La folie libérale démontrée par l’exemple
par abelard
jeudi 29 novembre 2012
La théorie libérale, aujourd'hui néolibérale, repose sur un pilier qu'elle croit solidement fondé : la concurrence est mère de toutes les vertus.
D'après ces idélologues, la concurrence entre agents, qu'il s'agisse d'entreprises ou d'êtres humains, mène au meilleur des mondes. Le meilleur service au meilleur prix, l'innovation constante, les meilleurs produits, ne peuvent être générés que par la concurrence "libre et non faussée" dérégulée et encouragée.
On pourrait facilement prouver qu'en théorie, la concurrence n'est qu'un moment dans l'histoire d'un marché. Quelle que soit la "niche" envisagée, la concurrence débridée comme toute fuite en avant, ne peut que déboucher sur une stabilisation monopolistique : une fois que le plus puissant a dévoré tous les autres. C'est ce qui se passe dans absolument toutes les industries de biens ou de service, quoi qu'en pensent nos économistes stipendiés.
Mais, plutôt que de me risquer à donner des cours d'économie théorique, je voudrais vous exposer un cas particulier que je connais bien : le marché du scénario en France.
Il se trouve que la profession de scénariste a tout, absolument tout, pour ravir les disciple de Ricardo ou de Hayek : aucune réglementation, aucune protection sociale, aucun droit au chômage, rien, nada, nichts. Est scénariste celui qui le dit. Est employable en tant que scénariste n'importe qui. A partir du moment où vous êtes capable d'écrire trois mots à la suite, vous êtes scénariste et personne ne viendra vous chercher des poux dans la tête.
Il s'agit donc d'une profession entièrement ouverte, concurrentielle et déréglementée. Un bonheur d'économiste, vous dis-je...
Donc suivant la sainte théorie développée par nos chers économistes libéraux, de cette concurrence totale devrait surgir le meilleur. Les meilleurs scénaristes pour écrire les meilleurs scénarios.
Or bizarrement, c'est exactement le contrairre qui se produit. Il suffit d'aller voir quelques films français pour s'apercevoir que ce qui rend les films aussi mauvais n'est pas la réalisation ou le jeu des comédiens, mais l'écriture. C'est assez étrange, n'est ce pas ?
Alors que les professions de réalisateur et de comédien sont encadrées, disposent d'un statut particulier (les fameux intermitents du spectacle) nous avons en France d'excellents réalisateurs et de très bons comédiens. Alors que livrés à la concurrence absolue, sans droits, sans filets, sans rien du tout, les scénaristes ne livrent que des trucs mal foutus qui feraient pleurer de honte leurs glorieux aînés. (Je pense à des gens comme Henri Jeanson, Pierre Bost, Jean Aurenche ou plus proches de nous Jean Gruault et Jean-Claude Carrière)
Parallèlement, et dans la patrie du libre échangisme à tout va, les scénaristes américains parviennent à écrire des films qui touchent le monde entier. Est-ce à votre avis à cause d'une concurrence plus féroce encore ? D'un "marche ou crève" cruel que l'on s'attend à trouver chez les inventeurs de l'école de Chicago ?
Eh bien pas du tout. Il existe aux USA un syndicat monopolistique et redoutable : la WGA. Ce syndicat, non content de protéger les droits des scénaristes, exerce de fait un pouvoir absolu sur l'écriture des films. Tout scénariste se doit d'y adhérer sous peine de se voir interdire de travailler. Tout producteur doit faire travailler les membres de la WGA sous peine de voir son film condamné. Etrange dans ce pays, non ?
Mais il faut reconnaitre que ça fonctionne à la perfection. Les membres de la WGA ne sortent pas de nulle part, ils ont appris leur métier (particulier et technique) et l'exercent ldans les meilleures conditions : ils sont bien payés et ont le temps de peaufiner leurs textes.
A force de fragiliser une profession qui demande un long apprentissage, un exercice quotidien, une rigueur absolue et une inventivité de tous les instants, nous en sommes arrivés à ne plus savoir ce qu'est réellement un scénario. Plus personne, et surtout pas parmi les "décideurs" ne sait juger un scénario à la lecture. Normal pour une profession tellement concurrentielle qu'elle a fini par disparaitre. Puisque tout le monde sait écrire un scénario, personne n'est à même de donner un avis...
Il en résulte ce qui arrive au cinéma français depuis maintenant de longues années. Il ne convaint plus que quelques critiques de "libémonderama" mais ne fait plus venir grand monde en salle.
Du côté des scénaristes, de ceux qui connaissent leur métier et qui ont vraiment du talent, c'est la désertion en masse. Vu qu'il est trés difficile et souvent impossible de vivre de ce métier trop mal payé et ignoré, nombre de scénaristes abandonnent leur profession. Ils font autre chose, du théätre comme Eric Assous, ou de la réalisation comme la plupart des scénaristes qui ont eu la chance de voir un de leurs films récolter le succés (G. Bitton et M. Munz par exemple)...
A cette aune, la fameuse "concurrence libre et non faussée" livre toute sa réalité. Elle n'encourage pas l'excellence mais la médiocrité.
... Le marché du scénario en France n'est qu'un exemple presque caricatural de ce qui attend toutes les professions dans le grand marché mondial. Voici venu le temps de la médiocrité arrogante...