La FNSEA, fossoyeuse de l’élevage traditionnel

par Fergus
mardi 9 février 2021

 

« Que sont nos vaches devenues ? » Telle est la question que je posais dans un article de février 2020. Les élevages hors sol s’étant multipliés, en France comme dans la plupart des pays, nous sommes de plus en plus souvent privés du plaisir de voir évoluer dans nos pâturages ces débonnaires bovins qui nous étaient si familiers naguère. Hélas ! derrière ce constat anecdotique se cache un choix agro-industriel porteur de très nombreuses et très choquantes dérives…

La cause de cet abandon des pâturages par nos « amies » les vaches : une « modernité » très largement soutenue par les dirigeants successifs de la FNSEA, eux-mêmes moteurs de l’implantation dans nos terroirs du productivisme à l’américaine, importé en Europe dans les années 50 et 60. Depuis cette époque, cédant à une logique économique nettement plus industrielle que paysanne, un grand nombre de nos éleveurs a, en quelques décennies, progressivement abandonné les méthodes traditionnelles d’élevage pour aller vers un modèle d’exploitation résolument productiviste qui, trop souvent, prend une forme concentrationnaire, notamment pour les porcs et les volailles, de loin les plus exposés à l’indignité des traitements. Conséquence : les exploitants en question ne sont plus, de facto, que des supplétifs de l’industrie agro-alimentaire, peu regardants sur le bien-être animal et de plus en plus éloignés des valeurs de leurs aïeux paysans.

À cet égard, la nomination de Xavier Beulin en 2010 à la tête de la FNSEA a été emblématique de cette transformation radicale de l’agriculture française en supplétive de l’industrie. Qu’on en juge : M. Beulin – alors résidant du très chic 16e arrondissement de Paris – cumulait la présidence de ce puissant syndicat agricole avec, entre autres fonctions plus ou moins lucratives, la présidence du groupe agro-industriel Avril, spécialisé dans la production de ces biocarburants qui détournent de grandes surfaces de culture de leur vocation alimentaire. Cerise sur le gâteau, M. Beulin était même administrateur du Crédit Agricole, cette banque qui, de fait, possède un droit de vie et de mort sur les exploitations les plus modestes par le biais de sa gestion des emprunts !

Décédé en 2017, Xavier Beulin a été remplacé par Christiane Lambert. Plus propre sur elle que son prédécesseur – l’actuelle patronne du syndicat n’est accusée d’aucun conflit d’intérêt –, Mme Lambert revendique régulièrement dans les médias un engagement au service d’une « agriculture raisonnée ». Pure communication ! Celle que l’on surnomme dans la profession « Duracell » pour l’énergie qu’elle déploie reste en effet très largement sur la même ligne que son prédécesseur. Autrement dit, elle est résolument productiviste, et peu encline aux concessions. En février 2018, une citation d’un syndicaliste maison, rapportée par Le Canard enchaîné, résumait parfaitement ce qu’est la présidente du syndicat : dans la continuité de M. Beulin, «  elle continue d'incarner la FNSEA qui dit non à tout et en veut toujours plus ! » Voilà qui a le mérite d’être clair. Bref, Business as usual ! comme disent les investisseurs nourris au lait du néolibéralisme.

« La France est le pays européen qui respecte le mieux le bien-être animal  » affirmait sans rire Christiane Lambert sur Twitter le 5 septembre 2019 en rappelant que la moyenne du nombre des bovins est de 60 par exploitation dans notre pays contre 1200 au Canada et 4000 au Brésil. Certes, mais au rythme où disparaissent les petits élevages extensifs, la part des grandes exploitations intensives ne cesse de croître. Et surtout la patronne de la FNSEA sait très bien que les élevages extensifs de bovins – notamment dans les zones de montagne – ne sont pas représentatifs des traitements infligés à d’autres animaux, et tout particulièrement aux porcs et aux volailles : on compte en effet environ 95 % de porcs et 80 % de volailles élevés dans des structures concentrationnaires très éloignées de ce « bien-être animal  » dont Mme Lambert prétend être une championne convaincue.

