La guerre des classes n’a pas cessé, c’est sūr ! Volet n° 2

par Nicole Cheverney
vendredi 28 décembre 2018

Mondialisation Heureuse ? Parlons-en justement.

« En ce début de millénaire les oligarchies capitalistes transcontinentales règnent sur l'univers. Leur pratique quotidienne et leur discours de légitimation sont radicalement contraires aux intérêts de l'immense majorité des habitants de la terre ».1

Pourquoi les pauvres seront de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches ? Selon les économistes libéraux qui ne croient pas un seul mot de ce qu'ils avancent mais le propagent malgré tout, ce sont les riches qui créent les richesses et les « redistribuent ». Par exemple : le riche devra augmenter d'autant les salaires de ses employés à mesure qu'il s'enrichit, car il existe une « limite objective à l'accumulation des richesses, selon les deux théoriciens Ricardo et Smith.2 Pour ces deux théoriciens, il serait absolument amoral que la richesse des individus ou sociétés dépasse la satisfaction des besoins, même les plus « coûteux et extravagants ».3

D'après ces deux économistes célèbres du XVIIIe/XIXe siècle, les riches devraient procéder dans un société économique développée à cette fameuse redistribution des profits. Mais Ricardo et Smith étaient avant tout des hommes de leur temps, animés par une foi religieuse, ils avaient des principes. Bien évidemment, ils se sont trompés sur toute la ligne quant aux mentalité des possédants, croyant connaître la nature humaine.

Le riche accumule. Certains ignorent le montant de leur fortune, à tel point celles-ci – surtout de nos jours – peuvent atteindre des niveaux vertigineux ! Tout a été entrepris par les capitalistes pour permettre à des gens avides, de se goinfrer d'autant plus que les nouvelles technologies leur permettent toutes les extravagances, avec la spéculation au niveau mondial !

Et c'est là que cela devient intéressant, sociologiquement et psychologiquement parlant : Ricardo et Smith avaient misé sur la sagesse de « lier les besoins (de l'individu) à l'usage ».

Sauf que, grâce à la spéculation boursière, l'argent – cet instrument de valeur d'échange – prend une valeur intrinsèque et va servir à produire : de l'argent ! Ce qui est un non sens absolu ! Puisqu'il ne répond plus à satisfaire les besoins primaires de tout individu : se chauffer, se loger, se nourrir, être éduqué, accéder à la culture. Non ! L'argent va aller à la production de l'argent et le cumul éhonté de véritables fortunes qui vont s'accumuler – pour les ultra-fortunés, rajoutant aux besoins primaires humains, celui plus sensuel de « posséder » et en possédant, de dominer ses congénères, et d'étaler leur pouvoir. Cette « volonté de domination est inextinguible. Elle ne rencontre pas de limites objectives ».

Il me revient à l'esprit l'extrait d'une émission télévisée consacrée aux milliardaires et à leur style de vie, dans laquelle l'on découvre un milliardaire américain, grand patron de nouvelles technologies – se prélasser sur son immense yacht, en compagnie de ses invités. A midi, ils avaient bien mangé, bu et digéraient tranquillement sur leur transats en discutant entre eux. L'après-midi était passé sous la douceur estivale des embruns du Pacifique. Après le repas du soir, chargé, ils se prélassaient toujours, lorsqu'à minuit, le milliardaire – malgré un repas copieux, ressentit le besoin capricieux de manger... japonais ! Il réveilla son personnel de cuisine qui se mit immédiatement en quête – à une telle heure tardive d'un traiteur de la ville qui se dépêcha d'aller satisfaire les besoins primaires du milliardaire qui avec ses amis se gobergeaient sur le yacht pendant que les domestiques et le traiteur, tombaient de sommeil et fatigués par une très longue journée au service de ces seigneurs capricieux se prenant pour des dieux. Journée qui se termina vers 4 heures du matin. Eh bien, cela est insupportable pour qui possède un peu de sens commun !

Les prédateurs ? Aucun état d'âme.

