La double nationalité serait-elle comme la bigamie ? (Café Psy)

par Luc-Laurent Salvador
vendredi 15 septembre 2023

La fraternité humaine, ce n’est pas que du bonheur. Elle a ses exigences et la première est de la bien comprendre. Il va nous falloir pour cela mettre les pieds dans le plat et nous confronter à ce qui se trouve au cœur de l’Homme, donc de l’espèce Homo s. !

Nous en avons parlé récemment, dans la plupart des contextes, les relations humaines sont basées, à des degrés divers, sur la confiance, cette paradoxale prise de risque consistant à reconnaître l’autre comme son frère, son prochain ou, au moins, son semblable. Cela, serait-ce seulement par le fait de parler la même langue et d’être, en principe, respectueux de la loi commune. En supposant qu’un concitoyen est a priori tout acquis à la République comme à son slogan « Liberté, Egalité, Fraternité » nous lui reconnaissons de ce fait une certaine « fiabilité » et, nous sommes ainsi plus enclins à lui confier ce qui a pour nous de la valeur et, parfois, il peut s’agir de ce qu’il y a de plus précieux : nos vies ou celles de nos enfants.

Ainsi, par exemple, des soldats qui étaient de parfaits étrangers l’un à l’autre avant la guerre en viennent à « fraterniser » d’autant plus facilement qu’ils peuvent s’identifier comme semblables sous le rapport de la menace vitale que fait peser sur eux l’ennemi. Ce dernier, en tant qu’il leur est commun, a donc cette vertu formidable, celle de les rendre justement comm’un c’est-à-dire, non seulement semblables mais aussi solidaires dans leur antagonisme avec lui. L’ennemi a ainsi le pouvoir d’unifier ceux qui entendent lui résister, justement parce qu’ils sont amenés à le faire ensemble — ce qui veut dire en-semblables — au point qu’après s’être fait mutuellement confiance pour veiller l’un sur l’autre, ils seront prêts à donner leur vie, sinon pour leur patrie, au moins pour défendre celles de leurs compagnons de destin.

Le combat est père et roi de tout disait Héraclite. Il rend donc ces soldats ET solidaires ET loyaux ET honnêtes ET protecteurs etc. les uns envers les autres, c’est-à-dire que, ainsi qu’il est bien connu, il tend à magnifier les vertus civiques et morales en les amenant à la disposition de se sacrifier l’un pour l’autre. Le fait est que c’est précisément ce qu’on attend du mariage qui, lui aussi, via un même esprit de sacrifice mutuel, est censé construire une sorte d’unité entre les âmes-sœurs qui se confient l’une à l’autre et devraient, en principe, veiller l’une sur l’autre au point d’être disposées à donner leur vie pour l’être aimé [1].

Avec l’engagement total que constitue idéalement le mariage, l’autre devient la chair de ma chair, nous sommes un et, pour cette raison même, je peux lui faire confiance car je sais alors qu’elle aura le souci de moi autant que je l’ai d’elle. Mais, à l’évidence, rien ne va plus, si l’autre a, par ailleurs, un engagement de même nature avec un tiers qui, en principe, aurait dû être exclu. On le voit bien, l’interdiction de la bigamie obéit à une implacable logique tant il est clair qu’une double allégeance est incompatible avec l’idée même d’unité. La bigamie est, par excellence, l’exemple de la duplicité et de la dissimulation et du conflit de loyauté qui font le lit de toutes les malversations possibles et imaginables.

La question se pose alors de savoir pourquoi il n’en irait pas de même avec la double nationalité. Comment faire confiance à un concitoyen qui est aussi citoyen d’une nation étrangère, voire même d’une nation ennemie ? Après Pearl Harbor, les étasuniens ont placé tous leurs résidents et citoyens d’origine japonaise dans des camps, et même si c’était brutal et de nature à heurter leurs sentiments nationalistes pro-étasuniens (ainsi que renforcer leurs sentiments nationalistes pro-japonais au point de les amener alors à un vécu « déchirant »), c’était logique et même parfaitement psycho-logique.

