La fin de la navette spatiale (10) : elle était pourtant jolie la petite Hermès

par morice
mardi 31 mai 2011

Et l'Europe, dans tout ça ? Est-elle restée les bras croisés en attendant le renouvellement hasardeux de la navette américaine ? Non, à vrai dire, elle va même dépenser beaucoup d'argent pendant plusieurs années à élaborer sa navette, pour finir par jeter l'éponge, faute d'accord entre les pays constructeurs, et, il faut bien l'avouer également, faute de crédits. L'astronautique est un gouffre qui a réussi à ruiner un pays comme l'URSS, ne l'oublions pas. La course à la Lune s'est terminée par un seul vainqueur, qui a anéanti économiquement son adversaire, et a provoqué quarante ans après une onde de choc qui fait qu'aujourd'hui il ne reste que peu de possibilités pour s'exprimer dans le domaine. Barack Obama a dû mettre au frigo les projets faramineux de son prédécesseur, faute de moyens financiers (voir ici l'article à ce sujet). L'étude du dossier Hermès, le nom de ce qui aurait pu devenir la navette européenne révèle surtout que ce dernier était entaché des mêmes erreurs de conception que celui de son aînée : rien n'avait été prévu pour la sécurité des cosmonautes, et le revirement à l'an 2000 vers un cargo automatisé pour ravitailler l'ISS plutôt une bonne chose. L'espace fait certes toujours rêver (je l'espère !), mais il a assez tué comme cela, semble-t-il. Place à l'espace low-cost.

Quand on regarde les projets privés actuels, tels que le Dream Chaser, ou mieux encore le projet d'Orbital, on ne peut avoir au départ que des regrets en Europe. Les européens, en effet, avaient eux aussi proposé leur mini-navette, appelée Hermès. Et franchement, elle avait plutôt fière allure, leur petite navette. 

Le tout premier projet est celui du CNES, et date de 1977. Les premières épures montrent un engin qui n'est qu'une navette spatiale américaine en réduction, avec une dérive arrière unique. Ce design calqué sur la navette US tiendra jusqu'en 1981. L'engin est nettement dès le départ plus petit, pouvant emporter deux pilotes et un ou deux passagers, et repose sur l'espoir de la construction d'un lanceur performant qui n'existe pas encore et qui deviendra Ariane V. Le projet évolue lentement, faute de fonds propres : aux premiers calculs, le projet est évalué à 10 milliards de francs de l'époque et le CNES, c'est simple, ne les a pas.  C'est Hubert Curien, responsable du CNRS qui va soutenir le projet à bout de bras, en se déclarant partisan en 1983 de la présence humaine d'européens dans le ciel. Devenu président de l'Agence Spatiale Européenne l'année précédente, son avis n'a que plus de poids. Le président du Cnes avait réussi à convaincre Le gouvernement de s'engager davantage dans le projet. Le 30 et 31 dėcembre 1985, un grand pas est fait : les 13 ministres européens de la recherche et de la technologie se retrouvaient ce jour-là à Rome pour envisager les 10 années à venir de l'ESA. Deux sujets de discussion au programme : l'avenir d'Ariane 5 et de Colombus, proposé par la RFA, ne réalité une mini station spatiale. En complément, le 18 octobre 1985, le Cnes avait annoncé les deux firmes françaises responsables du projet Hermes. A savoir l'Aérospatiale pour la construction, et Dassault-Bréguet pour les études aérodynamiques.

Deux mois plus tard, les ambitions françaises voient se rallier les autres pays européens : en juin 1986, le projet dévient européen. Jacques Chirac, qui est devenu premier ministre le 20 mars 1986 et qui a bien compris l'enjeu, vient d'annoncer que la France va financer 45% du projet d'études préliminaires. On a déjà dépensé 330 millions de francs de l'époque. Hermès est prioritairement un projet scientifique... et militaire : ce n'est pas un projet commercial, bien qu'il soit lancé par une fusée civile. La presse, enthousiaste, annonce d'emblée le premier vol pour 1997 (dans un texte datant du 31 octobre 1986). L'Europe croit en sa bonne fée. Comment un tel projet ambitieux et réaliste, qui aujourd'hui ressemble comme deux gouttes d'eau au projet DreamChaser, lui-même copie du HL-20, va-t-il capoter, c'est bien là tout le problème. Les européens, dans cette ils course à couteaux tirés vont-ils rater le coche qui leur assurerait aujourd'hui une hégémonie flagrante, au regard du manque d'appareil américain ?

