La fin de la navette spatiale 9) l’absence dramatique de succession
par morice
jeudi 26 mai 2011
On l'a vu, la NASA, emportée par un flot de décisions calamiteuses et détournée de ses objectifs par des pressions politiques, a passé ces dernières années à colmater ses erreurs plutôt qu'à proposer de faire rêver des générations. Seules les sondes lointaines, comme les formidables Voyager ou les sondes martiennes (et les infatigables robots Spirit et Opportunity*) ou l'actuel expérience Cassini, voire les projets liées à l'étude des astéroïdes peuvent encore faire frissonner d'émotion ou d'avancées sur la connaissance scientifique du monde qui nous entoure. La gestion catastrophique à tous les niveaux de la navette spatiale se termine en queue de poisson mémorable (Endeavour, au 20 mai, pour la troisième fois de son existence, craint à nouveau pour sa rentrée avec des tuiles abîmées). Au bout du compte, l'organisme astronautique est incapable de faire la jonction entre son vaisseau en fin de vie, devenu dangereux, et une nouvelle génération devenue nécessaire. Rien ou presque n'a été prévu comme remplacement. On vous a déjà parlé du vaisseau russe qui va effectuer l'intérim, je ne vais pas y revenir, et plutôt tenter de discerner quel sera l'heureux élu qui sortira d'un concours entre quatre sociétés privées, choisies pour construire avant 2013 la fameuse remplaçante.


Le HL-20, pas loin du concept parfait, en effet : débarrassée de sa charge militaire ; une navette pouvait être plus petite en effet. L'appareil imaginé par les chercheurs de Rockwell International (de sa Space Systems Division surtout) ne faisait que 8,84 m de long et 7,16 m d'envergure seulement : ailes repliées il aurait tenu à l'intérieur de la soute de la navette ! Il aurait pesé une dizaine de tonnes, pour 84 pour la navette... Mieux encore : après l'accident de Challenger, un vaisseau de sauvetage avait paru nécessaire, au cas où la navette tombait en panne en orbite : jusqu'alors on songeait à en lancer une seconde, mais le délai de mise en orbite était tel que l'idée d'une sorte de "canot de sauvetage" avait son chemin, avec le HL-20 mais aussi le X-33, qui reprenait trait pour trait le dessin du X-24A, un des meilleurs engins au catalogue des lifting bodies.
Pour le HL-20, au final ce ne sera que partie remise, d'une certaine manière. Si après le dernier vol d'Atlantis, programmé pour fin juin 2011, les États-Unis dépendront donc au moins pendant au moins quatre ans de ces antiques Soyouz russes pour ravitailler la station orbitale (car du côté américain, il n'y a aucun remplaçant de disponible), le "vieux" vaisseau peut toujours être ressorti des cartons ! Quatre ans de disette américaine pour l'ISS, en effet, le temps de construire quatre projets dont un seul sera retenu au final : la NASA s'y est pris bien tard, ou plutôt a été contrecarrée par les accidents, leur étude et leur analyse, et un gouvernement stupide désireux de reconquête spatiale tenant de la fanfaronnade pure : on était reparti pour rien sur la Lune, avec G.W.Bush, avant d'envisager d'aller sur Mars pour y trouver ce que les sondes y ont déjà trouvé (de l'eau !). Il n'y a aucun intérêt scientifique à amener (difficilement) des hommes sur la planète rouge, et le projet d'y aller à déjà englouti de l'argent pour rien. Les engins automatiques sont parfaits pour ça. Pour les remplaçants potentiels, la NASA a jeté l'éponge depuis l'arrivée de G.W.Bush qui a tué dans l'œuf plusieurs projets, dont le le X-33. Elle a donc confié tardivement et en dernier ressort à quatre compagnies privées américaines (Space X, Sierra Nevada Corporation, Blue Origin et Boeing) la réalisation de projets totalement différents, en leur accordant un total de 269 millions de dollars pour le développement de leurs projets.