Une transition nécessaire et urgente

Le seul point sur lequel la patronne de la FNSEA a raison, c’est lorsqu’elle dénonce les intrusions de militants antispécistes dans les élevages. « Ça ne peut plus durer ! », affirmait-elle le 4 septembre 2019 sur les ondes de RTL. Et de fait, en « libérant » dans la nature des animaux incapables d’y survivre, ces activistes radicalisés, le plus souvent jeunes et très mal informés des conséquences de leurs actes, font fausse route et desservent la cause qu’ils prétendent défendre. D’autant plus qu’après des millénaires de consommation d’aliments carnés, ce ne sont pas des actions sporadiques irréfléchies de ce type qui vont, en quelques années, conduire l’humanité à cesser d’élever des animaux pour ses besoins alimentaires. Seul un travail de pédagogie pourra faire significativement évoluer les esprits, et cela demandera un très long temps de militantisme.

Ce constat n’enlève rien aux mauvais traitements, voire à la cruauté – bien réels, hélas ! – qu’illustrent les choquantes images régulièrement mises en ligne sur les réseaux sociaux par les militants de l’association L214. Les conditions d’élevage indignes que subissent notamment les porcs et les volailles dans les élevages industriels, autant que les pratiques révoltantes de mise à mort dans un trop grand nombre d’abattoirs non respectueux de leur propre charte, sont, de fait, accablantes. Or, force est de constater qu’au lieu de s’associer à ces dénonciations pour exiger de ses adhérents une mise en conformité de leurs installations et de leurs pratiques, la FNSEA garde un silence assourdissant sur ce pénible sujet. Dès lors, elle est de facto complice par ce silence des mauvais traitements et des actes de cruauté médiatisés par L214.

L’élevage, Léopoldine Charbonneaux, directrice de l’ONG CIWF, est sans doute l’une de ceux qui en parlent le mieux. Dans une interview donnée au quotidien La Croix en septembre 2019, elle en dénonçait avec beaucoup de lucidité les absurdités, et pas seulement à l’échelle de notre pays :

« L’élevage industriel consomme plus de nourriture qu’il n’en produit. Prenons l’exemple des bovins qui n’ont pas accès au pâturage et qui sont nourris avec de grandes quantités de céréales qui pourraient être consommées directement par des humains. Actuellement, environ un tiers des terres agricoles mondiales sert à cultiver des céréales et des fourrages pour nourrir les animaux.

Il semble évident que pour réussir à nourrir une population toujours grandissante, une transition de notre modèle agricole et alimentaire est nécessaire et urgente. Cela implique notamment de réduire notre consommation de viande et de produits laitiers et ainsi de privilégier la qualité plutôt que la quantité pour les protéines animales. Manger moins pour manger mieux, en somme. Les consommateurs doivent d’ailleurs être mieux informés sur la provenance et le mode d’élevage de la viande qu’ils achètent. »

Pour terminer, rions un peu : « L'écologie c'est nous, nous ne sommes pas des écologistes de salon, nous sommes des écologistes experts », affirmait très sérieusement Christiane Lambert lors du congrès de la FNSEA tenu à Villejuif (Val-de-Marne) le 10 septembre 2020. Tous ceux qui ont eu à souffrir dans leur vie des épandages de pesticides, insecticides, fongicides, engrais chimiques et lisiers polluants – parfois quasiment au contact des habitations et des écoles – apprécieront l’« humour » de la dame. De même en ira-t-il de toutes les personnes engagées dans la sauvegarde de l’environnement qui se battent contre les graves atteintes portées aux biotopes par la prolifération des retenues d’eau collinaires, soutenue sans état d’âme par les dirigeants de la FNSEA. Ces personnes aussi ont dû beaucoup rire. Jaune en l’occurrence. Et en serrant les poings de colère !

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Irrigation agricole : les retenues d’eau collinaires, bonne ou mauvaise solution ? (août 2020)


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