Technologiquement, le projet a bien avancé depuis 1977. L'engin a perdu sa queue unique pour deux ailerons en bout d'aile, s'appelle ASH (pour avion spatial Hermès !) et traîne derrière lui un module d'adaptation (le MRH) pour le sommet d'Ariane V, au diamètre plus large. L'ensemble à fière allure. Intérieurement, son sas de sortie est passé sur le côté gauche, et un tunnel traverse l'arrière de l'avion spatial et du module pour s'accoler à Colombus. En 1991, une maquette de l'ensemble est montrée au salon du Bourget, au milieu de l'armada de la première guerre du Golfe, et d'un F-117 dont c'est une des toutes premières apparitions en public. Mais l'argent n'arrive pas, la faute aux allemands qui rechignentà verser leur obole. En attendant, décision est prise en France de construire une sorte de maquette pleine dimension mais vide appellée X-2000, un démonstrateur automatique seulement. Le 8 juillet, patatras, l'Allemagne lâche le projet Hermès et une réunion en catastrophe en Espagne le 22 novembre en sonne le glas définitif.  Côté français, la partie n'est pas totalement finie, car son principal défenseur, en l'occurrence Jacques Chirac, candidat à l'élection présidentielle, annonce qu'une fois élu il relancera le projet. Mais les décisions et les tergiversations américaines sur l'ISS empêchent la construction d'Hermès, l'Europe se rabattant vers un autre projet de module de ravitaillement ou de sauvetage appellé Advanced Crew Recovery Vehicle, une sorte de cabine Apollo classique, qui deviendra des années après le module ATV Jules Vernes. En octobre 1995, un budget de recherche de 350 millions de francs est accordé au projet. Les modules classiques on fait place à l'avion spatial, un module de rentrée est alors annoncé qui sera lancé avec succès en 1998 sous la forme de l'Atmospheric Re-entry Demonstrator ou ARD, lancé tour d'abord d'un ballon à 25 000 mètres de haut puis par Ariane, le 21 Octobre 1998 à 216 kilomètres de haut pour retomber entre les Îles Marquises et Hawaii. Au même moment, EADS Brème démarrait la fabrication de l’ATV.  Pour le véhicule de rentrée, on doit alors à nouveau repenser à un module de sauvetage, ce qui semble-t-il avait complètement éludé dans le projet Hermès, le rendant dangereux, au grand dam des cosmonautes dont l'avis n'avait pas été pris en compte. Deux projets voient encore le jour en 2004, Pre-X et Expert, au sujet de la ré-entrée dans l'atmosphère de véhicules spatiaux. Mais l'Europe, après avoir bien rêvé, en revient à un cargo spatial bien classique ce type Apollo : la conquête de l'Espace ressemble de plus en plus à une perpétuelle redite de ce qui a déjà été inventé. L'engin de 20 tonnes devant évoluer jusque 2020, date de la mise à la retraite de l'ISS : plus imposant et entièrement automatisé, il a de sérieux avantages sur le vieux Soyouz-Progress.

L'astronaute Patrick Baudry, qui n'était pas favorable au projet en raison de problèmes de sécurité au lancement, notamment, a écrit une bonne analyse du sujet. Encore une fois, les chimères l'avaient emporté sur les considérations élémentaires de sauvegarde de la vie des cosmonautes : Hermès était sur le papier un beau projet, mais un projet mettant en danger son équipage au lancement. En prime, selon lui aussi, l'appareil, coûteux, n'aurai pas servi assez, reproduisant l'insoluble problème de son concurrent américain : "en regardant les vingt ans qui viennent de s'écouler, il est dommage de constater que la navette est un échec total en termes d'opérations. Même si une certaine langue de bois utilisée dans la grande structure américaine crie " Bravo ! ", même si cela fait partie des choses qu'il est interdit de remettre en question aux États-Unis.  En 1996, la NASA avait pourtant un instant caressé l'espoir de les retirer du service actif au profit d'autres concepts, mais les difficultés de mise au point de ces nouvelles machines ont fait repousser aux calendes grecques le remplacement d'une flotte qui a coûté pour l'instant un bon nombre de milliards de dollars. L'agence américaine songe à présent à investir entre 1,5 et 2 milliards de dollars supplémentaires pour mettre à niveau ses quatre navettes, notamment en ce qui concerne l'informatique, l'électronique et quantité d'autres appareils qui vieillissent ou ne sont plus aux normes actuelles. Ces réparations et améliorations diverses interviendraient ainsi à mi-vie du parc de navettes, qui verrait ainsi sa longévité repoussée entre douze et vingt ans !". C'est exactement ce qu'on fait les américains, en coupant l'herbe sous le pied aux projets équivalents d'Hermès comme celui d'Orbital, pour au final en 2010 accorder des crédits à la construction d'un engin leur ressemblant comme deux gouttes d'eau, pensé il y a trente ans, à savoir le HL-20 devenu par la grâce des tribulations politiques le "Dream Chaser", une version "low-cost" du premier.

"Le dernier espoir" US ont titré certains. L'auteur Tom Wolfe l'avait fait remarquer en 2009 : cela fait 40 ans aujourd'hui que la NASA a tué dans l'œuf tous ses projets de remplacement de navette. L'espace a aussi été une suite d'erreurs et de décisions politiques inopportunes. Une aubaine actuelle pour les sociétés privées qui s'engouffrent dans le créneau, en bénéficiant de fonds publics, comme aux Etats-Unis, les premiers à dénoncer le fait lors de la vente d'avions Airbus, par exemple. Il y en a cependant encore là-bas pour réclamer une "nouvelle frontière" spatiale, tel le cosmonaute vétéran Thomas "Tom" Jones, qui dans une tribune récente du bien réactionnaire Popular Mechanics, réclamait encore le 24 mai 2011, lors du 50 eme anniversaire du discours de Kennedy, d'envoyer à nouveau des gens sur la Lune ou sur Mars, après avoir salué encore une fois le programme de Shuttle comme ayant été un succès, ce qui n'est pas le cas, comme a pu l'écrire justement Patrick Baudry, qui a volé à bord.  La conquête lunaire avait absorbé 5% du budget total de la nation, rappelle-t-il. En oubliant qu'aujourd'hui, aucun pays ne peut plus se le permettre, tout simplement. La place, aujourd'hui, est aux projets "low-costs", comme avait pu le montrer le même magazine dans son exemplaire du 17 mai dernier.



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