La dernière invention de La Poste : êtes-vous timbrés ?

par Paul Villach
mercredi 23 janvier 2008

Est-ce la fin de la philatélie ou une chance de renouveau ? Avec sa nouvelle invention « Mon Timbre », La Poste ouvre au moins une nouvelle époque. Sans doute est-ce une riposte à la concurrence du courriel qui, faisant chuter le volume de la correspondance par lettres, a réduit la vente des timbres.

Comment, en effet, donner envie d’en acheter quand on peut s’en passer si bien ? Voici, voici ! Le timbre, sceau de prérogative régalienne, s’ouvre à Madame et Monsieur Tout-le-monde avec leurs enfants comme à leur vie familiale et s’ils en ont une, à leur ménagerie domestique.

Sa photo sur un timbre

Le principe est le suivant : « C’est une façon originale, dit la publicité, de personnaliser vos lettres déjà sur l’enveloppe ! (...) À côté du timbre-poste officiel se trouve un timbre avec votre photo ou celle de toute la famille ou de votre chien. Annoncer un événement spécial comme une naissance ou un anniversaire, fait également partie des possibilités offertes. (...) Sur votre timbre, vous pouvez voir figurer une photo, un dessin, un texte... quoique vous puissiez imaginer. (sic) »

On voit au moins que, quoiqu’on maîtrise approximativement la langue française, on peut désormais mettre n’importe quoi sur un timbre, quoi qu’on puisse en penser.

Sans doute, le sceau officiel est-il préservé mais, par rapport à l’image privée, il est réduit à la portion congrue d’un tiers de la surface sans autre référence qu’un logo et le nom du pays émetteur. Nul doute que les enveloppes vont gagner en pittoresque avec les bouilles de chacun, celle de son chat ou de son chien, ou autres hiéroglyphes personnels. Les facteurs vont se régaler devant les binettes. En regard, le profil de Marianne, esquissé en blanc sur fond rouge, une cocarde à l’oreille, va leur apparaître d’ un symbolisme austère et d’un ennui ! Place désormais à l’exhibition voyeuriste de l’envoyeur sur l’enveloppe ou de ce qu’elle contiendra, sans même qu’il soit parfois utile de l’ouvrir ! Mesure-t-on ce que signifie cette nouveauté ?

Le privilège des princes

Jusqu’ici, sauf erreur, le timbre postal émis par les postes était le sceau de la souveraineté émettrice de leur propre pays : il témoignait du droit acquitté selon la loi pour l’envoi d’un courrier à un correspondant. Il substituait « le port payé » par l’envoyeur au « port dû » par le destinataire qui était souvent fantaisiste et onéreux. Le décor du timbre n’était pas laissé au hasard : il était en priorité réservé aux symboles de la puissance publique. Le premier timbre postal français en 1849, représentait Cérès, déesse de la fertilité et de l’agriculture, richesse du pays.

Mais à l’exemple des pièces de monnaie antiques, les princes ont tenu à y figurer sous leur meilleur profil. La multiplication des images du prince en tous lieux, on le sait, vise depuis toujours à activer l’adhésion de ses sujets à sa personne. Sur le premier timbre mobile émis par les postes royales britanniques en 1840, figurait un portrait de la reine Victoria. Qui, depuis, n’a pas dans sa collection de timbres naissante, reçue d’une tante à Noël, regardé avec émerveillement l’effigie d’Élisabeth II d’Angleterre ou de Juan Carlos d’Espagne ? Les timbres du Vatican chantent pareillement la geste des pontifes. En France, l’allégorie de la Semeuse puis de Marianne en bonnet phrygien représentant la République française figurera indifféremment sur les pièces de monnaie et les timbres.

Mais très vite, dans une sorte d’apothéose, au sens propre du terme, les grands hommes, comme Pasteur, gagnent le droit d’y être représentés : c’est une façon pour un pays de les célébrer et aussi d’exporter avec orgueil ses figures nationales illustres. Puis ce sont les grands événements qui sont commémorés. Le timbre a fini par faire publicité de tout, du site historique et touristique, aux animaux et végétaux jusqu’à la manie du moment la plus régressive comme celle d’Harry Potter : que ne ferait-on pas pour capter l’attention des fans ?

Un vide à combler et des caisses à remplir

On perçoit, par simple contraste, la nouveauté que représente ce droit, offert désormais aux personnes privées, d’accéder à une prérogative de type régalienne : figurer sur un timbre à la place de Marianne ou de la reine d’Angleterre. Sans doute la puissance régalienne s’était-elle déjà retirée de cette vitrine pour propager plus efficacement son image à la télévision et dans les magazines.

Mais le timbre garde encore peu ou prou une trace de ce qui a été l’apanage des grands. D’ailleurs, La Poste sait en jouer pour appâter le chaland quand, usant du leurre de la flatterie, elle lui demande : « Vous voulez étonner vos amis et votre famille avec votre propre timbre-poste ?  » La Poste offre ni plus ni moins au premier venu que de venir se pavaner à la fenêtre où se montraient les princes et les hommes célèbres. Plus besoin de s’être signalé par une action éclatante ou d’avoir à son actif quelque qualité éminente pour paraître et connaître la notoriété qui soigne son narcissisme ! Seulement, si tout le monde en fait autant, on n’étonnera plus personne : c’est le paradoxe de la proposition.

Cette flatterie n’est pas nouvelle. Les cosmétiques de L’Oréal ont montré le chemin, il y a déjà quelque temps, en promettant la beauté à leurs clients « parce qu’ (ils le valent) bien ». La télé-réalité, de son côté, a ouvert la porte des plateaux de télévision y compris aux plus incultes des incultes. Le mot « réalité », du reste, signifie ici tout au plus que les personnages sont des inconnus, sans aucun titre à faire valoir pour prétendre à une quelconque notoriété légitime, et dont le seul mérite est de renvoyer à une « réalité » de médiocrité commune dans laquelle les clients téléspectateurs aiment à se reconnaître et à s’identifier. Il ne manquait à ces gens que d’être timbrés. Maintenant, c’est chose faite. Paul Villach



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