Dans « Mille milliards de dollars  », nous voyons également le jeune journaliste joué par Patrick Dewaevre manifester son inquiétude sur la marche inexorable du capitalisme dans le monde et l'accaparement des richesses par quelques centaines de multinationales. Et il prognostique que le nombre de ces multinationales se réduira de plus en plus avec le temps, mais posséderont la presque totalité des richesses de la planète, tandis que les populations pauvres seront de plus en plus nombreuses sur la planète. Cela est « effrayant » !

Au début des années 2000, 225 fortunes privées sont répertoriées, détenant à elles seules ce chiffre astronomique - de « 1000 milliards de dollars ». Revenu annuel cumulé de 2,5 milliards d'individus les plus pauvres de la planète : 47 % de la population mondiale.

200 plus puissantes sociétés transnationales privées les plus puissantes du monde dépassent la totalité des exportations de l'ensemble des 120 pays les plus pauvres. (Ces chiffres sont extraits du « rapport sur le développement humain – Report Dévelopment Report » année 20004

En 2016, une étude Odoxa donne les indications suivantes : "100 personnes possèdent la moitié des richesses du globe" 62 plus grandes fortunes mondiales possèdent désormais autant de richesses que la moitié la plus pauvre - 3,5 milliards de personnes tout de même. En 2010, il fallait additionner 388 super-riches pour représenter la moitié des richesses du globe... ».

Ces données chiffrée sont tout bonnement vertigineuses. Le champ d'action des ultra-libéraux dans tous les domaines politiques, économiques et sociétaux, s'est démultipliée avec le remplacement d'une économie de marché régulée autrefois, qu'ils font en sorte de remplacer par une dérégulation des marchés, la planche à billets qui tourne 24 h sur 24 heures, permettant au dollar de se maintenir à flots : nous ne sommes plus dans une économie réelle, mais bien virtuelle, une jungle économique. Cependant, ce genre de système artificiel, combien de temps résistera-t-il au principe de réalité ?

La mondialisation heureuse de A. Minc ?

Un leurre pour tous ceux qui ont cru en la sincérité des thuriféraires du « fractionnement de la société ». A tous les maux que je viens d'énoncer jusqu'ici, rajoutons également celui d'une spéculation immobilière sauvage et assassine imposée partout où le modèle occidental financier détruit l'homme, la nature et l'environnement. Ces bulles immobilières ont enrichi des centaines de trader, de spéculateurs, de grands patrons, d'hommes et de femmes politiques, d'escrocs, jusque dans les couches les plus impénétrables des institutions, avec la prévarication, la corruption active la plus crasse à tous les étages, où des gens suffisamment puissants – politiques et autres – échapperont, malgré leur actes délictueux – à la justice du fait même de leur puissance et de leurs relations. Ce milieu, quoiqu'on en dise est solidaire en tous point, selon le vieil adage : je te tiens, tu me tiens par la barbichette ! Pourtant la guerre économique entre Etats et multinationales fait rage : ces oligarques autant sont-ils en guerre perpétuelle contre le peuple, autant le sont-ils aussi entre eux.

Voici pour illustrer mes propos, deux portraits de deux dirigeants, brossés dans « The New Republic  », dont l'un est plus connu que l'autre mondialement. Il s'agit de Bill Gates et de Larry Ellyson, le premier à la tête de Microsoft et le deuxième à la tête d'Oracle.

M. Kertzman a étudié les profils de ces deux personnalités emblématiques du monde des affaires. Un monde de requins et de piranhas où « Tuer ou être tué, dévorer ou mourir, telle est leur devise  », « Posséder les marchés, anéantir les concurrents ».

Tout leur vocabulaire tourne autour des termes de guerre et de destruction. Ainsi M. Kartzman enfonce le clou les concernant : « Au fond, toutes les entreprises de haute technologies toutes celles qui sont parvenues en haut de l'échelle, sont dirigées par des assassins sanguinaires... Pour parvenir à ce niveau, vous devez être un parfait requin  ».

