La fin de la navette spatiale (10) : elle était pourtant jolie la petite Hermès
par morice
mardi 31 mai 2011
Et l'Europe, dans tout ça ? Est-elle restée les bras croisés en attendant le renouvellement hasardeux de la navette américaine ? Non, à vrai dire, elle va même dépenser beaucoup d'argent pendant plusieurs années à élaborer sa navette, pour finir par jeter l'éponge, faute d'accord entre les pays constructeurs, et, il faut bien l'avouer également, faute de crédits. L'astronautique est un gouffre qui a réussi à ruiner un pays comme l'URSS, ne l'oublions pas. La course à la Lune s'est terminée par un seul vainqueur, qui a anéanti économiquement son adversaire, et a provoqué quarante ans après une onde de choc qui fait qu'aujourd'hui il ne reste que peu de possibilités pour s'exprimer dans le domaine. Barack Obama a dû mettre au frigo les projets faramineux de son prédécesseur, faute de moyens financiers (voir ici l'article à ce sujet). L'étude du dossier Hermès, le nom de ce qui aurait pu devenir la navette européenne révèle surtout que ce dernier était entaché des mêmes erreurs de conception que celui de son aînée : rien n'avait été prévu pour la sécurité des cosmonautes, et le revirement à l'an 2000 vers un cargo automatisé pour ravitailler l'ISS plutôt une bonne chose. L'espace fait certes toujours rêver (je l'espère !), mais il a assez tué comme cela, semble-t-il. Place à l'espace low-cost.
Deux mois plus tard, les ambitions françaises voient se rallier les autres pays européens : en juin 1986, le projet dévient européen. Jacques Chirac, qui est devenu premier ministre le 20 mars 1986 et qui a bien compris l'enjeu, vient d'annoncer que la France va financer 45% du projet d'études préliminaires. On a déjà dépensé 330 millions de francs de l'époque. Hermès est prioritairement un projet scientifique... et militaire : ce n'est pas un projet commercial, bien qu'il soit lancé par une fusée civile. La presse, enthousiaste, annonce d'emblée le premier vol pour 1997 (dans un texte datant du 31 octobre 1986). L'Europe croit en sa bonne fée. Comment un tel projet ambitieux et réaliste, qui aujourd'hui ressemble comme deux gouttes d'eau au projet DreamChaser, lui-même copie du HL-20, va-t-il capoter, c'est bien là tout le problème. Les européens, dans cette ils course à couteaux tirés vont-ils rater le coche qui leur assurerait aujourd'hui une hégémonie flagrante, au regard du manque d'appareil américain ?
Technologiquement, le projet a bien avancé depuis 1977. L'engin a perdu sa queue unique pour deux ailerons en bout d'aile, s'appelle ASH (pour avion spatial Hermès !) et traîne derrière lui un module d'adaptation (le MRH) pour le sommet d'Ariane V, au diamètre plus large. L'ensemble à fière allure. Intérieurement, son sas de sortie est passé sur le côté gauche, et un tunnel traverse l'arrière de l'avion spatial et du module pour s'accoler à Colombus. En 1991, une maquette de l'ensemble est montrée au salon du Bourget, au milieu de l'armada de la première guerre du Golfe, et d'un F-117 dont c'est une des toutes premières apparitions en public. Mais l'argent n'arrive pas, la faute aux allemands qui rechignentà verser leur obole. En attendant, décision est prise en France de construire une sorte de maquette pleine dimension mais vide appellée X-2000, un démonstrateur automatique seulement. Le 8 juillet, patatras, l'Allemagne lâche le projet Hermès et une réunion en catastrophe en Espagne le 22 novembre en sonne le glas définitif.
L'astronaute Patrick Baudry, qui n'était pas favorable au projet en raison de problèmes de sécurité au lancement, notamment, a écrit une bonne analyse du sujet. Encore une fois, les chimères l'avaient emporté sur les considérations élémentaires de sauvegarde de la vie des cosmonautes : Hermès était sur le papier un beau projet, mais un projet mettant en danger son équipage au lancement. En prime, selon lui aussi, l'appareil, coûteux, n'aurai pas servi assez, reproduisant l'insoluble problème de son concurrent américain : "en regardant les vingt ans qui viennent de s'écouler, il est dommage de constater que la navette est un échec total en termes d'opérations. Même si une certaine langue de bois utilisée dans la grande structure américaine crie " Bravo ! ", même si cela fait partie des choses qu'il est interdit de remettre en question aux États-Unis.
"Le dernier espoir" US ont titré certains. L'auteur Tom Wolfe l'avait fait remarquer en 2009 : cela fait 40 ans aujourd'hui que la NASA a tué dans l'œuf tous ses projets de remplacement de navette. L'espace a aussi été une suite d'erreurs et de décisions politiques inopportunes. Une aubaine actuelle pour les sociétés privées qui s'engouffrent dans le créneau, en bénéficiant de fonds publics, comme aux Etats-Unis, les premiers à dénoncer le fait lors de la vente d'avions Airbus, par exemple. Il y en a cependant encore là-bas pour réclamer une "nouvelle frontière" spatiale, tel le cosmonaute vétéran Thomas "Tom" Jones, qui dans une tribune récente du bien réactionnaire Popular Mechanics, réclamait encore le 24 mai 2011, lors du 50 eme anniversaire du discours de Kennedy, d'envoyer à nouveau des gens sur la Lune ou sur Mars, après avoir salué encore une fois le programme de Shuttle comme ayant été un succès, ce qui n'est pas le cas, comme a pu l'écrire justement Patrick Baudry, qui a volé à bord.