La dépêche du Rome-Yaoundé ou la stratégie de Bismarck
par Axel de Saint Mauxe
samedi 28 mars 2009
Retour sur l’hystérie collective incroyable et le flot de haine suscité par la retranscription des propos tenus par le pape Benoît XIV lors du vol vers le Cameroun qui font penser à cette autre hystérie collective : L’affaire de la dépêche d’Ems (*).
- Otto Von Bismarck
Cette histoire remonte à 1870, lorsque le chancelier Bismarck, alors en position de faiblesse vis à vis de la France rédige habilement un communiqué de presse, pour relater un échange diplomatique, certes peu amène, mais tout à fait courtois, entre l’ambassadeur de France et le Roi de Prusse, dans la station thermale d’Ems. Souhaitant provoquer le France et Napoléon III, il en tourne la transcription (en allemand bien sûr) de manière toujours courtoise mais quelque peu désagréable pour l’ambassadeur de France et diffuse le document aux agences de presse.
A son tour, le bureau berlinois de l’agence Havas traduit en français ce communiqué de presse, mais commet deux grossières erreurs de traduction, qui seront cette fois fatales, laissant comprendre que le Roi de Prusse avait délibérément humilié l’ambassadeur de France.
Cette traduction a été reprise à Paris dans les journaux de tous bords, avec un déchaînement de haine inégalé contre la Prusse, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, en passant par les socialistes, les républicains , les bonapartistes... L’opinion publique criait vengeance et appelait alors de tout ses vœux à la déclaration de guerre.
Napoléon III, alors affaibli, car malade et ayant perdu son meilleur conseiller (le Duc de Morny) cède et déclare quelques jours plus tard la guerre à la Prusse. Bismarck avait atteint son objectif : faire la guerre à L’Empire sans être l’agresseur. Quelques mois plus tard, c’est la défaite de Sedan, la chute de l’Empire, l’annexion par la Prusse de l’Alsace-Lorraine, la sanglante Commune de Paris, et le sombre scénario de 1914 qui se prépare.
L’affaire de la dépêche d’Ems permet de mettre en perspective cette autre affaire d’hystérie collective provoquée par une mauvaise retranscription des propos du pape.
La dépêche du vol Rome-Yaoundé
Il faut d’abord rappeler le contexte. En ce mois de mars 2009, Benoît XVI est vivement critiqué pour ses prises de position conservatrices, sur des sujets concernant la vie des catholiques.
Un voyage au Cameroun est prévu depuis plusieurs mois. Le départ de Benoît XVI est prévu le mardi 17 mars et doit durer 6 jours. Compte tenu de la polémique qui avait déjà eu lieu du temps de son prédécesseur Jean-Paul II, sur la prévention du Sida, le Pape était attendu au tournant.
- Benoît XVI
Coïncidence malheureuse ? En France se déroule les 21 et 22 mars le traditionnel « Sidaction » durent lequel médias, politiciens et saltimbanques se mobilisent pour obtenir des dons en faveur des malades du Sida. Cette manifestation est depuis plusieurs années en perte de vitesse, la maladie du Sida (à tort peut-être) ne mobilise plus les foules, sans doute du fait de l’existence de certaines thérapies limitant le nombre de décès de malades.
Ces deux évènements étaient sans doutes faits pour se télescoper, avec bien sûr l’aide de la mauvaise foi de bon nombre de journalistes, artistes et hommes politiques.
Analysons maintenant ce qui s’est passé. Voici, traduite en français, l’intégralité de la déclaration de Benoît XVI le 17 mars 2009, à bord de l’avion qui le mène au Cameroun :
"Philippe Visseyrias, France 2 : Saint-Père, parmi les nombreux maux dont souffre l’Afrique, il y a en particulier la propagation du sida. La position de l’Église catholique sur les moyens de lutter contre le sida est souvent considérée irréaliste et inefficace. Allez-vous aborder ce thème durant votre voyage ?
