La France souffre-t-elle vraiment d’un malaise identitaire ?

par Kamal GUERROUA.
samedi 12 juin 2021

     Il y a quelques jours, Emmanuel Macron, en déplacement à Tain l'Hermitage (Drôme) a été giflé par Damien Tarel, un jeune français dont on ne sait jusque-là que très peu de choses et qui a été jugé en comparution immédiate hier, soit deux jours après les faits qui ont suscité une réprobation unanime du monde politique hexagonal.

    Mais qu'est-ce qui se passe en France ? Pourquoi, y a-t-il cette montée en flèche de la violence, qu'elle soit verbale, physique ou symbolique, en parallèle avec la confirmation du rebond significatif de l'extrême-droite dans les sondages d'opinion ? Et puis, quelle réponse l'exécutif Macron a-t-il apporté aux revendications légitimes des Gilets Jaunes qui battaient le pavé depuis longtemps ? Il semble que rien ne va dans le sens souhaité par la rue française ces dernières années. Les indicateurs en matière de chômage de masse, d'insécurité, de la gestion de la question migratoire sont au rouge. En plus, pongée par des débats stériles, la médiasphère française ne fait, semble-t-il, que répercuter l'atrophie de la classe politique, alors que le peuple dans sa majorité est avide du changement. "Le changement, c'est maintenant", tel fut le slogan tonitruant du socialiste François Hollande au début de son mandat en 2012, mais depuis rien n'a pratiquement changé et le pays se retrouve même aujourd'hui enfoncé dans une crise aux contours mal définis sous son successeur Macron. En conséquence, le divorce entre élites et masses, syndrome inguérissable des pays du Tiers Monde, se déplace maintenant, comme par contagion, vers l'ex-métropole coloniale. Mais de quoi la France souffre-t-elle ? Du manque de la compétence ? De la mauvaise gestion ? De sa politique migratoire ? De ses médias ? De ses politiques en perte de repères ? De l'islamisme ? Des fachos des groupouscules néo-nazis ? Mais de quoi exactement pardi ? Dans son livre "Notre mal vient de plus loin" édition Fayard, 2016, écrit suite à l'attentat de la "Promenade des Anglais" à Nice en 2016, le philosophe Alain Badiou a essayé de donner une explication, soit quelques éléments de réponse, à la stagnation de cette douce France, que Valéry Giscard d'Estaing aurait décrite un jour comme "une grande puissance moyenne". Je propose à mes lecteurs un extrait qui résume, de façon globale, le malaise actuel en Hexagone.

  "... Mais c'est fini ça. C'est fini. La France n'est plus représentable aujourd'hui de façon décente comme ce lieu privilégié d'une tradition révolutionnaire. Elle est plutôt caractérisée par une collection singulière d'intellectuels identitaires. Elle est manifestée par une chose qui n'a pas été faite nulle part ailleurs : des lois ouvertement discriminatoires concernant une partie des pauvres qu'elle a crées. Les lois sur le foulard islamique, tout ça, je regrette, ce sont des lois de stigmatisation et de ségrégation visant qui ? Visant des pauvres, des populations pauvres qui ont leur religion, comme les Bretons ont été Catholiques. Le temps passé. On les diabolise, eux alors, c'est le capitalisme français qui a créé leur pauvreté. Pourquoi ? Parce que c'est lui qui a détruit l'appareil industriel français. Pourquoi y a-t-il tant de gens venus du Tiers-Monde chez nous ? Parce qu'on est allé les chercher ! Il faut rappeler l'époque, des années cinquante aux années quatre-vingt, où on allait en avion au Maroc pour chercher les ouvriers nécessaires pour les chaînes des usines. Ces gens-là ont fait venir leurs familles, il y a eu une deuxième génération, des gens dont le destin normal était de devenir ouvrier, ouvrier qualifié, technicien... Mais on a détruit l'appareil productif, les usines, c'est pratiquement terminé, tout est progressivement délocalisé. Donc ces gens n'ont aucun avenir. Mais tout cela est fondé sur une tromperie, une détestable duperie. On les a importés sans garantie, et maintenant on voulait les exporter...Mais ce n'est pas comme ça, ça ne se manie pas comme ça "le matériel humain" tout de même" (fin de la citation).

   En terminant la lecture de ce passage, j'ai compris "enfin" que la faute est au monstre du capitalisme ! Ce rouleau-compresseur qui a pour devise "l'argent n'a pas d'odeur" a ses bouc-émissaires partout dans le monde. Or, certes Marx a dit un jour que, je cite : "la religion est l'opium des peuples" (la phrase que l'on nous répète assez souvent pour dénigrer au nom de la laïcité tout penchant vers la religion), mais il n'en demeure pas moins qu'on oublie souvent de citer la suite de cette phrase tronquée : "et l'esprit d'une époque sans esprit !" Cela dit, la prédiction d'un certain André Malraux qui décrétait un jour ceci : "Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas" n'est pas totalement fausse.

Kamal Guerroua. 


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