La fin de la navette spatiale 2) les essais préliminaires des briques volantes
par morice
samedi 30 avril 2011
La décision a été prise par Nixon le 5 janvier 1972, mais elle semble encore bien aventureuse. Pour l'instant, on ne sait pas grand chose du comportement de la navette lors de son retour, normalement, sous la forme d'un planeur démuni de toute propulsion. Enfin rien, pas tout à fait : depuis une dizaine d'années, d'obscurs casse-cous se sont acharnés à démontrer que c'était faisable, avec des moyens qui semblent très dérisoires au regard des sommes dépensées pour aller sur la Lune. Le premier des engins pour préparer la navette spatiale volera en effet dès le 12 Novembre 1962, et il possède la particularité d'avoir été construit... en contreplaqué. C'est le Los Angeles Times qui en parle le premier en évoquant une "baignoire volante" (Flying Bathtub) qui "pourrait aider les astronautes à rentrer". A voir l'engin, on se dit que ce n'est pas demain la veille qu'on n'y arrivera... et pourtant !
Un engin pour rentrer dans l'atmosphère comme un avion, ce sont les militaires qui y avaient pensé au départ. Avec un très beau projet, celui du X-20 Dyna Soar, sorte de mini-navette, déjà, lancée par une fusée Titan IIIC, l'une des plus puissantes chez les militaires, une idée sortie tout droit des cartons de Walter Dornberger, venu de la base de Peenemünde qu'il commandait via l'opération Paperclip... et ancien général de l'armée allemande "Chef du programme de développement des fusées de l'armée de terre du IIIème Reich"...fait prisonnier par les américains le 2 mai 1945 à Reutte en Autriche (dans le Tyrol), entré discrètement chez Bell en 1950. L'engin est tout de suite présenté comme une navette monoplace, rentrant dans l'atmosphère protégée par le même revêtement que le X-15 (comme lui il se pose sur des skis-sans roulette avant). Les études iront jusqu'à une maquette en bois d'évaluation, mais aussi des essais de maquettes lancées par fusée et ayant rentré dans l'atmosphère. On ira jusqu'à imaginer son cockpit, handicapé par une vision à l'avant bouchée pendant une partie du vol, par crainte d'un trop gros échauffement, seuls deux hublots sur les côtés sont prévus. L'engin a beau avoir fière allure, les crédits qu'il absorbent gonflent vite, et Robert Mc Namara doit trancher entre lui et Gemini et le projet MOL de station spatiale militaire. Le 10 décembre 1963, en pleine construction du premier prototype, les crédits alloués sont supprimés. Le projet à coûté 410 millions de dollars, et avec 373 millions de rallonge l'engin aurait pu voler dès 1966. Le projet MOL attendra 6 ans pour subir le même sort après avoir dévoré 1.5 milliard de dollars pour rien. McNamara est l'un des pires technocrates militaires qu'ait connu les Etats-Unis. Les cosmonautes sélectionnés se reconvertiront ... dans la navette spatiale, tels Bob Crippen, Bob Overmyer et Henry Hartsfield, Richard Truly et Gordon Fullerton.
Les essais du premier modèle de Dale, le M1-F1 seront assez épiques : pour faire décoller la baignoire de bois, les ingénieurs iront tout d'abord dégotter une énorme voiture décapotable,Pontiac, qu'ils "doperont" dans un garage spécialisé en "hot-rods" sur le lac salé, et qui s'efforcera de tirer l'engin au bout d'un long câble. Comme les talkies-wakies ne marchent pas et que la voiture n'a pas de radio, les techniciens communiqueront par... panneaux tenus à bout de bras : on est pas loin de scènes à la Tex-Avery. Puis on passera au remorquage par DC-3, et enfin par un atterrissage une fois largué aidé par le petit moteur fusée à bord... Milt Thompson réalisant toutes ces prouesses avec un calme olympien, mais dans un véritable sauna : rien n'a été prévu comme refroidissement à bord. Entre temps, l'équipe de Dale Reed continue ses essais de maquettes téléguidées, larguées par une maquette porteuse, finissant par en avoir toute une collection. Les essais du M1-F1 ayant démontré la validité du concept, la même équipe va reproposer le même engin, baptisé M2-F2, mais cette fois en aluminium et acier... prêt à être largué de beaucoup plus haut par un B-52, celui qui habituellement, largue le X-15. C'est maintenant qu'on va s'apercevoir que les pilotes de ces fers à repasser en avaient, des c.... : une fois largués, il n'avaient que quelques minutes pour rejoindre leur aire d'atterrissage, qu'ils abordaient beaucoup plus vite que les autres avions. Démunis de moteur, ou presque, ils n'avaient aucune chance de s'en sortir en cas de problème, à moins de s'éjecter. A bord, ça tanguait sec comme le montre cette ahurissante vidéo... il n'y aura qu'un seul accident, le 10 mai 1967, lors du 16 eme vol, mais il sera tellement spectaculaire qu'il deviendra sujet de présentation d'un feuilleton, "L'homme qui valait six millions de dollars". Le train était sorti trop tard, et l'appareil était parti en tonneaux. Dans le feuilleton, l'accidenté deviendra "L'homme bionique". En réalité, Bruce Peterson, le pilote ce jour là s'en sortit vivant, en perdant un oeil, touché mais infecté à l'hôpital par un staphylocoque. Contre toute attente, l'engin ne fut pas détruit mais reconstruit, pour devenir le... M2-F3. Le même, mais avec une dérive centrale en plus. Viendront ensuite d'autres modèles, dont un assez exceptionnel signé Northrop : le HL-10.
