La France a raison d’intervenir en Libye
par Julien Gautier
mercredi 23 mars 2011
Pouvait-on ne pas intervenir en Libye au risque d'assister au massacre des insurgés de Benghazi ? Bien sûr, une opération militaire n'est pas sans risque et le débat souhaitable. Mais il était temps de signifier au tyran libyen qu'on ne commet pas impunément des crimes contre son propre peuple sans susciter une réaction des démocraties. Dans cette affaire, la position de la France et de la Grande-Bretagne est plus courageuse que celle de l'Allemagne.
Il est normal qu’une intervention militaire qui implique la France suscite un vif débat dans le pays. Je suis d’ailleurs étonné que notre présence en Afghanistan depuis l’automne 2001 soit si peu discutée dans les médias et au Parlement. Poser la question de l’utilité du maintien du « théâtre » afghan, si loin de l’Europe, dans un contexte hostile, en vue de gagner « la bataille des cœurs et des esprits » me semble tout à fait légitime. Il faudrait à mon sens envisager un retrait rapide du contingent français. Le but de guerre n’est plus clair depuis que les Taliban ont été chassés du pouvoir. Nous sommes enlisés, embourbés dans un pays impossible. Laissons l’Afghanistan aux Afghans. Une occupation de presque dix ans n’a que trop duré…
Ce petit préambule sceptique fait sur l’autre guerre qui implique notre armée, je dois dire, en toute conscience, que j’approuve totalement la décision de Nicolas Sarkozy d’engager la France au premier plan dans les frappes contre la Libye du Colonel Kadhafi. Si je ne porte pas une grande estime pour l’actuel locataire de l’Elysée, je pense qu’il est nécessaire, quand l’essentiel est en jeu, de ne pas se laisser troubler par les jeux politiciens et de soutenir la position française. Position qui répond par la négative à la question cruciale : pouvait-on ne pas intervenir ? La non-ingérence dans les affaires d’autrui est-elle plus importante en 2011 que la non-assistance à peuple, ou partie d’un peuple, en danger ? Car c’est bien de cela dont il s’agit. Sans une action militaire décisive, le peuple insurgé de Benghazi était en danger de mort et nous n’avions pas besoin de BHL pour le savoir même si en l’occurrence l’intellectuel français, si agaçant soit-il, avait tout à fait raison. Aux « souverainistes » de tout poil qui me rétorqueront que la Libye est un Etat souverain, qu’il est scandaleux d’intervenir dans une guerre civile, que la France doit rejeter toute visée « colonialiste », je rétorquerais que ces débats autour du « néo-colonialisme » sont tout à fait pertinents… mais qu’en attendant, une partie du peuple libyen, dans l’Est du pays, avait de bonnes chances de se faire massacrer à mesure que le temps passait et que l’on poursuivait nos débats enfiévrés à Paris. Il fallait donc agir vite.
Bien sûr, je sais qu’il faut toujours se méfier du manichéisme, que les bons et les méchants ne sont pas toujours ceux que l’on croit, qu’il faut laisser cette vision du monde aux scénaristes d’Hollywood, que l’émotion ne doit pas dicter la politique d’un Etat, ceci est vrai. Il n’en reste pas moins que le Colonel Kadhafi a dépassé toutes les bornes qui pouvaient justifier la non-ingérence.
Alors, poursuivent les adversaires de l’intervention occidentale, pourquoi n’allez-vous pas bombarder la Chine, la Corée du Nord, voire l’Arabie Saoudite qui est aussi une dictature mais qui a le mérite de plaire à l’Oncle Sam ? Ne balayons pas cette question d’un revers de main. Elle pourrait toucher juste, à ceci près que les situations ne sont pas comparables. Non, chers non-interventionnistes, la Libye de Kadhafi n’est pas tout à fait une dictature comme les autres. Si les forces américaines, britanniques et françaises, pour ne citer que les trois principales armées de cette coalition de onze pays, ne peuvent intervenir partout, il est juste que, sous mandat de l’ONU, elles déclenchent le feu quand il y va de la survie d’un peuple à très court terme. A propos, il serait d'ailleurs temps que l'Allemagne comprenne que son statut de grand vaincu de 1945 ne l'exonère plus de participer à l'effort des démocraties étant donné son niveau de richesse.
