« La France vendue à la découpe » : l’abattoir de Sainte-Cécile

par christine
samedi 17 août 2019

https://www.ouest-france.fr/normandie/villedieu-les-poeles-rouffigny-50800/sainte-cecile-le-glas-sonne-pour-le-site-des-abattoirs-aim-6448728

https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/abattoir-aim-l-offre-de-reprise-ecartee-par-le-tribunal-de-commerce-1563439487

https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/manche/abattoir-aim-sainte-cecile-condamne-fermeture-1506745.html

L’agroalimentaire, au fil de ces vingt dernières années, est devenu une histoire de marché financier et de spéculateurs étrangers. L’évolution récente de ce secteur le pose comme victime d’une guerre économique. Le patrimoine agricole français, particulièrement riche de terres, de savoir-faire et de traditions devient le creuset dans lequel la concurrence étrangère vient se servir.

L’internationalisation des marchés agricoles depuis la seconde guerre mondiale a créé un phénomène de mutations des filières, sous les pressions nord-américaines. La France n’a pas su s’adapter en termes de productivité, de durabilité et de qualité. Cette même période a vu le rapport aux métiers agricoles et aux modes de consommation se transformer pour faire apparaître les industries agroalimentaires que l’on connaît aujourd’hui, ainsi que les tendances de consommation émergeantes. Par ailleurs, certaines décisions politiques, dont on peut difficilement connaître les impacts futurs, modifient structurellement les avantages comparatifs et créent une nouvelle concurrence, comme par exemple dans le cadre des accords du CETA.

Il y a, de la même manière aujourd’hui, plusieurs risques informationnels qui mettent en danger l’agriculture française. Ils concernent l’ensemble des domaines : animal, végétal, laitier, et traditionnel. Nous pouvons donc interroger les différentes filières sur leurs singularités et leurs contradictions pour comprendre dans quelles mesures ces risques influent sur les marchés agricoles à l’échelle internationale, par rapport aux savoir-faire français et aux modes de consommation en mutation.

Que ce soit des terres ou des brevets, la France semble, de premier abord, bien incapable de protéger son patrimoine et ses métiers. Cela se caractérise par exemple par de nombreux rachats de domaine dans la filière viticole ou par des rachats de race. Notons le cas de la race Maine-Anjou qui illustre bien les opérations de achats d’espèces animales par l’étranger. En effet, dans le contexte d’après-guerre, les Etats Unis achètent en grand nombre cette race relativement délaissée par l’agriculture française. Aujourd’hui, par les différentes opérations de génétique réalisées par les américains, cette race a acquis des caractéristiques des plus intéressantes sur le marché bovin. Les industriels nord-américains revendent donc aujourd’hui cette race aux agriculteurs français, en faisant le bénéfice de leurs investissements. Nous pouvons constater par ailleurs que dans le même temps, la France a ainsi perdu la moitié de ses races bovines, alors qu’elle se positionnait en tant que leader sur le marché international au début de la période.

 

Aujourd’hui, en 2019, la France continue d’être « vendue à la découpe », selon la formule de Laurent Izard, sur les marchés internationaux, et ce notamment dans le domaine de la boucherie française.

Les filières des élevages français, peut-être par manque de communication avec les clients finaux et surtout par désintérêt du grand public pour l’agriculture, ne bénéficient pas de soutien de la part de la société civile. Par ailleurs, le manque criant d’engagement et de prise de position des associations interprofessionnelles, ne permet pas aux filières de prendre des décisions de long terme. Les éleveurs français, au gré des fluctuations des cours en bourse, n’ont donc qu’à s’adapter aux évolutions d’un marché. Là où la France disposait d’une position de premier plan pour pouvoir faire fluctuer le marcher, elle se cantonne aujourd’hui à suivre ses concurrents.

L’exemple de la réussite néerlandaise, illustre bien le propos dans son actualité. Dans mesure où les Pays-Bas ont une filière très forte et particulièrement bien organisée dans le domaine de la viande sur leur territoire, ils cherchent à se déployer à l’étranger, en opérant une remontée de filière. Au travers des entreprises néerlandaises VanDrie, Denkavit et Vion par exemple, le secteur de la viande française, se trouve pris d’assaut depuis de nombreuses années. Leurs stratégies aujourd’hui, après s’être installé dans l’élevage et l’alimentation animale, consiste en des prises de position sur le marché de l’abattage, pour maîtriser de bout en bout la chaîne de valeur. Appuyés par la Rabobank, qui est spécialisée dans l’agriculture et l’agroalimentaires, les investisseurs néerlandais profitent des pertes de puissance des entreprises françaises, pour organiser un nouveau marché où il y a de moins en moins de capitaux français. En 2016, le rachat à Lactalis des lignes d’abattages de Tendriade par VanDrie, positionnait déjà le géant néerlandais en temps qu’acteur incontournable du marché de la viande, avec une position de leader à 20% de part de marché. Ce rachat dans l’Hexagone n’est pas le premier, il fait suite notamment à l’absorption de Sobeval par VanDrie en 1994.

Notons par ailleurs, que la perte de puissance de la filière française profite également aux marchands de machines industrielles d’occasions. Une actualité récente autour de la liquidation de l’abattoir AIM de Sainte Cécile est très représentative des manœuvres venant des Pays-Bas. La liquidation prononcée par le tribunal de Rouen a donné lieu à la séparation des biens immobiliers et des lignes de production. Le cabinet BTSG, ayant un lourd historique aux Pays-Bas et dans le secteur de l’agriculture, a été désigné comme mandataire judiciaire par le tribunal de Rouen pour la reprise. Cette séparation a permis à l’entreprise PIPM France, qui appartient à PIPM BV basé à Amsterdam, de se porter acquéreur des machines seules.

Plus tard, on retrouve ces mêmes machines en ventes aux enchères, en petits lots, sur un site néerlandais : Troostwijk. Le passé des employés de PIPM, en tant que commerciaux chez le revendeur néerlandais, montre que PIPM agit en tant qu’apporteur d’affaire pour Troostwijk, ce qui rend déjà toute offre de rachat impossible. Le mode de vente rend également impossible la reconstitution de la ligne de production dans son intégralité. Ce système rachat permet d’évincer toute nouvelle relance d’activité française, et laisse la place libre aux grandes coopératives néerlandaises. Privée d’outils de production, privée de possibilité de reprise d’activité, la filière doit s’adapter et se tourner vers les nouveaux acteurs qui peuvent accueillir les matières premières. Livrées aux marchés financiers, les industries locales françaises n’ont pas d’autres choix que de s’incliner devant les capitaux étrangers.

La France, au regard des attaques qu’elle subit, doit donc aujourd’hui prendre des mesures pour protéger le patrimoine agricole français, et se prémunir de toutes dépendances en termes d’approvisionnements. L‘indépendance de décisions dans le domaine de l’agroalimentaire constitue, pour les années à venir, un espace stratégique indispensable à la France dans le contexte du réchauffement climatique et de la hausse de la demande de produits alimentaires.


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