La guerre, ce besoin américain
par Dancharr
samedi 17 mai 2008
L’empire c’est la paix, s’était exclamé le prince président se préparant à la dictature dans la chaleur d’un banquet en 1852. Victime de la malédiction qui s’attache aux empires, il ne put s’empêcher de guerroyer en Crimée, en Italie, en Chine, au Mexique. Sa dernière guerre lui fut fatale et ne nous arrangea pas. Elle prépara les deux autres guerres franco-allemandes dont la France ne se releva pas.
Pourtant, mieux que quiconque, il aurait dû savoir que, par essence et existence, l’empire, c’est la guerre. Le premier empire n’était pas loin et fut l’illustration parfaite et macabre de cette fatalité funeste. Saint, céleste ou pas, grec ou romain, ottoman ou russe, etc., ils commencent et finissent dans le sang.
Le passé est toujours d’actualité puisque un empire vit sous nos yeux et que nous sommes ses sujets même quand nous faisons semblant de ne pas le savoir. Je parle de l’empire américain. Certains ici, mais beaucoup plus là-bas, s’en plaignent. Selon les latitudes, le poids de la dépendance, la connivence idéologique, la réaction diverge et son règne est d‘amour, de respect, d’intérêt, de crainte ou de haine. Cette dernière est une menace pour la sécurité et le bien-être de l’empire. Il ne la comprend pas, lui le missionné de Dieu. Il en fait une opportunité car bien exploitée, bien manipulée, bien amplifiée, quel meilleur ciment en interne, quelle merveilleuse justification en externe pour plus de puissance, d’expansion, de contrôle ? Il en a les moyens car un empire n’existe que parce qu’il est armé jusqu’aux dents.
Le thème est rarement débattu. L’anti-américanisme – nécessairement primaire - est un péché capital. Je m’y risque cependant dans une démonstration certes simpliste mais qui, j’espère, en suscitera de plus pertinentes qui sauront me convaincre d’être dans l’erreur. L’envie de soumettre cette réflexion à AgoraVox s’est renforcée par la conviction que, quel qu’il soit, le futur empereur américain ne sera pas un Hadrien. L’Economist repris dans Challenges du 7 mai, nous apprend que les candidats au poste suprême restent irascibles et ne plaisantent pas avec le patriotisme militaire : "John McCain chante « Bomb, bomb Iran », Barack Obama parle d’autoriser une mission au Pakistan sans l’aval du gouvernement en place, et Hillary Clinton a déclaré que, si elle était élue, elle n’hésiterait pas à « rayer » l’Iran de la carte s’il utilisait des armes nucléaires contre Israël." L’huile sur le feu, un bon moyen de lutter contre l’incendie.
L’U.R.S.S. n’existe plus, la guerre froide est finie. L’Amérique n’est plus menacée par la subversion communiste, McCarthy, Edgar Hoover peuvent reposer en paix. Et pourtant, l’OTAN s’étend à l’Est, les soldats américains remplacent l’armée rouge dans les bases qu’ils ont abandonnées. Maintenant ils installent des missiles anti-missiles, des radars aux frontières de la Russie.
Le comportement américain et l’accueil qu’il reçoit sont intéressants et instructifs.
Le premier nous apprend ce qui, auparavant, n’était pas si apparent car la politique de « containment » avait une logique qu’il était difficile de ne pas accepter. Une menace existait. Il fallait y répondre…
Elle avait l’avantage de justifier et de consolider un imperium sur le monde dit libre face à un monde communiste liberticide. L’effondrement du bloc communiste a été pour les Américains une catastrophe qui les privait d’un repoussoir idéal. Il associait en effet de façon très opportune une idéologie qui, en s’autodétruisant, a signé son origine diabolique et un armement conséquent qui, magnifié par les deux parties permettait aux uns d’inspirer le respect et aux autres de relancer sans arrêt la course à l’armement pour le plus grand bien du complexe industriel militaro-politique.
Cette construction patiemment, subtilement élaborée depuis la dernière guerre a mené les États-Unis à l’hégémonie. Un tel effort, soutenu si longtemps avec un résultat si merveilleux ne pouvait déboucher sur le vide. L’ennemi est nécessaire pour continuer de mobiliser les esprits, l’énergie, justifier une suprématie et continuer d’apparaître comme le défenseur de la liberté, le héros des dominés, la terreur des dictateurs, etc.
Le discours avait seulement besoin d’être adapté aux changements. Il l’a été d’autant plus facilement que les événements sont venus à la rescousse. Attaquée sur son propre sol, outragée, meurtrie, elle recevait de façon presque miraculeuse la charge de défendre le monde contre le terrorisme.
Mais le terroriste, s’il a une idéologie, ne peut être comparé au soldat, combattant certifié, immatriculé, habillé, casqué, contingenté et, s’il survit, prisonnier sous la protection de la Convention de Genève. Le terroriste est par définition invisible, insaisissable, protéiforme et son champ de bataille est le monde. Seule une puissance mondiale peut s’attaquer à cette hydre et l’Amérique retrouve dans ce challenge sa mission tutélaire quasi divine et, accessoirement, de nouvelles raisons d’étendre encore plus son influence, son armée. Se rapprocher de l’ennemi, l’encercler si possible, nous revoilà dans une stratégie qui rappelle les anciens temps. Elle explique l’extension de l’OTAN, les implantations de missiles, de radars et l’impression que rien n’a changé, tout continue et que le monde est reparti pour une nouvelle guerre, cette fois ni froide ni dure mais plutôt élastique. Elle est originale car il y a d’un côté des fous qui mènent une guerre sainte et de l’autre une armée numérisée, préparée pour une guerre des étoiles et condamnée à faire une guerre microscopique, dans un terreau qui lui est inconnu.