Comme le décrit très bien cet article de la revue Plein Droit, dans la période postrévolutionnaire, la vision idéale mise en avant — mais aussi l’antagonisme avec les nations royalistes à l’entour — a fait qu’on s’est alors disposé à accueillir tout homme désireux de rejoindre « le camp de la liberté » en demandant simplement qu’il déclare son désir, une sorte de « oui, je le veux » patriotique sans jamais lui demander de renoncer à sa nationalité d’origine

On a alors instauré de fait une sorte de « bigamie nationale » [2] qui n’a été interdite qu’aux nobles partis se réfugier à l’étranger. De sorte qu’on a déchu de la nationalité française les exilés qui se mettaient au service de pays étrangers et/ou en adoptaient la nationalité. C’était donc l’état de guerre civile qui amenait à tolérer le principe de binationaux présents sur le territoire national. La Chine moderne, état monolithique s’il en est, n’accepte les binationaux qu’à l’étranger, là où il peut être bénéfique à ses nationaux [3] d’avoir aussi la nationalité du pays de résidence. En toute logique nationaliste, il conviendrait que ces expatriés binationaux renoncent à leur nationalité étrangère une fois revenu au pays [4]. Qui sait, en effet, si, entretemps, ils ne seraient pas devenus des adversaires à la solde des ennemis de la nation ?

Bien sûr, ceci n’offrirait aucune espèce de garantie car nous retrouvons ici la problématique éternelle de l’appartenance réelle, donc de l’identité véritable des personnes avec qui nous avons commerce. Le théâtre de Shakespeare est presqu’entièrement bâti sur de continuels jeux de dupes où l’un n’est pas celui qu’on croit [5]. Mais autant la chose consistant à s’avancer derrière un masque est propice à l’amusement et aux comédies autant elle a, depuis longtemps, sa place au cœur des tragédies qui font la matière première de l’histoire humaine.

Un mot résume la question du jour, c’est celui de trahison. Ce terme peut paraître excessif, mais s’il est souvent employé au sein des couples qui se déchirent c’est parce qu’il traduit excellement la fameuse opposition du « avec moi ou contre moi » [6] dont se servent tous les meneurs afin radicaliser leurs troupes quand vient le temps des luttes. Alors, bien sûr, en ces temps troublés qui favorisent ce que la propagande nous a appris à rejeter, à savoir le repli sur soi et le rejet de la différence, il peut sembler malvenu de se pencher sur un problème susceptible de flatter la parano du bon peuple. Mais jusqu’à quel point ce discours lénifiant et massivement présent dans un peu tous les médias depuis quelques bonnes décennies n’est-il pas lui-même le fait d’élites toujours-déjà traîtres à la nation ?

Comme la régente qui croît avoir épousé un prince charmant et se retrouve avec un pervers malfaisant au service d’intérêts étrangers, le bon peuple pourrait et devrait se demander jusqu’à quel point ses élites n’auraient pas, depuis la Révolution, œuvré à un idéal certes séduisant — puisque humaniste, individualiste et libéral — mais, néanmoins, foncièrement antinationaliste ? On nous l’a appris, et tout le monde le va répétant comme un perroquet, le nationalisme c’est mal car ce serait le rejet de l’autre. A supposer qu’il en soit ainsi, quid alors du mariage ? Serait-il mauvais parce qu’il signifie pour chaque conjoint le rejet de tous les autres partenaires possibles et imaginables ? Non, évidemment. Il n’y a à cela rien de mal, bien au contraire. Se marier ce n’est pas seulement l’affirmation d’une préférence, ce n’est pas seulement un choix de circonstance, c’est une décision qui consiste à écarter explicitement toute alternative. Alors pourquoi ce qui est encore tellement valorisé au plan individuel deviendrait-il diabolique au plan collectif ? Pourquoi proclamer avec ferveur et amour son appartenance à une nation devrait-il être regardé avec suspicion et, parfois, comme l’incarnation du mal ?

