La gauche met-elle en pratique le féminisme ?

par Eric
jeudi 27 avril 2006

La fonction publique la plus marquée à gauche constitue aussi un ilot de résistance à l’équité entre hommes et femmes. Faut-il voir là l’origine de l’importance de la problématique dans ce milieu, du succès de l’hypothèse Royale auprès des électeurs comme des réticences des cadres du parti ?

Il est extrêmement frappant de voir que la femme a remplacé les pauvres dans les préoccupations apparentes de la gauche.

L’exercice est un peu biaisé en ces temps de CPE où les gauches font mine de s’intéresser aux pauvres, mais en période de croisière, tapez inégalité sur Internet. Vous verrez sans surprise sortir des foules de sites de gauche, à commencer par ceux de tous les grands partis. Vous aurez en revanche l’étonnement de constater qu’il y est question, pour l’essentiel, des inégalités hommes/femmes... Comme si les pauvres n’existaient plus.

Que se passe-t-il vraiment ? Comme souvent à gauche, l’horizon de la discussion est fixé par les plus extrémistes.


L’horizon idéologique : le sexe et le genre sociaux

Christine Delphy, féministe « marxienne », explique longuement que « les mécanismes sociaux préexistent à la subjectivisation des différences ». En langage « de droite », ou plus simplement en français, cela peut se traduire par :« Ce n’est pas parce que la femme enfante qu’elle serait naturellement vouée à changer les couches ».

« C’est d’abord un rapport de domination qui, ensuite, déterminerait une culture de domination ». La différence sexuelle « naturelle » n’expliquerait pas la différence « sociale ».

Bref, le sexe, ou pour mieux dire, le genre est social, et non naturel. C’est une construction idéologique destinée à justifier un rapport de domination.

L’absence de dépassement dialectique des féministes

Comme toujours, la « penseuse » de gauche se garde bien d’aller jusqu’au bout de ses raisonnements et de se les appliquer.

Si l’on suit les modes de pensée de la gauche, la prégnance des thèses féministes à gauche ne peut être que sociale, et non naturelle.

En pratique, elle paraît s’expliquer beaucoup mieux par un type d’identité, une culture et une réalité sociologique de gauche, que par un choix intuitif du « bien ».

Quoi qu’il en soit, sur le plan idéologique, désormais, on met des (e) partout ! L’inégalité homme-femme est centrale, et on voit fleurir les réglementations « paritaristes ». Pour les autres !

Que nous dit en effet « la dure réalité matérialiste des infrastructures » ?

La gauche sociologique, dernier îlot de résistance à l’équité homme/femme !

La fonction publique est, selon les sources, à 56, 57 ou 59% féminisée. Cette inexactitude n’étonnera pas, et nous sera pardonnée, puisqu’on ne connaît pas le nombre exact de fonctionnaires. On sait aussi qu’elle est « plutôt à gauche ». On parle de 75%, dans l’éducation et la recherche.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle présente dans notre société un îlot de résistance farouche non pas à la parité, mais à une simple équité entre les sexes...

Que la féminisation de la fonction publique commence par le bas, et que celle-ci soit davantage féminisée aux plus bas échelons, devrait en soi suffire à renforcer une analyse de gauche des rapports de sexes en termes de lutte des classes. Mais le pire est ailleurs.

Devinez quelle est l’administration relativement la moins féminisée au niveau de la hiérarchie (sources, études des ministères concernés disponibles sur Internet) ?

Non, malgré les apparences, ce n’est pas l’armée, car si elle compte 1,3% de femmes dans les grands chefs, les personnels susceptibles d’être nommés à ces postes ne sont qu’à un peu plus de trois pour cent féminins, Une sur trois au moins a donc ses chances... ! La féminisation de l’armée est donc aussi rapide et juste qu’elle est récente. L’armée aussi, un des corps publics les moins marqué à gauche.

Dans l’enseignement et la recherche, en revanche, elles représentent 7% (!) des emplois supérieurs, mais les personnels potentiellement concernés, susceptibles logiquement d’accéder à ces postes, sont à 33% féminins... Il y a presque deux fois moins de femmes responsables du secteur éducation/recherche que de député(e)s et à peine plus que de sénatrices !

21% des femmes « potentiellement concernées » dans la recherche et l’enseignement sont nommées à des postes de direction, contre 34 % dans l’armée...

