La fin de la navette spatiale 6) la NASA et son incapacité à gérer les risques
par morice
mardi 17 mai 2011
L'épisode précédent nous le disait : la NASA, administration de taille devenue démesurée, est totalement incapable d'évaluer correctement les risques, ce qui met constamment en danger ses cosmonautes. La judicieuse comparaison faite par Roy Brander dans l'épisode précédent entre la catastrophe du Titanic et celle de Challenger était très éloquente. Les deux se sont produites à la suite d'enchaînements de décisions inconsidérées, de mauvaises évaluations des risques, à partir d'une simple donnée climatique différente de l'ordinaire. La Nasa a réussi à démontrer que dès 1986 elle était arrivée à un stade avancé d'incompétence. On pouvait s'attendre à ce que les 32 mois de purgatoire qui suivraient lui serviraient de leçon. Même pas : les lancements et les missions ont continué à être entachés d'erreurs et d'incidents qui auraient pu tourner au drame, comme pour ce fameux vol du 6 décembre 1988 (STS-27), sans que la lourde administration qu'est devenue la NASA ne se résolve à prendre des décisions plus rigoureuses de sécurité, notamment à propos du deuxième problème fondamental de l'appareil qui est son réservoir central et surtout son revêtement. Jusqu'au jour ou cela va tourner à un second Titanic, où là encore la NASA ne saura pas répondre correctement à un problème évident. Quand bien même elle aurait demandé à une navette abîmée de rester en orbite, la durée de préparation d'une de secours aurait mis en difficulté l'équipage, qui n'aurait même pas pu chercher secours auprès de l'ISS : Columbia ne disposait même pas d'un collier d'amarrage pour y mettre en sécurité ses occupants !


A 1,5 milliard de dollars chaque lancement on peut aisément le comprendre : l'engin qui devait "démocratiser" le vol spatial est devenu un échec économique patent. Chaque engin avait été prévu pour voler 100 fois avant de partir en retraite. On en est loin, à peine au tiers. Discovery a pris sa retraite après 39 vols, Challenger a fait seulement 10 vols, Atlantis effectuera sa dernière en juin prochain alors que ce n'est que la 33eme, Endeavour, la plus "jeune" (construite pour remplacer Challenger) en a fait 25 à peine (et est en train d'effectuer son dernier vol), Columbia s'est crashé au bout de 28 vols... Les cinq, au total, n'auront fait que 135 vols. On en attendait 400 ! Les vols s'étant espacés depuis 1986, les engins volant moins, on aurait pu s'attendre à un vieillissement moins important par cellule construite. C'est oublier que les vibrations sont telles à bord que le métal vieillit plus vite que prévu, et que la conception des engins datant des années 70, pas mal de choses à bord sont obsolètes, notamment l'informatique de bord, qui en est restée aux tores de ferrites comme capacité mémoire, ou au DOS comme système d'exploitation des données sur les disques durs. Vu d'un œil d'aujourd'hui, la navette utilise des appareils dignes de la préhistoire de l' informatique.
Mais il n'y a pas que l'état technique des lieux qui est à déplorer. Pour l'accident de Columbia, la NASA va remettre en marche son train à ne pas savoir gérer les crises. Un train qui va vite prendre son rythme de croisière de sénateur pour arriver au final à sept cadavres de plus. Ce jour, là, pourtant, pas de glace visible sur le pas de tir. On en est au 102 eme vol, et à ce stade, malgré Challenger, une routine évidente est apparue. L'engin est un appareil historique : c'est cette navette qui a fait le tout premier vol de navette le le 12 avril 1981, le jour même du vingtième anniversaire du premier vol spatial de Gagarine. Ce jour-là, c'est son 28 eme décollage, celui d'un engin âgé de 24 ans déjà. Les navettes, on vous l'a dit, sont composés d'un vaisseau spatial et de deux sources d'énergie : celle des boosters à poudre, dont on a déjà étudié le danger potentiel et l'énorme réservoir à hydrogène et oxygène liquide , une sorte de bidon d'aluminium mince, entièrement recouvert de polystyrène floqué pour servir d'isolant, de dimension impressionnante : 46,7 mètres de long pour un diamètre de 8,40 mètres. Autrement dit un engin encombrant, qui doit être amené par bateau avant d'être relevé au milieu de l'immense VAB qui a servi à Saturn-Apollo.
Assez vite lors des missions, cet élément, peint au départ en blanc, va poser de sérieux problèmes. Toute sa carrière sera marquée par des fuites à répétitions. Ce qui est ennuyeux : la gigantesque bouteille thermos de 738 tonnes à plein contient en effet "half a millions of gallons" de liquide, soit la bagatelle de 5 430 000 litres (pour 630 tonnes) d’oxygène liquide et 1 465 000 litres d’hydrogène liquide, soit (environ 108 t). A vide, il ne fait que 32 tonnes, et même 29 seulement dans sa nouvelle version "allégée" jusque 1998, année où il a encore été allégé pour ne plus peser que 26 tonnes.