L’inquiétude suscitée provient des leçons que nous avons tirées de l’Histoire : les peuples fiers d’eux-mêmes qui sont mobilisés, rassemblés et solidaires autour d’un meneur, cela fait peur car ils ont une capacité d’action, de défense ou d’agression qui pourrait « mal tourner ». Toujours est-il qu’après avoir outrageusement flatté les nationalismes dans sa première moitié, le XXe siècle a proprement vacciné le corps social contre cette idée, il l’a affaibli au point de le laisser quasiment sans défense immunitaire, réduit à l’état de masses d’individus poursuivant leur quête narcissique et hédoniste sur des territoires gérés par des administratifs et des politiciens sans âme. Tout ce qui concourt à dévitaliser l’idée de nation semble une bonne chose au point que ce qui est refusé à la majorité, l’affirmation de son identité nationale, est jugé légitime et même souhaitable de la part de toutes les minorités forcément brimées et invisibilisées par l’affreuse majorité.

La chose en est à un point tel que la classique opposition mise en avant par Orwell au sortir de la seconde guerre mondiale entre nationalisme et patriotisme ne tient plus. Même ce dernier terme devient suspect ou, tout au moins, il nous est de plus en plus étranger, de sorte qu’après des décennies d’immigration réalisée sans rime ni raison, donc en toute indifférence à la question de la double nationalité, un Jacques Attali peut affirmer sans sourciller et sans être inquiété que « la France, c’est un hôtel  ». Après l’ONU que de Gaulle jugeait être un machin, il semble que ce soit la France qui le soit devenue. Les gouvernants sont juste un syndic de copropriété. Il n’y a plus que des intérêts à faire converger. Il n’y a plus de nation, il n’y a plus d’âme, seulement des êtres infantilisés en voie de zombification dans de la confiture politico-médiatique avec de gros morceaux de séries en streaming pour mieux anesthésier.

Qui ne voit la perversité de cette évolution ou, plutôt, de cet effrayant dévalement sociétal ? D’où cela vient-il si ce n’est de « puissances » auxquelles le sérail académico-politico-médiatique sert seulement de masque. Ce petit monde est une sorte de basse-cour nourrie au grain, des canards laquais qui tiennent le micro et les manettes qu’on leur a donnés afin de porter « la voix de son maître » et faire que tout le monde obéisse sagement.

Vous allez me dire que je m’égare avec ces propos complotistes en diable mais je ne fais qu’élargir le sujet à l’idée de double allégeance dont la double nationalité n’est qu’un cas particulier. Par exemple, les USA interdisent à tout natif d’un pays étranger de devenir président même s’il a uniquement la nationalité étasunienne. D’où l’effervescence suscitée par la rumeur selon laquelle Barack Obama serait né au Kenya. Quoi qu’on en pense, cette précaution légale existe pour une bonne raison et il serait proprement insensé de faire comme si elle l’était, insensée, justement.

Nous faisons là retour sur un danger que Cicéron avait magnifiquement résumé avant même le début de notre ère :

« Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux. Mais elle ne peut survivre à la trahison de l'intérieur. Un ennemi aux portes est moins redoutable, car il est connu et il porte sa bannière ouvertement. Mais le traitre se déplace librement parmi ceux qui sont à l'intérieur des murailles, ses rumeurs perfides bruissent à travers les ruelles et on les entend dans les allées même du pouvoir. Un traitre ne ressemble pas à un traitre : il parle avec l’accent familier de ses victimes, et il adopte leur visage et leurs arguments ; il en appelle à la bassesse qui se trouve ancrée dans le cœur des hommes. Il pourrit l'âme d'une nation, travaillant en secret, incognito dans la nuit, minant les piliers de la cité. Il infecte le corps politique qui ne peut plus résister. Un meurtrier est moins à craindre. Le traitre, c’est la peste. ».

 Dans les circonstances actuelles et le contexte de l’Europe, avec une prédominance de bonnes relations avec les pays d’origine, la binationalité peut passer pour une forme anodine de double allégeance parce que la question de la loyauté des personnes concernées ne se pose pas, parce qu’elle ne porte pas à conséquence.

