La fin d’un monde approche. En 2008, soyons réalistes, envisageons le pire !

par Bernard Dugué
jeudi 27 mars 2008

Le dernier poilu est mort il y a peu. Dans dix ans, il ne restera pratiquement plus de témoins de l’Occupation. Avec ce passé qui fuit, c’est aussi une certaine culture, une idée de la politique et de la société qui s’en va. Déjà, Mai-68 nous paraît étrange et lointain, perçu de notre monde incertain de 2008. Un sentiment étrange plane dans l’air des consciences. Le spectre d’un monde devenu imprévisible. Les indices parvenant des coins du monde ne sont pas rassurants. Tant sur le plan géopolitique que dans le monde de la finance. Crise de confiance dans les banques, dans le dollar. Les Américains n’ont plus le moral et le monde doute des Etats-Unis, inquiet de l’effondrement du billet vert. En France, le PS fait preuve de lenteur et ne veut pas s’investir dans la création d’idées nouvelles. Il ne réfléchit plus et, à l’UMP, c’est pareil si on en croit l’avis de Christian Estrosi émis sur la gestion de Devedjian, bientôt surnommé le Hollande de droite. Un plan de rigueur est annoncé. Le SPD en Allemagne vit une crise d’identité de part son rapprochement avec l’extrême gauche. Là-bas aussi, on manque d’idées.

Assiste-t-on à un processus d’assèchement du progrès, émanant autant des sciences politiques, des inventions sociales, que de la technique ainsi que dans le domaine de l’art. Les grands laboratoires ont ralenti leur acquisition de nouvelles molécules. Les innovations technologiques semblent marquer le pas, tout comme les progrès dans la recherche. Le monde de l’art paraît voué à la réplique d’anciens plans, la copie de styles. Les nouveaux acteurs de la pop, de la chanson, sont tout autant médiatisés mais quelle fadeur, quelle banalité, quel manque d’innovation masqué par quelques postures et travails vocaux. Chanteur pour écran platitude. La littérature est morte depuis vingt ans. Ennuyeuse au possible. Et les chaînes publiques se gavent de rediffusion, comme si c’était le signe qu’avant, c’était du lourd, de l’intéressant, du croustillant, mais effectivement, avec Gainsbarre, Brel, Ferré, les sixties affriolantes et inventives, suivies par les seventies radieuses et le début des eigthies dans une vague post-punk encore porteuse de sens esthétique, alors que Coluche donnait une tonalité et que naissait l’esprit Canal, bien enterré depuis. Et, maintenant, les jeunes s’habillent tous pareils, tenue quartier et tenue banlieue et les présentateurs parlent à l’identique. Avant, que de personnalités, plus spontanées, entières, Mourousi le facétieux, Masure le bon pote avec un mot pour la déconne, les fous rires de Denise Fabre. Maintenant, Pujadas, c’est le genre de type qui, si vous l’avez une heure dans l’écran, vous donne envie de vous suicider ou à défaut de vous endormir. Avec PPDA, c’est l’inverse, on s’endort avant d’avoir eu l’idée du suicide. Et donc, si vous êtes dépressif, choisissez la Une, c’est plus sûr !

Le monde n’est pas marrant. Les Chinois et leurs dirigeants ne suscitent pas une énorme sympathie, surtout avec ce qu’ils font du Tibet. Ils ne sont pas rigolos, mais du moins réalistes et, d’ailleurs, nous avons fait pareil en France, avec la Bretagne et le Pays basque, mais c’était une autre ère. On regrettera ce bon vieil Eltsine et sa partie de fou rire avec Bill. C’est pas vieux, mais que ça paraît loin. Les Chinois, ils sont au moins utiles, produisant des marchandises à bas prix. C’est tout bon pour notre pouvoir d’achat. Quant au reste du monde, qu’en penser ? Des zones à risques, Soudan, Tchad, etc. Au Liban, ce n’est pas mieux, ni en Iran, à Gaza, en Irak, au Pakistan et son petit frère afghan. Chez nous, les jeunes s’alcoolisent de plus en plus tôt, boivent pour oublier l’avenir et plus tard, une fois intégrés dans la vie active, ce sera ravioli le lundi, spaghetti le mardi... et coke le samedi, pour se donner l’illusion d’échapper à une vie de merde. Quant aux intellectuels, leur morosité est calquée sur leur lucidité. La chute du Mur les avait déjà bien sonnés. Le climat se réchauffe, mais c’est surtout la démographie qui fait peur et la perspective de colonne de migrants économiques en centaines de millions. Et la pénurie alimentaire, alors que le pétrole sera très cher. Mais plus d’idée. Observons les trentenaires, les fils Enthoven et Glucksmann, fils à papa propulsés sur la scène médiatique alors qu’ils n’ont rien à dire, juste poser leur cul devant les projecteurs et afficher une attitude de grand dadais, comme Linda Evangelista grande dada, mais dépourvue de dadaïsme. La relève des générations est mal barrée. Tout se délite et se décompose dans une posture évoluant entre le kitsch et la fadeur, juste pour occuper le vide sidéral d’un monde qui ne parvient plus à s’engendrer et n’a d’autres créateurs à montrer que ces avortons de l’univers culturel pollué par la « dioxane » des traîtres prédateurs de nos seventies. The show must go on ? Ce slogan sonne faux, game over, c’est mieux ! Billet pour le paradis. Une autre partie.