Mais les scénaristes qui ont remplacé les stratèges sont rassurants. Tout est sous contrôle, voyez « Mission impossible ». L’argent coule à flots. 645,6 milliards de dollars pour le budget militaire en 2008, 50% des dépenses militaires mondiales (70 milliards de dollars en 2006 pour la Russie).
La paranoïa américaine est une psychopathie qui dure depuis longtemps et n’est pas en voie de guérison. Ils en ont fait un instrument de puissance qui a donné de bons résultats puisque leur domination actuelle n’est pas contestée. L’opposition en tout cas ne viendra pas de l’Europe et on le constate actuellement avec les provocations de Monsieur Bush envers la Russie.
Elles ne sont pas vues pour ce qu’elles sont mais donnent l’occasion aux journalistes de reprendre à leur compte l’argumentation américaine. Les protestations de Poutine, ses menaces de riposte sont complaisamment décrites comme preuve de sa volonté de revenir à la guerre froide, nostalgique qu’il serait de l’URSS. Les journalistes paraissent aux ordres du Pentagone et ne voient dans sa colère devant l’installation à sa frontière de missiles, de G.I.s que l’occasion de renouer avec la vieille rhétorique marxiste. Le message (celui de l’Express, de Challenges par exemple) est constamment relayé par l’image caricaturale qui est donnée du président russe. Poutine y est décrit comme un dictateur, un espion devenu président par la volonté d’ex-KGbistes ; un sanguinaire, un fomenteur d’assassinats. Cet acharnement donne l’impression d’une désinformation parfaitement orchestrée et qui doit servir quelques intérêts. Son interview dans Le Figaro donne de lui, a contrario, l’impression qu’il s’agit d’un homme d’État lucide, intelligent et plein de bon sens.
La complaisance n’est pas seulement médiatique. Elle frappe le monde politique quelle que soit son appartenance. Elle traduit en réalité l’acceptation par les Européens de leur colonisation par les États-unis. Ils maintiennent partout en Europe des bases stratégiques depuis la dernière guerre. Seul De Gaulle a eu le courage de les expulser. C’était pour la défendre contre les armées rouges. Leur disparition, avant même la menace du terrorisme, n’a jamais fait se poser la question de la justification du maintien de ces implantations. Cette assistance, cette dépendance, cette occupation montrent l’état de cette Europe vassalisée. Elle mérite le mépris qu’il ne cache pas pour ces pays qui ont peur de tout, refusent de se défendre, de se battre et qui, sans eux, n’existeraient plus.
Leur amitié est donc une amitié d’habitude, de grands à petits, condescendante, conditionnelle. Le rictus n’est jamais loin du sourire. Il ressort dès qu’une velléité de désaccord surgit. Habitué à décider, cet ami effrayant ne supporte pas la contrariété. Cela fait passer, automatiquement, dans le camp ennemi. Les représailles ne tardent guère. Critiquer, s’opposer c’est donc se faire mal voir et l’indépendance d’esprit est dangereuse. L’impérialisme, totalitaire par essence, n’accepte pas la contestation. Cela est vrai quelle que soit l’étiquette, le drapeau.
Nos gouvernants ont appris à leurs dépens le danger de sortir du rang. La France s’y est essayée. La leçon a, semble-t-il, porté.
L’emprise américaine atteint une magnitude qu’il est facile d’évaluer en analysant l’attitude du parti socialiste français. Il reste ouvertement marxiste et continue de discourir, surtout en période électorale sur le capital, ce monstre froid qui se repaît du sang et de la sueur des travailleurs et travailleuses. Qu’importe qu’ils soient de moins en moins nombreux et, qu’ailleurs, les autres PS aient viré sociaux-démocrates. Bad Godesberg (1959) n’est pas pour eux, vive Épinay (1971). Cette logique marxiste reste vivace, vivante, basique et majoritaire au sein des apparatchiks.
Ce discours anticapitaliste était celui des communistes et débouchait logiquement sur une condamnation des Américains, suppôts du capitalisme honni. Curieusement les socialistes, théoriquement toujours anticapitalistes et plus virulents en interne que jamais s’abstiennent avec rigueur de toutes paroles qui pourraient contrarier les capitalistes américains, par exemple pour leur politique étrangère. Ce sont au contraire des amis inconditionnels. Mitterrand s’engage militairement à leurs côtés quand il leur faut aller défendre une oligarchie du Golfe en butte à son voisin qui voudrait bien récupérer un coin de sable qui lui avait jadis appartenu mais qui, pour son malheur, est une chasse gardée américaine pleine de pétrole. Les socialistes, ces marxistes purs et durs n’ont pas le même regard que les communistes de la grande époque. Leurs yeux sont plus concupiscents que réprobateurs. Comprenne qui pourra. Cela montre seulement la pureté du dogme, la valeur de l’idée, l’hypocrisie de la posture.
Le refus du réel, la lâcheté, ces constantes de nos sociétés sont toujours à l’œuvre de droite à gauche, de haut en bas.