Mais en des temps incertains, voire même si une situation de conflit direct ou indirect devait s’installer, la binationalité apparaîtrait terriblement problématique comme elle l’a été aux USA lors de la guerre avec le Japon. Les effets de l’immigration de masse étant ce qu’ils sont, on pourrait imaginer des communautés de binationaux se solidarisant avec leur pays d’origine — même lointaine — plutôt qu’avec la France. Au-delà d’un certain seuil, cela pourrait mener à une guerre civile.

Une conclusion s’impose je crois : les nécessités de cohésion sociale imposent une cohérence logique, donc une clarté dans les engagements que chaque citoyen prend vis-à-vis de la nation qui est la sienne. Il me semble que les binationaux devraient être mis dans l’obligation de choisir une nation comme on choisit sa femme ou son mari, sur le mode de l’exclusivité.

Les hordes victimaires qui rôdent toujours un peu partout — mais, heureusement, surtout dans le cyberespace — vont probablement fondre sur moi pour me diaboliser de toutes les manières possibles mais le lecteur honnête et rationnel a déjà compris que, dans la position exprimée ci-dessus, il n’y a ni xénophobie ni, bien sûr, aucune forme de racisme, seulement un appel à la clarté et à la franchise afin que chacun — d’où qu’il vienne, quelles que soient ses filiations — soit seulement et pleinement celui qu’il dit être : uni et dévoué à une nation France, et nulle autre, quelle que soit l’affection qu’il puisse porter par ailleurs à tel ou tel pays en fonction de son histoire personnelle.

Sans cela qui est la condition sine qua non d’un vivre-ensemble authentique — car porté par un esprit de fraternité auquel rien ne vient plus alors faire obstacle — nous serons incapables de nous protéger les uns les autres ; nous serons incapables de nous défendre alors que les « puissances de ce monde » sont passées à la vitesse supérieure et entendent s’arroger tous les pouvoirs normalement dévolus aux nations : le budget, la défense, l’énergie, la santé ressortissent déjà au supranational, qu’il soit européen ou mondial. Jusqu’où s’arrêteront-ils demanderait Coluche ? Mais nous le savons à présent, ils ne s’arrêteront pas et rien ne les arrêtera si nous ne formons pas une nation unie.

Face à des institutions supranationales titanesques qui se sont asservis les pouvoirs politiques, les masses d’individus désorganisés sont sans défense. On le voit bien, elles vont là où les pousse le vent de la propagande mondialiste, et cela pourrait aller jusqu’à l’holocauste nucléaire si c’était pour la bonne cause « humanitaire » et/ou l’impérieux devoir de ne pas transiger sur les principes ! Voilà pourquoi, face à la folie de ce monde qui ne pense plus, qui ne connaît que le rapport de force et le lynchage des « méchants » par des foules victimaires qui se pensent innocentes et donc moralement justifiées à la pire violence, il est temps de revenir à la raison, il est temps de revenir à la maison France et ça commence par le fait de se rassembler dans le but de se comprendre et de s’accorder sur la meilleure façon d’y vivre ensemble.

A cette fin, ne sachant pas très bien quel vent fripon, bon ou mauvais, m’a poussé, je viens de formuler l’idée que la double nationalité étant comme la bigamie, elle devrait être interdite. Que vous m’ayez lu ou non, vous en pensez quoi, vous, personnellement, en votre âme et conscience ?

 

[1] Dixit Thierry Meyssan qui m’a bien surpris sur ce coup-là !

[2] Accusation portée contre le communiste Maurice Thorez dans un article du Monde de mars 1949.

[3] Et donc bénéfique aussi au rayonnement de la Chine, à son emprise sur le monde, un peu comme les sayanims sont bénéfiques aux intérêts israéliens.

[4] Je suppose qu’il en va ainsi mais je n’ai pas vérifié.

[5] Comme dans la Comédie des erreurs, mais pas que, puisque c’est presque tout le théâtre shakespearien qui est basé sur cette ficelle à intrigues.

[6] Mathieu 12:30 : « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui n'assemble pas avec moi disperse ».


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