En même temps, trois fusées Atlas ont discrètement lancé trois maquettes de 400 kilos qui ont été récupérés en plein pacifique. C'est le projet ASV-3 "Asset" , qui fait partie du programme START (pour Spacecraft Technology and Advanced Reentry Test) rebaptisé X-23 « PRIME », pour Precision Recovery Including Maneuvering Entry » : les américains testent dessus des matériaux ablatifs en résine comme ceux des boucliers d'Apollo : à l'époque c'est ce qu'on projette d'apposer sur la future navette. Dans cette continuation, l'engin à la taille normale baptisé le X-24 (SV-5P), construit par Martin Marietta, et la deuxième partie du programme START, donc est achevé le le 24 août 1967. L'engin vole pour la première fois le 17 avril 1969, alors qu'on s'affaire autour des préparatifs du vol lunaire... l'histoire s'accélère. L'engin est propulsé par un XLR-11. L'engin a un fond plus plat que les modèles précédents et se comporte déjà mieux.
Jamais construite, mais qui reverra le jour de façon fort étonnante en 1999, soit exactement 30 ans après le premier vol du X-24A. La Nasa, qui espérait encore de l'élection présidentielle de 2000 pour pouvoir imposer ses vues, avait proposé l'idée d'une "chaloupe" spatiale de sauvetage pour les cosmonautes de l'ISS. Des ingénieurs avaient cogité depuis quatre années, jusqu'au jour où l'un d'entre eux, en faisant les calculs, s'aperçut que ce qu'ils cherchaient à faire, et à réaliser comme comportement spatial avait déjà été fait avec le X-24A et les calculs déjà à moitié faits avec la maquette de Martin du X-24C.Le projet, soutenu par l'Agence Spatiale Européenne fut appelé au départ X-35, qui devint le X-38, et qui reprenait trait pour trait les calculs de Dale. L'engin final ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'ancien prototype, seul un gigantesque parachute, grand comme un terrain de football, lui assurait un atterrissage en douceur, sans avoir à l'équiper de roues mais de skis. L'engin était magnifique, et une maquette téléguidée, à l'échelle de 80% construite par les ateliers de Burt Rutan, cet autre génie, fut essayé à chaque fois avec succès, larguée d'un B-52. C'était de loin l'engin idéal pour la fonction. Dale Reed reçût l'honneur de poser à ses côtés, à la demande de ses concepteurs. Les crédits devaient être débloqués... lorsque G.W.Bush fût élu, et enterra aussitôt le projet le 29 avril 2002, alors que les travaux étaient déjà bien avancés sur le vaisseau final de 10 tonnes pour 9,1m de long. En cas de pépin, sur l'ISS... rien n'avait été prévu d'autre désormais que le vaisseau ravitailleur Soyouz...
Un bon résumé est ici (on y voir un extrait du film de la femme de Dale Reed ( à 1'03) à et on y explique la construction en bois du M1F1, ainsi que son essai derrière une voiture.
http://xplanes.free.fr/x24/m2f1/m2f1_07.jpg
Dale Reed est interviewé peu de temps avant son décès en mars 2005, ici, il explique à la NASA, peu de gens croyaient au début à son projet. On y voit la construction du premier engin, en bois et en tube d'acier ! Le captivant livre de Reed "Wingless Flight,The Lifting Bodies Story" est disponible intégralement ici sur le site de la NASA.
La saga est lisible ici. Notez le déploiement au dernier moment du train d'atterrissage, caractéristique également de la navette.
La propagande style hollywood des années 40, musique comprise, du X-24A est ici.
Un bon résumé ici aussi. Le X-24 B dernier du lot est visible ici. A remarquer son énorme "flap" arrière, dont la navette reprendra l'idée. Notez les bouts de ficelle pour capter l'écoulement de l'air ! Noter aussi que le F-104, pour l'accompagner en descente, est obligé de sortir son train.