L'assemblage navette-réservoir ce fait sur trois poins : un au sommet du réservoir, par une poutre en V, et deux sont situés en bas. Mais les boosters aussi y sont attachés : en haut dans la zone où les deux réservoirs se rejoignent, et une plus bas. Pour faire parvenir l'oxygène du réservoir du haut, une énorme canalisation de 43 cm de diamètre transporte le fluide à raison de de 1,3 tonne par seconde, sans traverser le réservoir d'hydrogène mais en courant tout le long à l'extérieur pour rejoindre les moteurs de la navette. Le réservoir d'hydrogène faisant de même par un circuit beaucoup plus court, étant plus près des moteurs. Pour remplir la bouteille thermos il faut 5 bonnes heures, celles qui précèdent le lancement. Le réservoir du haut est rempli en premier en oxygène à -4H30 du départ, celui d'hydrogène à -2H50. Deux bras liés à la tour d'accès fournissent les compléments des litres évaporés jusqu'à -2 minutes du départ. Les énormes moteurs liés à la navette, ont été conçus au départ pour résister à 27 000 secondes de fonctionnement (450 minutes, soit 7 heures et demie) à plein régime ne fonctionnent que pendant 8 minutes dans le vol. En réalité, chaque moteur résiste à 30 vols pas plus : leurs pompes dévorent 423 kg d'oxygène liquide et 70 kg d'hydrogène liquide par seconde ! Technologiquement, la plomberie des moteurs est très avancée.
Le revêtement de mousse floquée a toujours posé problème, le revêtement se craquant régulièrement, sans oublier des problèmes générés par les habitants des alentours : oiseaux, chassés régulièrement, mais aussi... chauve-souris, dont certaines ont élu domicile au sein même du VAB. Le moindre bobo et la galère commence : il faut décaper la mousse sur une portion déterminée, assurer la jonction avec le morceau changé, et faire attention à ne pas scraper au passage les fils électriques noyés dans la mousse pour les différents capteurs disséminés. Une vraie galère, assurément, quand il s'agit de le faire au sol, à plat, ou lorsque le réservoir est maintenu verticalement. Car à la moindre grêle sur le pas de tir, c'est la catastrophe... A en devenir parfois assez acrobatique. Et parfois, les techniciens découvrent sous la mousse... un revêtement d'aluminium qui est fendillé... la NASA recensera 5 points clés de possibilité de fragilisation de la mousse sur le réservoir. Des caméras placées sur les boosters et sur la navette dès 2005 filmeront le réservoir en train de redescendre dans l'Atlantique, avec de larges traces de mousse manquante...
Le vol STS-107 du 1er février 2003, en fait le 113eme décolllage de navette, avait pourtant bien commencé. Ou plutôt, il avait fini par se produire, après pas moins de... 18 reports dûs à des problèmes techniques, le décollage initial étant prévu au 11 janvier 2001 ! Le 19 juillet 2002, alors que la navette était acheminée sur son pas de tir, on avait découvert des criques dans le circuit de distribution de l'hydrogène liquide, et le vol avait été annulé. Columbia avait laissé 6 vols devant elle avant de pouvoir redécoller du complexe 39-A : ses réparations internes avaient été fastidieuses. Bref, le modèle déjà vieillissant, malgré l'accomplissement d'à peine le 1/3 de son contrat initial n'était plus déjà au mieux de sa forme. Les caméras haute définition, le lendemain du décollage révèlent donc qu'un imposant morceau de mousse s'est échappé du sommet du réservoir pour heurter l'aile gauche de la navette. En réalité, ce n'est pas la première fois que ça se produisait : le vol STS-7 de 1983 a déjà connu le même déboire, comme les STS-32 (de 1990), le STS-50 (de 1992), ou les STS-52 a et 62), qui ont tous montré la même chose : des blocs de mousse détachés du réservoir central. En avril 2001 après le vol STS-102, le panneau N°10 en Carbone-Carbone de l'aile gauche de Columbia avait dû être changé, avec la découverte d'une belle écorchure dessus. Le panneau avait tout d'abord était réparé, puis ensuite totalement changé. Des images impressionnantes avaient été prises, et notamment celle des profondes écorchures subies par le dessous de la navette avec les projections de blocs. A ce jour, ces images dérangeantes pour le grand public, au regard de la sécurité de l'équipage, avaient été gardées secrètes.