Techniquement, c'est une cabine à base de résine époxy (moulée) et non plus de l'alluminium, contenant le propulseur, autour de laquelle viennent se greffer les divers réservoirs ou autres matériels, recouverts d'une coque extérieure sans tuile, mais avec un matériau de type ablatif. L'histoire ne dit pas comment vont s'y prendre les ingénieurs pour en changer : logiquement, tous les panneaux extérieurs du HL-20 d'origine se démontaient facilement : à chaque vol, l'appareil changera donc de peau extérieurs sur une grande partie de sa surface. Une société filiale de Sierra existe déjà pour ce faire, c'est Straight Flight. En dehors de sa mue prévue, c'est en quelque sorte un énorme SpaceShipOne. Question protection contre la chaleur, c'est une technique là encore "ancestrale" qui a prévalu, puisque le Dream Chaser utilise le même matériau que le revêtement de la cabine Apollo : du nid d'abeille rempli de résine ablative. Quatre centimètres d'épaisseur d'Avcoat sur les endroits les plus chauds, la rentrée consommant 31,21 kg de résine brûlée. Le nez qui supportera 1900°C sera en carbone-carbone, comme sur l'actuelle navette. Cette configuration date des essais de HL-10 ou de X-24, où l'on avait imaginé de l'ablatif et non de la tuile. Des quatre projets, c'est bien celui qui détient la plus grande cote auprès des anciens de la NASA, cosmonautes compris : les autres sont des capsules, un type de vaisseau dont l'ESA vient de montrer qu'il pouvait se passer de pilotes... son meilleur supporter à ce jour étant Buzz Aldrin.
Quatre sociétés et quatre projets, retenus par la NASA, disions-nous au tout début. Reste en effet deux projets après Sierra Nevada Corporation de Louisville, Colorado qui a reçu 80 millions de dollars pour son HL-20 bis, et Space Exploration Technologies (SpaceX), d'Hawthorne, en Californie 75 qui en a reçu 75 pour une proposition bien plus sage. Space X, j'en ai déjà expliqué l'origine ici : ce sont eux qui ont lancé il n'y a pas si longtemps leur fameuse meule de fromage comme "passager" de leur capsule spatiale d'essai. Avec une fusée mêlant tuyères soviétiques et un autre moteur appelé Merlin, à base de moteur d’ascension du LEM, Space X a réduit les coups de développement et a décroché le deuxième contrat avec un véhicule classique : ce n'est pas une société innovante, mais plutôt une équipe fort débrouillarde qui dépense beaucoup moins... que la Nasa. Le module Dragon se décline en deux versions, automatique et pilotée, et ressemble à une ancienne cabine Apollo avec un module arrière de Soyouz, pour déployer ses panneaux solaires. Le premier module a fait un bond le 28 septembre 2008, et sa configuration classique nous ramène à une déperdition de matériel comme celle qu'avait voulu éviter le Shuttle. Bref, une proposition qui ramène davantage en arrière qu'autre chose.
Le troisième projet est celui de Jeff Bezos, le patron d'Amazon, est c'est bien le plus farfelu ou celui qui paraît le moins réaliste. Là encore, on est sur les bases d'une reprise, celle des projets défunts Roton ou Phoenix, ou des deux projets "Delta Clipper" DC-X et DC-XA de McDonnell Douglas (suspendus après avoir dépensé 40 millions de dollars), qui ont tous été des échecs : un engin suborbital, lancé lui aussi d'une fusée classique type Atlas V, capable de se poser en douceur à son retour, et qui ne présente pas de version passagers : ce serait uniquement un cargo automatique (une version passager est prévue mais dans un développement futur). Pour beaucoup, les 22 millions dont a hérité la firme Blue Origin pour construire son expérimentateur baptisé "New Shepard" ressemblent beaucoup à des deniers publics offerts en pure perte pour assouvir les lubies d'un patron désireux de laisser son nom dans le domaine astronautique, plus que d'aider l'ISS à fonctionner. C'est un gadget, sans intérêt !
D'un classicisme plus qu'étonnant quand on sait ce qu'il est prévu pour l'expédier ravitailler la station internationale : la fameuse fusée Taurus II, qui présente à sa base... deux propulseurs très connus : le fameux NK-33, devenu AJ-26, provenant des russes, ceux du deuxième étage de la N1... développés par le Kuznetsov Design Bureau (ici ce qui restait en stock des NK-43). Aerojet avait acheté 40 moteurs NK-33 aux russes, et en contrat avec Orbital, les avait copiés et améliorés, en fabriquant au total près de 200 exemplaires ! Depuis l'achat aux russes, plus de 575 tests ont été faits avec cette ligne de moteurs ultra-perfomants ! Les russes ne peuvent avoir que des regrets : leur engin marchait, côté tuyères, c'est la synchonisation entre elles qu avait plombé le programme, faute d'ordinateur capable de les gérer ! Un des engins pressentis pour remplacer la navette comme fournisseur de matériels ou de cosmonautes à l'ISS nous fait revenir, encore une fois plus de 42 ans en arrière !!! Décidément, sous l'aspect de l'innovation absolue l'astronautique nous réserve bien des surprises !