Regardons plutôt les faits et gestes des uns et des autres et rien que cela, sans à priori sur la nature des régimes qui sont par ailleurs nombreux sur la planète à nous inspirer du dégoût. De qui parle t-on en effet ? Sait-on vraiment de quoi est capable le Guide suprême de la Grande Jamahariya libyenne arabe et socialiste ? Pensez-vous que Kadhafi est un dictateur comme les autres, un peu fantasque, un peu loufoque, mais dont finalement nous nous sommes accommodés au fil des années ? Nous avons la mémoire bien courte. Nicolas Sarkozy a eu également une période d’amnésie à fortes arrière-pensées commerciales, en 2007, quand Kadhafi a pris la France pour son « paillasson » selon l’heureuse expression de Rama Yade. Connaissez-vous beaucoup de chefs d’Etat ayant, par l’intermédiaire de leurs services secrets, fait exploser des avions de ligne en vol ? Est-il utile de rafraichir la mémoire de certains ? L’attentat de Lockerbie contre le Boeing de la Pan Am : 270 morts en 1988 ; l’attentat au Sahel contre le DC10 d’UTA : 170 morts en 1989. Savez-vous qu’en février 2011, dans une interview accordée à un quotidien suédois, l’ex-ministre libyen de la Justice Mustafa Abdel-Jalil, démissionnaire, a affirmé à propos de Lockerbie : « Kadhafi a donné personnellement ses instructions ». Connaissez-vous beaucoup de chefs d’Etats qui ont soutenu depuis tant d’années, financièrement, logistiquement et idéologiquement tout ce que le monde comptait d’organisations terroristes, de foyers de déstabilisation, de mouvements visant à engendrer la violence, à faire couler le sang, quelque soit la « justesse » de certaines causes ? Que fallait-il de plus ? La perspective d’un massacre à Benghazi alors même que l’on reproche encore aux Occidentaux d’être intervenus trop tard en Bosnie et de n’avoir pas pu empêcher le massacre de Srebrenica en juillet 1995 ?
Il y a des moments où les grandes démocraties doivent prendre leurs responsabilités devant l’Histoire. Que les Etats-Unis, la France ou la Grande-Bretagne aient beaucoup à se faire pardonner, c’est une évidence. Toutes les guerres ne sont pas justes, de l’Algérie au Vietnam en passant par Suez, ces grands pays ont eu l’occasion de prouver qu’ils ne se battaient pas toujours pour un idéal très pur. Et que dire des interventions qui se sont révélées des fiascos, de la Somalie à l’Irak ?… Mais attention aux amalgames trop simples de la rhétorique « anti-impérialiste » ! Attention à ne pas jeter l’opprobre sur toute opération militaire parce qu’elle est organisée par une ancienne puissance coloniale ou par les Etats-Unis d’Amérique. Au-delà de toutes les analyses possibles relatant les arrières pensées géostratégiques et économiques des uns et des autres, il y a des faits intangibles : un tyran fou et mégalomane qui s’est arrogé le droit de vie et de mort sur son peuple depuis quatre décennies et qui veut briser la plus forte insurrection qu’il n’ait jamais rencontré sur son sol désertique. Cette insurrection, elle est un miracle en soi. La France l’a reconnue et ce jour-là, quoi qu’on pense de l’action de Nicolas Sarkozy, elle a retrouvé un peu de son honneur terni par les récentes affaires qui ont impliqué des ministres français de haut rang. Depuis ce jour-là, on ne pouvait plus abandonner à leur sort les insurgés de Benghazi, le sort d’une mort certaine.
Rappelons-nous ces quelques phrases que prononça François Mitterrand à Cancun en septembre 1981 : « En droit international, la non-assistance aux peuples en danger n'est pas encore un délit. Mais c'est une faute morale et politique qui a déjà coûté trop de morts et trop de douleurs à trop de peuples abandonnés » avant cette exhortation magnifique : « A tous, la France dit : Courage, la liberté vaincra ». Parfois, la liberté d’un peuple a besoin d’un coup de main salutaire, c’est tout le sens de cette opération militaire.
Comme en 1989 quand les peuples d’Europe de l’Est se sont libérés du joug communiste, 2011 est assurément une année exceptionnelle qui voit plusieurs régimes autocratiques du monde arabe tomber sous les coups de boutoir de leur population exaspérée. Or, Kadhafi est le pire symbole de ces régimes honnis par leur peuple, le pire tyran que le monde doit affronter, avec le nord-coréen Kim Jong Il peut-être, jusque dans son comportement absurde et irrationnel. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir des Etats démocratiques, malgré les atermoiements inévitables des uns et des autres, s’unir pour mettre hors d’état de nuire un tel personnage et son entourage. Contrairement à la guerre d’Irak de 2003 qui reposait sur des mensonges éhontés et qui violait le droit international, l’intervention en Libye est parfaitement légitime et nécessaire. L’ONU a voté la résolution 1973 en ce sens. Résolution qui n’a rien d’une croisade folle. Barack Obama n’est pas George W. Bush, il n’a pas l’âme d’un chef de guerre converti au néo-conservatisme le plus détestable, on lui reprocherait même sa prudence excessive. Quant à Nicolas Sarkozy ou David Cameron, ils n’ont peut-être pas l’intention, au vu des difficultés budgétaires de la France et de la Grande-Bretagne, d’envahir et d’occuper la Libye pendant dix ans. Ce serait de toute façon catastrophique. Il ne doit s’agir que d’une opération ponctuelle, les insurgés devront décider ensuite du sort de leur pays.
Souhaitons maintenant que cette opération militaire parvienne rapidement à son but, en évitant le plus possible les massacres d’innocents. Sur le terrain, rien n’est acquis d’avance. La résistance des derniers partisans de Kadhafi peut très bien causer de graves dommages aux insurgés et à la coalition. En attendant, prions et espérons pour que le peuple libyen se débarrasse au plus vite de cet odieux dictateur qui occupe le pouvoir depuis 1969 ! Alors seulement, ce peuple pourra envisager un avenir meilleur.