En somme c'était devenu aussi un sorte de routine malsaine : la NASA savait que ça se produisait, avec recouru à quelques réparations en forme de "patchs" (carrossage aérodynamique ajouté, injection de résine, etc), mais n'avait jamais su les en empêcher. Cette fois-ci, c'est autre chose : le bloc s'est détaché à 20 000 m de haut, la navette s'arrachant alors à Mach 2,46, et l'impact du bloc détaché de glace collée au morceau de mousse, dont la taille avoisinait un attaché-case, avait été conséquent. En laboratoire, une sorte de canon reproduira le phénomène sur une portion complète de bord d'attaque emprunté à une autre navette existante percera un trou de 25x50 cm sur une des plaques de "carbone-carbone". La navette Columbia était déjà "doomed" comme on dit là-bas, au bout d'une minute et 20 secondes de vol : elle était condamnée. Avec un trou pareil dans l'aile, c'est une mort certaine qui attendait tout l'équipage lors de la rentrée. Lors du vol STS-107, il n'est pas dit que le trou aît été aussi important : on penche plutôt pour l'hypothèse d'une craquelure qui se serait agrandie sous la pression du plasma créée par le frottement des couches basses de l'atmosphère.
La définition des caméras de l'époque suivant au sol le décollage n'était en effet pas suffisante pour déterminer l'étendue exacte des dégâts. Ce n'est que plus tard, en 2005, que la NASA, afin de vérifier le bon état de la navette pendant son ascension, utilisera un avion très spécial, capable de grimper très haut, pour prendre des images hautes résolution afin de déterminer au mieux si des dégâts se produisent à nouveau : ne sachant toujours pas vraiment les éviter, on avait une nouvelle fois palié au plus pressé avec une solution coûteuse fort bâtarde. L'engin volant, un RB57F modifié devenu NASA 926, chargé de prendre les vues ayant en effet une allure fort curieuse à vrai dire. Le doute s'était quand même installé : les clichés de l'Intercenter Photo Working Group, une équipe montée après l catastrophe de Challenger, chargée de surveiller le bon déroulement de l'équipage, montrent qu'à 81 secondes et 9 dixièmes du vol quelque chose a heurté l'aile gauche. Cinq jours après le décollage, l'inquiétude née avec cette découverte a grandi. Des mails sont échangés entre ingénieurs, avec une certaine tension qui monte entre les catastrophistes, qui demandent à interrompre le déroulement de la mission et de s'activer vers une mission de sauvetage, et les rassurants, qui prédisent que le comportement en vol n'ayant pas été modifié lors de l'ascension, les vibrations ayant été normales, il n'y a que fort peu de risques lors de la rentrée. A bord, les cosmonautes n'ont aucun équipement de sortie qui leur permette de vérifier l'état de leur navette, et le bras articulé qui pourrait aller inspecter l'endroit touché n'a pas de caméra à son bout. On leur a demandé de tourner la face du dessous de la navette pour que les occupants de l'ISS puissent vérifier s'il y a des dégâts visibles. Personne n'en verra, hélas !
Pendant ce temps, la pression de l'équipe catastrophiste va décider la NASA a contacter ceux qui ont de meilleures caméras au sol : l'Armée, qui va tenter de vérifier l'état de l'aile. C'est la troisième demande faite à ce jour aux militaires. C'est l'unité de l'Air Force Starfire Optical Range de la base de Kirtland qui s'en chargera. Mais l'image produite ne révèlera rien. Or tout s'accèlère, on est déjà à la fin de la mission et au centre de Houston, la Entry Flight Control Team est déjà à l'œuvre, préparant les procédures de rentrée comme une autre routine, sans avoir été avertie du danger potentiel, explique le long rapport sur la catastrophe. Encore une fois, deux équipes n'ont pas communiqué, et aucune personne n' a réussi à convaincre les autres de ce danger. Ce que personne ne sait, c'est que la fente créé par l'impact est à un des pires endroits de la navette en cas de cassure. La plaque de carbone-carbone atteinte est une de celles parmi les plus proches de l'angle du caisson abritant le train gauche de l'appareil : si un flux de plasma s'y engouffre, au lieu de se limiter au bord d'attaque, il va se propager très rapidement via ce coffrage jusqu'au milieu de l'aile et la cisailler entièrement.
Un autre ingénieur avait lui aussi averti : "Dennis Bushnell, un gestionnaire de Langley qui avait participé à la certification de la navette pour ses vols initiaux en 1980 et 1981, avait averti par courriel à un collègue dès le 5 février que la turbulence de la couche limite, amplifiée par les dégâts sur les tuiles, pourrait être une combinaison mortelle. "Si l'écoulement est turbulent au plus chaud de la pointe du bouclier thermique du bord d'attaque, cela pourrait brûler à travers les trappes de roue (et même avec des tuiles en bon état), avait-il écrit" après avoir visionné les photos haute-définition de l'impact du bloc de mousse détaché .