A 7% de “chef(e), on reste assez loin des 27% de femmes chefs d’entreprise (enquête emploi 2000). Bien sûr cela concerne pour beaucoup de très petites entreprises. Mais le rapport sur la fonction publique montre aussi que par exemple, plus un hôpital est gros, moins il est dirigé par une femme. On a pu voir à l’occasion de la journée de la femme un reportage sur la première chef de service hospitalier, alors qu’il existe des PDG depuis au moins Madame Clicquot !

On pourrait mettre des (e) à la conférenc(e). des président(e)-s d’université (e)-s mais on les a trop vus récemment à la télévision pour se faire des illusions.

Bon an mal an, la fonction publique est donc au minimum de deux à quatre fois moins féminisée aux postes de direction que le secteur privé...

Comme le privé n’est féminin qu’à 43%, l’écart réel avec l’administration est en réalité encore plus fort.

Il y 5% de femmes parmi les administrateurs du CAC 40. Compte tenu des autres chiffres, on est en gros forcé de conclure que l’enseignement est en pratique à peu près aussi macho que la Bourse sans toutefois avoir les mêmes excuses.

On manque de chiffres, mais il y a gros à parier que la presse d’opinion, sociologiquement et politiquement proche, doit voir également des cohortes de petites journalistes féministes et divorcées aux ordres de chefs de service et rédacteurs en chef majoritairement masculins.

Ainsi, si nos entreprises et nos partis se débattent avec des réglementations ubuesques, c’est peut-être parce que le couple de gauche n’arrive pas à partager dans ses propres milieux professionnels de prédilection. Tant il est vrai que ces milieux, comme tous les milieux du reste, sont endogames (on épouse qui on connaît, mais il est vraisemblable qu’ils le sont en pratique plus que les autres puisque quand on est enseignant, c’est qu’on n’est littéralement jamais sorti de l’école.)

On devine en effet que la tension doit facilement être particulièrement vive en interne dans les couples de gauche, par exemple du grand service public de l’éducation nationale. Cela est difficile à vérifier.

La micro-économie montre que dans le couple, la répartition du travail ménager serait, en pratique, étroitement fonction des salaires relatifs des époux. Le couple optimiserait le rapport temps passé/coût d’opportunité. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une constatation empirique.

En d’autre termes, la répartition sera a priori, d’un point de vue théorique, moins conflictuelle dans le coupe du « trader », mariée à une jeune fille sortie de Notre-Dame de Sion et s’occupant au foyer d’une nombreuse marmaille, caricature de l’élite ultralibérale mondialisée, qu’entre deux professeurs certifiés, ayant la même ancienneté et le même salaire et 1,9 enfant en crèche (accès privilégié pour les fonctionnaires et pour les femmes au travail).

Si en plus, cela se vit au sein d’un discours réagissant de façon épidermique à toute inégalité, la lutte de classe dans le couple n’est pas loin. En son temps, un groupe de rock féministe a pu chanter, Papa Marx l’avait dit, l’homme est le bourgeois, la femme est le prolétariat.

Si Papa confirme, et l’oedipe aidant, la cause est entendue.

Résumons. Le Parti socialiste militant est composé d’un tiers à une moitié de personnes élues ou l’ayant été. C’est donc sensiblement un parti de notables. Moins féminisé que le Front national dans ses élus, c’est aussi un parti d’hommes.

Dans le même temps, entre Jospin et Balladur, Jospin obtient plus de voix féminines dans toutes les tranches d’âge jusqu’à 60 ans . Enfin c’est dans une large mesure un parti où les fonctionnaires sont sur-représentés.

C’est donc, en tendance, un parti d’hommes, dirigés par des hommes, avec un électorat féminin et souvent fonctionnarisé, directement en phase avec le machisme de ses collègues et souvent conjoints.

En caricaturant : préposée à la préparation du café dans les meetings et réunions de cellule, la militante socialiste doit subir sans fin les discours sur la féminisation des valeurs sociales d’experts masculins. Ceci doit entraîner un certain énervement, ou à tout le moins, une « attente ».

Faut-il voir là l’origine du paradoxe de la candidature de Mari(e) Ségolène qui semble enthousiasmer les électrices et stresser les cadres du parti ?

Mais cette candidature n’est peut-être qu’un leurre idéologique destiné à tromper les camarad(e).-s

Tout commençant à l’école, une analyse marxiste nous conduit à penser qu’avant d’imposer la parité aux élus, même présidentiels, il faudrait imposer l’équité à l’éducation nationale pour espérer atteindre un degré de féminisation des responsabilités comparable, disons, à celui des pays libéraux anglo-saxons...


Lire l'article complet, et les commentaires