionnelle ou associative, en tous cas partielle par rapport à une affaire publique généralement beaucoup plus globale ;

  • la volonté de négocier en faisant valoir des intérêts ou des préoccupations que les représentants élus doivent intégrer. La participation est alors un contre-pouvoir dans le processus d’instruction d’un dossier où les élus évitent les erreurs et où les participants accèdent à l’élaboration sans décider ;

  • et l’idéologie de la démocratie totale avec des militants qui viennent pour faire avancer les mentalités de ceux qui ne sont pas encore évangélisés.

 

Triple légitimation indispensable à toute politique d’envergure

Les auteurs estiment que les participants motivés par une marotte (2ème catégorie) et les participants qui militent pour un idéal (4ème catégorie) ont de fortes chances d’être déçus. Les élus recherchent une légitimation que le suffrage universel ne leur donne plus. Les agenda 21 montre une nouvelle voie politique centrée sur le long terme qui consiste à viser d’abord un diagnostic partagé et ensuite une plus grande transparence dans l’élaboration pour une plus grande visibilité publique des enjeux. Dans un monde où le niveau culturel s’est élevé, la contestation s’est aussi démultipliée. Ce qui importe pour que le processus participatif fonctionne, c’est qu’il puisse y avoir « une possibilité d’hybridation ». Dans ce contexte, l’alliance des fonctionnaires et des élus dans le secret des cabinets, modèle ancestral du pouvoir des notables, finit par rencontrer quelques revers et par sentir ses limites.

Le passage le plus drôle de l’ouvrage des chercheurs de Paris XIII explique comment une administration, en l’occurrence l’Office National des Forêts, peut mettre en oeuvre une démarche participative dans le but d’attester « du renouvellement des pratiques, de la compétence au changement de l’administration ». D’un côté, les élus ont besoin d’être réélu, de l’autre les fonctionnaires ont le désir inextinguible d’être toujours les meilleurs élèves de la classe : l’avenir de la démocratie participative est radieux !

La démocratie représentative repose sur une légitimité trop limitée avec le seul suffrage universel. Elle a besoin d’une part de la technocratie, c’est-à-dire du savoir professionnel des experts, et d’autre part d’un assentiment véritablement analysé du public. Il n’y a plus de politique publique d’envergure sans cette triple légitimité. Qu’il soit électoral ou participatif, tout régime politique a besoin de participation. Bien sûr, on peut rigoler d’Albert Mabileau, mais il n’y a que la participation des citoyens pour légitimer la nécessité de confier les affaires publiques à l’arbitrage des politiques, que ce soit par voie électorale ou par des modalités plus actives.

La demande de démocratie chez les électeurs est forte, mais imprécise. Du côté des élus, le lien de représentation a été avalé par les médias pour se réduire à l’affichage et au zapping. Si l’on veut que les institutions démocratiques gardent une fonction politique, il faut que la demande démocratique puisse se préciser et que les enjeux sur lesquels on appelle les élus à décider puissent davantage s’exposer. La nécessité de participation heurte le mythe de la volonté générale toute entière contenue dans le suffrage universel.

 

 


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