A 8:44:09 la navette entre donc dans l'atmosphère à Mach 25, ayant reçu le feu vert de la NASA, après 17 jours passés en orbite. A peine eu le temps de remarquer qu'à bord il y avait Ilan Ramon, pilote de chasse émérite israélien, envoyé faire quelques photos de très haute définition, dont celle-ci, et qu'il avait eu Ariel Sharon en direct par conversation télévisée. A 8:48:39, un senseur détecte une anomalie de température sur un des longerons de l'aile, mais ni la terre ni les cosmonautes ne s'en aperçoivent. La navette entame déjà sa série de "S" pour se ralentir : à 8:53:26 elle survole déjà les USA au dessus de Sacramento. Pour elle, c'est déjà fichu. Un des contrôleurs au sol annonce la perte d'info sur quatre capteurs de température de l'aile gauche, dont deux situés en arrière de l'aile près des élevons. Le plasma a déjà cisaillé les 2/3 de l'aile. A 8:53:46, une boule de feu apparaît, puis plusieurs : elle vient de commencer à se désintégrer. A 8:54:25, au dessus du Nevada, la lumière s'intensifie encore : à Mach 22.5 et 227 400 pieds (70 000 mètres), la navette s'est volatilisée en milliers de morceaux qui vont se répandre sur quatre états, étant donné l'altitude : l'Utah, l'Arizona, le Nouveau Mexique et le Texas. Elle ne rejoindra jamais Cap Kennedy où elle devait se poser à 9H16. A 8:54:24 ; le sol a reçu l'annonce de toute une série de dysfonctionnements émanants de capteurs de l'aile gauche. A 8:59 c'est la dernière transmission sonore avec le maleureux commandant de bord. "Mission Control radios : "Columbia, ici Houston, nous avons eu vos messages précédents sur les jauges de pression mais nous n'avons pas eu de réponse." Ce à quoi a répondu Columbia :"Roger, uh... ..." et puis plus rien. A 9:00:18 , les capteurs des trains avant et principal gauche, n'indiquent plus rien : l'aile n'est déjà plus reliée au fuselage ! Une minute plus tard à peine, les premières vidéos de la navette se désintégrant apparaissent sur les écrans. Un des hommes de la salle de contrôle de la Mission Control team se précipite sur son responsable et lui dit "fermez les portes". La navette est perdue, inutile de s'échiner, il est temps de se préparer à une enquête, et il vaut mieux que les informations sensibles ne tombent pas tout de suite dans les oreilles des journalistes, qui avaient éreinté l'équipe responsable du suivi de Challenger. A 09:08:25, pourtant, le centre de Houston cherche toujours à joindre la navette, qui ne communique plus depuis huit bonnes minutes déjà. Tout est déjà terminé : les vidéos de l'anéantissement de Columbia tournent en boucle sur les écrans. A 10H30, le directeur de la NASA Sean OʼKeefe déclenche l'International Space Station and Space Shuttle Mishap Interagency Investigation Board en nommant l'amiral Harold W. Gehman Jr., retraité de l'U.S. Navy, à sa tête. Pour la deuxième fois de sa carrière, la navette a tué sept personnes. Réduites cette fois en miettes carbonisées. On indiquera avoir retrouvé comme restes humains un "torse carbonisé", "un crâne avec ses dents", et l'image d'un casque brûlé fera le tour du monde, symbole du peu qu'il restait des sept membres d'équipage.
L'enquête démontrera que les craintes justifies de Kevin Johnson McCluney, et de Dennis Bushnell, mais révélera aussi que les fameux bord d'attaque en carbone étaient l'objet d'un vieillissement prématuré par création de micro-fissures parfois pas plus grosses qu'un cheveu.... provoquées par l'air marin du Cap Kennedy quand la navette restait trop longtemps sur son pas de tir, avaient noté les spécialistes. Pour y remédier "leur suggestion était simple : étendre l'équivalent d'une toile de peintre sur les ailes de la navette pour les protéger de l'air corrosif venu de la mer de Cap Canaveral et pour empêcher la formation de trous minuscules sur les bords des ailes. Ces trous - à peu près aussi large que trois cheveux humains ont commencé à apparaître sur les bords d'attaque des ailes de navette en 1992, d'abord sur Colombia, puis sur d'autres navettes d'autres. Les trous sont apparus après environ 10 vols. La plus ancienne des navettes, Columbia, s'est disloquée à la fin de son 28eme vol, or elle avait sur elle davantage de trous minuscules que tout autre navette, selon les rapports des techniciens de la NASA" . Les navettes, sujettes à un banal vieillissement de cellules étaient désormais bonnes pour la ferraille, victimes... du sel marin de Floride !
la galerie des débris retrouvés :
http://lubbockonline.com/gallery/shuttle_columbia_debris/1.shtml
http://www.iasa.com.au/folders/Safety_Issues/RiskManagement/leadingedge-4.html