Benoît XVI : Je dirais le contraire. Je pense que l’entité la plus efficace, la plus présente sur le front de la lutte contre le sida est justement l’Église catholique, avec ses mouvements, avec ses réalités diverses. Je pense à la communauté de Sant’Egidio qui fait tellement, de manière visible et aussi invisible, pour la lutte contre le sida, je pense aux Camilliens, à toutes les sœurs qui sont au service des malades… Je dirais que l’on ne peut vaincre ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. S’il n’y a pas l’âme, si les Africains ne s’aident pas, on ne peut résoudre ce fléau en distribuant des préservatifs : au contraire, cela risque d’augmenter le problème. On ne peut trouver la solution que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c’est à dire un renouveau spirituel et humain qui implique une nouvelle façon de se comporter l’un envers l’autre, et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux qui souffrent, la disponibilité à être avec les malades, au prix aussi de sacrifices et de renoncements personnels. Ce sont ces facteurs qui aident et qui portent des progrès visibles. Autrement dit, notre effort est double : d’une part, renouveler l’homme intérieurement, donner une force spirituelle et humaine pour un comportement juste à l’égard de son propre corps et de celui de l’autre ; d’autre part, notre capacité à souffrir avec ceux qui souffrent, à rester présent dans les situations d’épreuve. Il me semble que c’est la réponse juste, l’Église agit ainsi et offre par là même une contribution très grande et très importante. Nous remercions tous ceux qui le font. " (source La Croix)
En fait, pour résumer, le Pape indique qu’en se contentant de distribuer des préservatifs, on risque d’aggraver le problème du Sida (c’est à dire si l’on ne fait que cela). Il indique en effet qu’il faut également autre chose, et là d’expliquer les préceptes de la spiritualité catholique.
En aucun cas, donc, il dit que le port du préservatif aggrave l’épidémie du Sida. De même, en aucun cas il interdit le port du préservatif.
Pourtant, sur le site dans Libération, on peut lire le titre d’une dépêche de l’Agence France Presse :
"Benoît XVI : l’utilisation du préservatif « aggrave le problème » du sida."
Comme on le voit le titre de cet dépêche relate une information fausse.
Le contenu de l’article procède ensuite à une distorsion des propos de Benoît XVI, par un découpage subtile de sa déclaration, en voici le premier paragraphe, soyez attentifs à la ponctuation :
"C’est ce que l’on appelle donner le ton. Dans l’avion qui le mène à Yaoundé au Cameroun, le pape Benoît XVI a déclaré ce mardi que le problème du sida ne « peut pas être réglé » par la « distribution de préservatifs ». « Au contraire, leur utilisation aggrave le problème ». Selon lui, la solution passe par « un réveil spirituel et humain » et l’« amitié pour les souffrants »." (Source : AFP via Libération)
Les mots « uniquement » et « risque » ont été volontairement tronqués, changeant complètement la déclaration pourtant très modérée de Benoît XVI.
J’ignore si la dépêche de l’AFP est à l’origine de tout ce charivari, mais force est de constater que tous le journaux l’ont reprise à leur compte : Libération, Le Point, 20 Minutes..... et même France 2, pourtant auteur de l’interview, qui, encore dimanche 22 mars résume ainsi les propos du pape : « Le préservatif aggrave le problème du Sida ». Tout les articles utilisent le même système de césure pour déformer les propos papaux.
Le monde politique se trouve en émoi. Tout les hommes et femmes politiques sans exception se sont crus obligés de condamner ces propos non tenus et de se dire écœurés. L’inévitable Cohn-Bendit déclare que ces propos relèvent presque du meurtre prémédité. Même Alain Juppé qui n’est pourtant pas le dernier des imbéciles y va de sa condamnation ! Hallucinant !
Samedi 21 au soir, dans l’émission « On n’est pas couché », Nadine Morano, secrétaire d’état à la famille, se dit catholique pratiquante et choquée par le propos du Pape. Le chroniqueur Éric Zemmour lui conseille de faire un point sur son engagement catholique.
Dimanche, des extrémistes d’Act up provoquent les paroissiens de Notre Dame de Paris à la sortie de la messe. Quelques échauffourées avec des fidèles ayant perdu leur sang-froid sont à déplorer.
Dimanche, un sondage du JDD, indique que 43% des catholiques français souhaitent le départ du Pape.
Comment une fausse nouvelle a t-elle pu se propager pour provoquer une telle hystérie ? Pourquoi cette haine ? Qui avait intérêt à ce délire collectif ?
Il ne m’appartient pas d’y répondre, mais comme pour l’affaire de la dépêche d’Ems, espérons que cela serve de leçon à nos concitoyens, qui se laissent trop facilement manipuler par les médias, les slogans en tout genre, et qui ont perdu tout esprit critique.
Quant aux catholiques, s’ils sont vraiment 43% à souhaiter le départ du Pape, je les invite à se pencher sérieusement sur leurs convictions religieuses et leur appartenance à l’Église Catholique. Qu’ils tentent au moins de répondre à cette question : « à quoi sert le Pape ? ».
Enfin, pour terminer, le Sidaction n’a recueilli que 3.826.455 € en promesses de dons, c’est presque moitié moins que l’année dernière. Preuve que la stratégie de Bismarck ne marche pas à tout les coups.
(*) Plus d’informations sur la dépêche d’Ems sur Wikipédia.