La France et l’Europe peuvent-elles faire abstraction de leur passé ?

par Alain Renaud
samedi 8 avril 2017

La France d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier ni celle de demain. Quoi de plus normal ? Sommes-nous ce que nous avons été et ce que nous serons ?

La vie est changement perpétuel et les hommes comme les nations n’échappent pas à cette loi inexorable. Nous sommes ce que nous sommes à un instant t, et à l’instant t + 1, nous sommes déjà différents.
“On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”, dixit Héraclite. Mais sommes-nous pour autant totalement autres ?

Pourtant le “deviens ce que tu es” de Frédéric Nietzche et “la nature ne fait pas de saut” de Gettfried Leibnitz semblent radicalement opposés à cette affirmation.

Et la France ? Est-elle, comme le prétendent nombres d’idéologues contemporains une pure abstraction, modifiable et évolutive à chaque instant, qui ne se rattache à aucun passé ?

Comme l’Union européenne, qui intègre “tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 1bis du traité de Lisbonne”, sans dire qui sont et qui ne sont pas les États européens, et qui peut par conséquent, un beau matin, décider que l’Azerbaïdjan est un pays européen, la France devient un État institutionnel, fonctionnaliste, technocratique, sans projet. Sans but parce que vivant au jour le jour, zappant continuellement.

Ses billets de banque sont désormais européens. Quel bonheur d’avoir pu partager notre destin, ne serait-ce que monétaire, avec nos frères européens. Mais quel malheur et quelle stupéfaction de voir que ces billets ne sont pas, en réalité, européens. Ils ne sont rien. Ils ne représentent rien. Ils sont vides. Ils ne sont que des instruments d’échange.

Là où les billets de la banque de France affichaient fièrement les “gloires” nationales, politiques comme Richelieu, scientifiques comme Pasteur, littéraires comme Victor-Hugo, les billets d’euros ne montrent que des ponts et des fenêtres d’époques imprécises. Tout un symbole. Le symbole du refus de sa continuité. Une rupture totale avec le passé. La volonté de scier un chêne pour essayer d’en reproduire un autre. Pas plus Périclès que Vinci, Cervantes que Copernic, Garibaldi que Mozart.

La France, peu à peu, sous l’influence de l’Union européenne, coupe le lien avec sa mémoire, en ignorant l’avertissement de Winston Churchill : “ Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre” . 
La crainte du nationalisme liée aux deux dernières Guerres mondiales, et en particulier à la seconde, est à l’origine de l’effacement de l’existence des peuples et des nations dans la “construction européenne”.

En faisant des nations les responsables des guerres, les fondateurs de la Communauté économique européenne, l’ancêtre de l’Union européenne ont voulu construire un édifice radicalement neuf faisant abstraction du passé. Jean Monnet, le principal inventeur de l’Union européenne, n’a t-il pas écrit dans ses Mémoires : « Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain ».

En conséquence, les problématiques qui seront résolues à l’échelle de l’Europe ne pourront l’être que temporairement, le temps de les décliner au niveau universel.

Et, par conséquent, que dire d’un pays comme la France ! Devrait-elle encore exister ? A-t-elle encore un sens ?

Ce qui transparaît de cette vision généreuse et idéaliste, c’est l’utopie des pacifistes et des mondialistes, qui, hélas, de par leur déconnexion du réel, favorisent trop souvent les conflits et les guerres qu’ils souhaitent précisément éviter, à l’image de Neville Chamberlain face à Adolf Hitler.

L’Europe, et encore moins la France, ne sauraient être une étape de l’unité du monde. L’unité des hommes ne peut se faire qu’en respectant leur identité et leur diversité.

Que l’Europe soit précisément, selon la belle et authentique devise de l’Union européenne « unie dans la diversité » implique que la diversité continue d’exister. Et cette diversité ce sont les pays et les régions qui la composent, et donc les peuples qui y sont présents.

L’Europe n’est pas une invention du XXe siècle ! Elle existe depuis la nuit des temps, depuis son aube grecque. Elle ne peut se développer que si elle s’appuie sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle a été jusqu’à ce jour.

Cette influence de l’Union européenne, et par capillarité, des États-Unis, qui en ont été le principal instigateur et soutien après la Seconde Guerre mondiale dans le but de contre carré la progression du communisme, n’est pas sans conséquence sur l’évolution de la France, comme des autres pays européens.

La France, membre fondateur, a vu progressivement l’Union européenne à laquelle elle appartient, non pas s’harmoniser et se confondre avec son histoire et son identité, mais, au contraire, s’en éloigner chaque jour davantage, en rejetant son histoire, sa culture, en imposant peu à peu le modèle américain tant au niveau culturel que politique.

Un modèle qui passe par le “way of life”, l’américanisation de la société, la progression inexorable de la langue anglaise, l’introduction de la notion d’immigration massive conforme à l’histoire spécifique des États-Unis, pays sans passé lointain, mais opposée à celle des pays d’Europe, sans oublier une incroyable tutelle militaire depuis 1945, jamais remise en cause, mais qui pourrait bien l’être prochainement par le biais du nouveau président américain.

La France, comme tous les pays d’Europe, ne saurait longtemps remplacer sa propre histoire par celle d’un autre pays. Les pays d’Europe de l’Est, comme la Russie elle-même, ont fini par se débarrasser d’une culture et une idéologie communiste et stalinienne qui n’était pas la leur.

La France a eu la chance de faire partie, après guerre, des pays dominés par une nation, qui, à son origine, bâtie à partir de rien, une fois les aborigènes indiens éliminés, a été fondée par des hommes épris de justice et de démocratie, les États-Unis. 
Entre les États-Unis et l’URSS, la chance de la France a été sans l’ombre d’un doute les États-Unis.

On aurait pu penser, néanmoins, que des Européens, ayant compris sur le tard et à l’épreuve de leur malheur que les conflits entre eux devaient laisser place aux grandes périodes d’union et de luttes qu’ils avaient aussi connues au cours des âges, allaient se regrouper dans une vaste confédération laissant à chacun la liberté de régler ses propres affaires et dont le premier objectif était d’assurer leur indépendance et, par conséquent, leur défense par leurs propres moyens.

Plus de 70 ans plus tard, les pays européens dépendent toujours des États-Unis. Ils laissent les Américains payer les frais de leur défense en oubliant que se défendre soi-même est la première condition de la liberté.

Donald Trump, le nouveau président américain a raison de vouloir cesser cette dépendance. Alors que la Russie n’est plus depuis longtemps l’URSS, il est temps que la France retrouve sa liberté en bâtissant avec ses proches voisins une véritable armée européenne regroupant, sans les diluer, les armées nationales existantes. Une armée européenne unie dans sa diversité. Une armée qui ne fera pas abstraction du passé des pays d’Europe.

La France et ses proches voisins européens pourront ainsi contribuer à la lutte contre le totalitarisme qui a pris la succession du nazisme et du stalinisme en se rapprochant étroitement de la Russie, ce grand pays européen injustement calomnié depuis la fin de l’URSS et en liaison avec les États-Unis, fille de l’Europe, pour autant qu’elle comprenne et accepte que la liberté d’action n’est pas réservée seulement à l’Amérique.

Alain Renaud, auteur de La France, un destin, ouvrage qui vient de paraître aux éditions l’Harmattan.


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