Cette année 2008 voit se confirmer la défiance vis-à-vis des Etats-Unis, le grand désamour. Après les années Bush, ce pays n’attire plus, excepté les affairistes et les marchands. Les lois coercitives rappelant que les States ont déjà pratiqué la traque aux dissidences, mais McCarthy, ça fait sourire au vu des lois de surveillance mises en place, des passeports numériques bientôt bioniques et biométriques. Fini le temps où le rêve américain faisait rêver, chanter Julien, la Californie, la route, ses beatniks puis ses freaks à Frisco dans les années love and peace, scène de jeunesse en révolte contre la guerre, une créativité sans faille, putain de cinéma, les Woody Allen des seventies et une suite interminables de films cultes, Lauréat, Easy Rider, une littérature foisonnante. Des poètes du rock aux compositions savoureuses, une science resplendissante, ses découvertes, l’homme qui marche sur la Lune, ses prestigieuses universités, parfois en révolte, monde bigarré, voyages en Indes, pattes d’eph et tuniques psychédéliques, en Europe aussi. Maintenant, les mômes sortent les guns et flinguent par dizaines, les ménages sont endettés, les militaires entêtés au Proche-Orient, les seniors se goinfrent d’hédonisme et font sécession dans des résidences où les jeunes représentent la peste. La décadence déborde autant que la misère déteint sur cette nation qui semble achever sa civilisation. Le capital sympathie envers les Etats-Unis a été puissant, mais il s’est depuis largement effondré. On a oublié les GI tombés par milliers sur nos côtes pour vaincre l’occupant nazi. Quant à Israël, son capital compassion, issu de la Shoah, s’est délité, après tant de massacres et cette question palestinienne enlisée et compliquée par l’intransigeance et la colonisation. En face, les pays arabes ne sont pas reluisants, le pétrole et la haine, l’Iran ne Perse pas comme civilisation. Et ces States, enlisés dans cette guerre intestine et stupide entre deux candidats démocrates qui risquent de faire perdre leur parti. Monde pourri, fuck ! Et la crise bancaire ? Il paraît qu’une rupture se dessine et que le capitalisme va prendre une autre disposition.

Un monde s’en est allé, celui du second XXe siècle. Où sommes-nous ? En 1938, avant que l’Europe se détruise une seconde fois en entraînant cette fois la fin d’anciens régimes et, notamment, notre IIIe République, si solide mais qui n’aura pas pu fêter ses 70 ans ? Une ambiance de fin d’époque plane sur 2008, année blanche, de transition, à moins que ce ne soit le quinquennat tout entier qui nous transporte sur une autre rive, une autre berge, ou alors anticipe le cours d’un monde allant vers le précipice. Un abîme culturel, comme en atteste le manque d’imagination des éditorialistes du Monde réagissant avec bien peu d’à-propos sur la vie politique française, imitant les pires tribunes d’Agoravox, mais qui sait si cette vie ne s’est pas enlisée dans une banale question de personnes, de distribution de rôles et de querelles de cours d’école. Toute la prestance, la puissance, la saveur, la volonté d’une époque dissoute dans une routine bananière. Quelle société va en émerger, vu que l’ordre des sages s’effondre que la nouvelle génération peine à marcher debout ? Et les médias, sont-ils les peintres autant que le symptôme et une des causes de ce fléchissement de la civilisation tanguant vers un drôle de chaos, comme on a pu dire une drôle de guerre en 1939. Quelque chose vacille, ne tourne pas rond. La civilisation européenne a subi le choc de 1918, le monde a encaissé le choc de 1939, quelle sera la réaction face à un choc qu’on pressent sans le dater précisément, mais dont on commence à redouter l’ampleur du désert pressenti et des cris de révolte. Mais qui sera certainement encaissé vu l’instinct de survie et la capacité de résilience du genre humain. Ensuite, qui sait, un monde inédit pourrait jaillir mais soyons réalistes, envisageons le pire, ainsi un slogan de 2008 tagué sur un écran du net, et scandé pour découper les consciences avec une slam d’acier !


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