« La Foire de Paris » : une aventure érotique selon son affiche ?

par Paul Villach
samedi 8 mai 2010

« La Foire de Paris » qui ferme ses portes le 9 mai 2010, expose cette année toutes sortes d’innovations domestiques, de loisirs et de produits artisanaux venus des cinq continents. Or, sur l’affiche qui en fait la promotion, on n’en trouve aucune trace : tout juste aperçoit-on, perchés sur son logotype, en silhouettes, les symboles exotiques stéréotypés de la Tour Eiffel et d’un palmier qui la dépasse, pour signaler l’ouverture de Paris sur les pays tropicaux.

La Foire de Paris, l’attrait sulfureux du fruit défendu ?
 
Quel rapport, en effet, l’image choisie entretient-elle avec cette manifestation ? Aucun ! C’est un premier paradoxe qui par l’énigme qu’il pose, a le don de retenir l’attention pour en trouver la solution cachée. On pourrait remplacer « La Foire de Paris » par n’importe quoi : la fraise fait penser d’abord forcément à un marché de primeurs et pas tropical du tout, mais ce pourrait être tout aussi bien une agence de voyages ou un festival culturel. Le slogan, lui-même, est d’une parfaite ambiguïté volontaire  : « Vous risquez d’y prendre goût !  ». Le pronom-adverbe « y » peut tout désigner.
 
Le second paradoxe qui oppose l’idée du danger - « risquez » - à celle du plaisir - « prendre goût » - oriente seulement vers un territoire inconnu, voire interdit. L’association d’un fruit à portée de bouche peut alors s’inscrire par intericonicité dans un des contextes fondateurs de la civilisation occidentale : le fruit défendu à  Adam et Ève, le premier couple du paradis terrestre, selon la Bible judéo-chrétienne. La Foire de Paris serait-elle donc ainsi identifiée par image à un fruit défendu pour la rendre plus désirable encore, puisque l’interdit attise la pulsion de transgression, avec « le risque d’y prendre goût  » et donc de dépendance ?
 
La Foire de Paris, la pantomime d’une fellation ?
 
Il semble que l’intericonicité sollicitée ne se limite pas au péché originel mais qu’elle ouvre purement et simplement sur un leurre d’appel sexuel par les procédés d’insinuation.
 
Dans une totale mise hors-contexte sur fond sombre uni, se détache lumineuse par contraste une bouche féminine grande ouverte sur une fraise portée à ses lèvres de deux doigts. Les métonymies se bousculent, multipliant les effets dont les causes doivent s’imposer au lecteur. Au teint mat de la peau comme au nez menu, court et épaté, on devine une jeune femme métisse qui correspond à l’ouverture tropicale de la Foire de Paris. Filmée à l’oblique, ligne du mouvement saisi sur le vif, la bouche est cadrée en très gros plan entre menton et nez qu’effleurent, par effet de perspective, noircis de rimmel, les longs cils courbes d’un œil clos : c’est l’instant de recueillement dans la tension extrême du désir sur le point de s’assouvir, avant l’imminente absorption de la fraise.
 
La charge culturelle des couleurs dresse, à l’évidence, pour cette scène le décor de l’érotisme : le rouge de la fraise est la couleur du sang et du feu à l’instant où le désir sexuel s’enflamme, et le noir du « rouge à lèvres », celle de la lingerie féminine revêtue par la liturgie des voluptés autrefois interdites.
 
Une autre intericonicité dans ce contexte surgit alors tant de la forme dodue et pointue de la fraise que de la posture de la bouche tendue vers elle pour l’accueillir. Peut-on, sans hypocrisie, nier qu’est représentée, dans la schématisation du symbole, la pantomime d’une fellation ?
 
Ainsi l’appel de « La Foire de Paris » serait-il identifié par métaphore à un pur appel sexuel. Le slogan ambigu « Vous risquez d’y prendre goût  », dans ce contexte, c’est vrai, devient plus clair. On savait que le leurre d’appel sexuel était un leurre capable de promouvoir les objets les plus éloignés de lui. On a eu plusieurs fois l’occasion de le montrer sur AgoraVox : un verre de bière peut devenir un objet érotique inattendu ; une association a cru pouvoir inciter à voter aux élections européennes en présentant les candidats comme des prostitués d’Amsterdam en vitrine ; le syndicat étudiant UNEF, avec plus d’humour, a même réussi à attirer l’attention sur la pénurie de logement pour étudiants par un jeune couple affairé dans le lit conjugal entre papa et maman (1). Voici « La Foire de Paris » qui assimile la venue d’un visiteur à une aventure érotique. Reste à savoir si les femmes seront toutes aussi sensibles que les hommes à cette délicatesse. Paul Villach
 
(1) Paul Villach,
- « Un objet érotique inattendu, le verre de bière  », AgoraVox, 18 septembre 2008.
- « Parlement Européen : le leurre d’appel sexuel  », AgoraVox, 14 mai 2009.
- « Le joli mariage de l’eau et du feu sur une affiche de l’UNEF  », AgoraVox, 13 février 2008.
 

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