D'après les employés de ces « requins », leur témoignage sur le comportement de leur PDG est effarant et donne le frisson, si bien que « l' expression capitalisme de la jungle » leur va comme un gant et s'applique parfaitement à cet univers, à côté duquel celui de Dallas, célèbre saga américaine des années 80 fait pâle figure, du point de vue de la scélératesse comportementale des grands dirigeants de société.

Par exemple, chez Oracle, témoigent-ils, pendant les séances de motivation, nous avons droit aux cris de guerre et rugissements du personnel imposés par les formateurs : « On va les tuer ! On va les tuer  » !

Tuer qui ? Le concurrent. Chez Oracle, les dirigeants ne cherchent pas simplement à battre un concurrent en rapportant des marchés, cela ne leur suffit pas : « nous voulions le détruire... Il fallait continuer à le frapper, même lorsqu'il était à terre. Et s'il remuait encore le petit doigt, il fallait lui écraser la main

 D'après cette étude sur les mœurs entrepreneuriales américaines, Ellyson cache moins sa férocité en affaires que Bill Gates. Pourtant tous deux « ont adopté la même stratégie de destruction de masse. Mais tandis que Gates est simplement très efficace, Ellyson donne l'impression d'assouvir un besoin ».  5

Bourses et maisons de courtages.

Les jeunes trader qui y rentrent sont littéralement fascinés par ce monde-là où l'argent est facilement gagnable, du moment que vous ayez un don pour les affaires et la rapidité d'esprit nécessaire pour saisir les bonne occasions de vous enrichir avec la spéculation. Il faut avoir simplement du nez, et surtout aucun scrupule. Nous sommes chez les prédateurs, un microcosme de « killers », où la vélocité extraordinaire même si elle apparaît comme plutôt répugnante pour qui a des principes moraux, philosophiques ou tout simplement de l'empathie pour ses semblables, le système dans lequel ils sont en immersion totale, leur permet toutes les dérives comportementales. Chez les oligarques, leur capacités d'adaptation, rapides, instinctifs, ces gens-là ignorent toutes les règles de loyauté, de respect d'autrui et n'ont aucune parole à tenir, ils sont impavides et « apathiques face à ce qui se passe autour d'eux ». Ils sont en dehors de la raison, presque déshumanisés où ni « l'angoisse, ni la panique, ni l'obsession du gain immédiat », ne leur fait perdre le fil de leur stratégie pour gagner des marchés. Ils opposent souvent des physionomies extrêmement calmes, pour la plupart. Ils ont été formés à cette capacité d'anticipation des événements et peut-on dire qu'ils s'y préparent, en secret, même au pire ? Évidemment, cela vient se rajouter à leur côté « élitiste » appris, soit dans leur milieu social conventionnel ou simplement de petit parvenu, mais tous tiennent le reste de l'humanité pour un troupeau de bestiaux à mener où ils veulent, y compris à l'abattoir s'ils le décident.

 

L'Oligarchie est très puissante... Pour le moment !

Elle dispose de puissants relais, d'énormément d'argent pour se payer des milices privées de mercenaires armés jusqu'aux dents ! Ils sont riches au point d'acheter même les médias... de masse : les mainstream. Ils ont tout raflé en moins de 20 ans, 9 milliardaires français détiennent la quasi totalité des médias, ce qui leur permet de diriger l'information, dans le sens de leurs affaires et de la doxa.

« Toute résistance à la privatisation du monde est frappée d'anathème... Quiconque met en danger la richesse exceptionnelle des riches se met hors du monde civilisé. L'idéologie néo-libérale comble d'aise les nantis. Elle met leurs richesses en sûreté. »

 

A suivre...

1Jean Ziegler – Les Nouveaux Maîtres du Monde – et ceux qui leur résistent – Editions Fayard - 2002

2D. Ricardo : né en 1772 mort en 1823 – Economiste anglais.

A. Smith : né en 1723 mort en 1790 – Economiste écossais.

3Opus déjà cité.

4Opus déjà cité. Jean Ziegler.

5 Opus déjà cité. Jean Ziegler – Les nouveaux maîtres du monde –

+ Courrier International – 25 31 mai 2000


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